Fidel déclarait dans un discours prononcé en août 1985, à l’issue d’une rencontre internationale consacrée à la dette : « nous nous sommes rendu compte qu’en définitive le mot d’ordre d’annulation de la dette était valable pour tous les pays du Tiers-monde. ».
Ses efforts pour favoriser une unité des peuples pour l’annulation de la dette du Tiers-monde ont connu un grand écho en Amérique latine parmi les mouvements sociaux et les intellectuels de la gauche radicale. En Afrique, Thomas Sankara, président du Burkina Faso, a repris ce mot d’ordre et a tenté de lancer un vaste mouvement africain pour le non paiement de la dette. En Europe, le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde (CADTM, devenu Comité pour l’abolition des dettes illégitimes) est né dans la foulée de cette campagne internationale partie de l’Amérique latine.
Ce discours a été prononcé il y a plus de 30 ans. Aujourd’hui, une nouvelle crise de la dette des pays dits en développement se prépare suite à la baisse des recettes qu’ils tirent de l’exportation de leurs matières premières, alors que la croissance économique des pays les plus industrialisés est anémique et que de nouvelles bulles spéculatives finiront par éclater, notamment au niveau boursier.
Ce discours de Fidel a été prononcé à la fin de la rencontre sur la Dette Extérieure de l’Amérique Latine et des Caraïbes, à La Havane, le 3 août 1985. Fidel Castro ne manque pas d’humour quand il affirme : « On m’accuse de dire que la dette est impossible à payer. Bon, mais c’est la faute à Pythagore, à Euclide, à Archimède, à Pascal, à Lobatchevski, aux mathématiciens de l’Antiquité, des temps modernes ou d’aujourd’hui ; c’est sur eux, sur celui que vous voudrez qu’il faut en rejeter la faute. Ce sont les mathématiques, les théories des mathématiciens, qui démontrent que la dette est impossible à payer. »
Fidel considérait que l’abolition de la dette du Tiers-monde devait être octroyée tant par les pays capitalistes industrialisés que par les pays dits socialistes. « Lorsque nous parlons d’abolir la dette, nous parlons de toutes les dettes qu’a contractées le Tiers-monde auprès du monde industrialisé, ce qui n’exclut pas les pays socialistes (applaudissements). Lorsque je parle du nouvel ordre économique international et de prix justes, je n’exclus pas, loin de là, les pays socialistes. Je suis sûr que ça représenterait pour eux des sacrifices, mais ils comprendraient et appuieraient. »
Il remettait en cause les politiques imposées par le FMI.
Fidel affirmait que la nécessaire abolition des dettes constitue une condition sine qua non mais que c’était. D’autres changements radicaux doivent être entrepris : « Voilà pour les principes de base. II ne s’agit pas d’une seule idée, l’idée d’abolir la dette. Cette idée est à associer à celle du nouvel ordre. En Amérique latine elle est aussi associée à celle de l’intégration parce que même si on arrive à abolir la dette et à instaurer le nouvel ordre économique, sans intégration nous resterons des pays dépendants. »
Fidel affirmait que le paiement de la dette est insoutenable pour des raisons économiques et qu’il faut abolir la dette également pour des raisons morales : « Le recouvrement de la dette et le système injuste de relations économiques actuellement en vigueur constituent la plus flagrante, la plus brutale des violations des droits de l’homme, de toutes celles qu’on peut imaginer. » (...) « une petite portion de l’ensemble de la dette a été investie dans des projets utiles. Mais nous savons tous qu’une grande partie a été investie dans les armes, a été dilapidée, gaspillée, détournée et nous savons en outre qu’une grande partie n’est même pas arrivée en Amérique latine. »
Fidel appelait à l’unité des pays endettés face aux gouvernements des pays les plus industrialisés. Il affirmait que l’idéal serait d’arriver à un consensus entre gouvernements des pays débiteurs d’Amérique latine, mais qu’il n’y croyait pas : « L’idéal est un consensus préalable. Mais parviendra-t-on à un consensus des pays débiteurs d’Amérique latine avant que la crise se déclenche ? L’idéal est un consensus préalable et une discussion avec les créanciers, mais cela arrivera-t-il ? Le plus probable, c’est que des crises sérieuses éclatent et qu’à la suite de ces crises ils veuillent négocier ; c’est le plus probable. Personne ne peut prévoir exactement ce qui va se passer, mais pour ma part je n’ai jamais vraiment cru à un consensus avant la crise bien que je ne pense pas que cela soit impossible. II se peut que, la situation s’aggravant, ce consensus préalable entre les débiteurs se produise ; ce n’est pas impossible, mais c’est à mon avis peu probable.
« Mais si cette lutte continue, si les masses prennent conscience de la situation, si chaque citoyen de nos pays comprend le problème, les possibilités d’exercer une influence et de créer des conditions favorables augmentent ; un gouvernement ne peut livrer cette bataille tout seul, alors on pourrait faire en sorte qu’ils adhèrent à l’idée d’une réunion pour adopter une politique, pour prendre une décision ferme et correcte. » [1]
Fidel appelait à mettre toute son énergie à organiser par en bas un large mouvement pour l’annulation de la dette du Tiers-monde, ce combat est toujours d’actualité.
Éric Toussaint