Daech considère le continent européen comme un théâtre intégré d’opérations terroristes. La fermeture toute récente du corridor d’accès des djihadistes à la Turquie est intervenue trop tard pour casser l’élan de la campagne d’Europe, lancée par le bien mal-nommé Etat islamique depuis le printemps 2014. C’est pourquoi il faut élargir les problématiques hexagonales, au mieux franco-belges, pour appréhender la menace djihadiste dans sa réalité européenne. L’Allemagne constituera la première de ces études de cas, suivie du Danemark et de l’Espagne.
UNE DYNAMIQUE FRANCO-ALLEMANDE
La carte ci-dessous rend compte des actions menées ou inspirées par Daech durant un seul mois, de la mi-juillet à la mi-août 2016. Cette carte présente de sérieux problèmes de méthode, ne serait-ce que pour la date annoncée du 16 juillet 2016, alors qu’elle prend en compte l’attentat de Nice l’avant-veille. Mais elle met en lumière le caractère coordonné de la campagne djihadiste à l’échelle du continent. On ne peut dès lors que regretter que ce soit un think tank basé à Washington, et non une institution européenne, qui ait élaboré ce document, présenté ici par défaut.
ISW
C’est par Francfort qu’était revenu de Syrie Mehdi Nemmouche [1], le djihadiste français qui a « ouvert » la campagne de Daech en Europe avec l’attaque du Musée juif de Bruxelles (4 morts en mai 2014). Et c’est la reddition d’un djihadiste syrien en France, en février 2016, qui a permis le démantèlement, quatre mois plus tard, d’une cellule de trois autres djihadistes syriens, entrés en Allemagne comme réfugiés, entre mars et juillet 2015. Les trois terroristes projetaient un attentat-suicide dans une rue commerçante de la vieille ville de Düsseldorf.
LA CIBLE DES RÉFUGIÉS
De même que l’obsession de Daech est de provoquer la sédition inter-communautaire en France, une obsession comparable voit l’organisation djihadiste chercher avec constance à « impliquer » les réfugiés en Allemagne. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de déstabiliser une société démocratique en alimentant une escalade de violences poussant, par la terreur, certains groupes contre d’autres. La prise des musulmans de France en otages par Daech renvoie à une prise d’otages tout aussi collective des réfugiés moyen-orientaux en Allemagne. A cela s’ajoute la virulente campagne de Daech à l’encontre des réfugiés syriens, accusés d’avoir fui la terre supposée « bénie » du califat autoproclamé.
On a ainsi assisté en juillet 2016, en écho des tueries de Nice, Magnanville et Saint-Etienne-du-Rouvray, à deux attaques djihadistes en Allemagne [2], l’une à la hache par un demandeur d’asile afghan de 17 ans, dans un train à Würzburg, l’autre de type kamikaze par un réfugié syrien de 27 ans, contre un festival de musique à Ansbach. Dans les deux cas, les terroristes, loin d’être des « loups solitaires », avaient reçu des instructions depuis le Moyen-Orient juste avant leur passage à l’acte, qui n’a heureusement fait aucune victime mortelle.
800 DJIHADISTES ALLEMANDS
Un peu plus de 800 personnes ont rejoint la Syrie et l’Irak depuis l’Allemagne ces dernières années, la plupart pour s’enrôler dans Daech. L’un d’entre eux, Reda Seyam, a même gravi les échelons de la hiérarchie djihadiste jusqu’à en devenir « ministre de l’éducation » (sic), mais sa mort a été annoncée dans un bombardement en Irak en décembre 2014. Le chef du « contingent » allemand serait aujourd’hui un Berlinois né en Autriche, Mohammed Mahmoud, un « vétéran » du djihad médiatique, qui a mis au service de Daech ses compétences acquises auprès d’Al-Qaida (il est apparu en septembre 2015 sur une vidéo d’exécution à Palmyre). Cent quarante djihadistes allemands seraient déjà morts, dont au moins 14 dans des attentats-suicides.
La police fédérale allemande, le BKA, a étudié le profil de 677 de ces djihadistes. Il en ressort que 61 % sont nés en Allemagne (contre 6 % en Turquie, 5 % en Syrie et 5 % en Russie) et 64 % ont la nationalité allemande. 21 % sont des femmes et 18 % des convertis, une proportion légèrement inférieure à celle enregistrée en France. Un de ces convertis, Christian Emde, a acquis une notoriété certaine après avoir été interviewé sur place par le journaliste allemand Jürgen Todenhöfer [3], instrument volontaire de la propagande de Daech en décembre 2014.
L’OMBRE DE L’AMNI
Nils Donath, arrêté en Allemagne peu après les attentats de janvier 2015 à Paris, a reconnu avoir été membre de l’Amni, la branche sécuritaire de Daech qui, sur le modèle des « services » de Saddam, a évolué des besognes de basse police vers les actions en territoire « ennemi » [4]. L’Amni, surnommé « la Gestapo de Daech » par certains analystes allemands (et parfois transcrit Emni dans la presse anglo-saxonne), est aujourd’hui responsable de la planification terroriste internationale. L’Amni avait ainsi au moins tenté de recruter Harry Sarfo, un autre djihadiste interpellé en Allemagne en juillet 2015. Un troisième djihadiste, arrêté en avril 2016, aurait même été « infiltré » dans les filières de réfugiés par nul autre qu’Abdelhamid Abaaoud [5], le responsable du massacre du 13 novembre 2015 à Paris, tué peu après à Saint-Denis.
C’est l’éventualité d’un triangle opérationnel entre l’Allemagne, la France et la Belgique, qui préoccupe le plus les spécialistes allemands du contre-terrorisme. Mais leur pire cauchemar serait bien entendu un attentat sanglant perpétré par un réfugié, qui déchaînerait les passions populistes, voire racistes. Pour l’heure, l’Allemagne a échappé à ce scénario-catastrophe, même si la vigilance est de rigueur outre-Rhin.
Nous verrons dans le prochain post comment le défi djihadiste se pose, cette fois au Danemark.
Jean-Pierre Filiu