Le gouvernement vient d’annoncer le principe d’une déclaration des revenus par internet pour tous les contribuables, sauf pour ceux qui n’y ont pas accès.
La démarche est normale et nécessaire, à l’heure où la voie de l’internet est aujourd’hui le mode de communication habituel pour les actes de la vie quotidienne, que cela soit avec sa banque ou la sécurité sociale, sans oublier nos e-mails ou les réseaux sociaux.
Bien sûr, il y aura des personnes qui ne pourront pas le faire, soit par ce qu’elles ne sont pas connectées à internet, soit parce qu’elles souhaitent des conseils. La DGFIP saura prévoir un accueil informatique dans ses centres et ses services de proximité, pour permettre à ces personnes d’y effectuer une déclaration électronique.
La conséquence logique est que les avis d’imposition, que cela soit pour l’impôt sur le revenu et les impôts locaux, seront adressés en retour par le fisc également par internet, sous forme dématérialisée. On recevra nos avis d’imposition sous forme de fichiers pdf, comme nous recevons aujourd’hui nos factures téléphoniques ou d’EDF.
J’avais souligné, en juin, dans mon article consacré à la retenue à la source, la bizarrerie que constitue en France, d’un point de vue fiscal, le statut de la femme mariée.
Alors qu’en droit un homme égale une femme, ce n’est pas toujours vrai pour la fiscalité.
Une femme célibataire, une veuve, une femme divorcée non remariée, une femme pacsée égalent bien fiscalement un homme, en tant que contribuable. Et comme les hommes, ces femmes sont considérées comme des contribuables à part entière. A ce titre, elles reçoivent une déclaration pré-remplie, elles font ensuite leur déclaration personnelle de revenus et reçoivent un avis personnel d’imposition, qu’elles doivent bien entendu payer.
Cela sera aussi le cas pour une femme divorcée vivant en couple avec un homme célibataire ou divorcé et leurs enfants, mais sans être passés devant Monsieur ou Madame le Maire. Ce couple non marié fait deux déclarations, une pour chacun, et paie chacun ses impôts sur ses revenus personnels. Il reçoit chacun sa déclaration pré-remplie et sa feuille d’impôt, avec mention de ses seuls revenus personnels qui ne sont pas communiqués à l’autre.
En revanche, ce n’est pas le cas pour la femme mariée.
En effet, l’article 6 - 1 du CGI (Code Général des Impôts) dispose : Chaque contribuable est imposable à l’impôt sur le revenu, tant en raison de ses bénéfices et revenus personnels ….. Sauf application des dispositions du 4 et du second alinéa du 5, les personnes mariées sont soumises à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d’elles et ceux de leurs enfants et des personnes à charge mentionnés au premier alinéa ; cette imposition est établie au nom de l’époux, précédée de la mention « Monsieur ou Madame ».
Ainsi, lorsqu’une femme est mariée, ses revenus sont fondus avec ceux de son mari et l’imposition des revenus du couple marié, et donc de ceux de Madame, est établie au nom de l’époux, mais l’avis d’imposition est quand même précédé de la mention « Monsieur ou Madame ».
C’est Monsieur qui reçoit seul la feuille d’impôt. Mais le paiement est à la charge des deux et peut même être à la charge de la seule épouse si le mari n’a pas le sou.
L’époux a ainsi connaissance des éléments concernant son épouse. Et l’inverse n’est pas nécessairement vrai, car l’épouse ne reçoit rien de personnel de la part du fisc, ni déclaration pré-remplie, ni feuille d’impôt. Elle est donc soumise au bon vouloir de son mari pour avoir accès à l’information.
Or, elle n’a pas toujours la possibilité de connaître les éléments concernant son mari, si ce dernier ne veut pas les lui donner. Et cela se produit fréquemment, notamment lorsque des difficultés surviennent dans le couple. Lorsqu’il s’agit de parler de pension alimentaire, beaucoup de femmes n’ont aucun accès aux informations fiscales les concernant, pas plus qu’à celles concernant leur mari.
Cette situation rappelle étrangement le début des années 60, où, jusqu’en 1965, la femme mariée pouvait avoir un compte bancaire ou travailler, mais sous condition que son époux en ait été informé et qu’il ait donné son accord.
Demain, la déclaration de revenus par internet sera réservée au seul mari, qui recevra seul dans sa boite mél personnelle la déclaration pré-remplie. Et bien sûr, c’est lui qui recevra seul, toujours dans sa boite mél personnelle, le fichier pdf d’imposition.
Avec cette nouvelle procédure, la femme mariée sera totalement tenue à l’écart, elle n’aura connaissance ni de la déclaration pré-remplie ni de l’avis d’imposition définitif.
Alors qu’avec la forme papier actuelle, elle pouvait consulter ces éléments, avec l’accord de son mari, ou pourquoi pas, à son insu, en consultant ses papiers.
Aussi, je repose la question.
Pourquoi aujourd’hui le contribuable époux devrait-il connaitre la situation fiscale de sa femme, ses revenus ou ses dépenses conduisant à une réduction d’impôt, alors que celle-ci ne le peut pas, s’il n’est pas d’accord ? Si l’on suit cette logique, pourquoi alors le mari ne devrait-il pas connaitre aussi le bulletin de vote de safemme avant qu’elle ne le glisse dans l’urne, ou recevoir le relevé de ses communications téléphoniques ou de ses SMS ?
Je me suis toujours demandé pourquoi les mouvements féministes ou ceux épris d’égalité homme – femme n’ont pas combattu cette situation, qui devrait, en bonne logique, être un jour condamnée par la Cour Européenne des droits de l’Homme.
A la réflexion, il n’y que les défenseurs acharnés du mariage qui refusent de changer cette situation.
Mais, est-ce une raison suffisante pour considérer les femmes mariées comme des incapables majeurs fiscalement, des contribuables de seconde zone ?
Je pense que dans le nouveau dispositif « électronique » l’on devrait, à tout le mois, exiger du fisc qu’il adresse deux avis d’imposition, l’un au mari, l’autre à l’épouse. C’est techniquement tout à fait réalisable, à peu de frais, car le fisc a l’identité des deux personnes, comme cela est mentionné sur la déclaration pré-remplie adressée chaque année, ainsi que les adresses mél de chacun des époux, qu’il sera obligatoire de communiquer.
Cela présenterait un double avantage pour la femme mariée.
D’une part, elle se sentirait considérée et reconnue comme un contribuable à part entière. Et mise sur un pied d’égalité avec les autres femmes non mariées.
Et surtout, elle aurait en main toutes les informations financières concernant son couple, et notamment celles concernant son mari, ce dont ne dispose pas aujourd’hui la majorité des femmes mariées.
Mais à bien y réfléchir, c’est sans doute ce que l’on cherche à éviter.
ROLAND VEILLEPEAU