Compte tenu de leur impuissance institutionnelle totale depuis des années, les démocrates américains ont obtenu un grand succès, mardi 7 novembre, en faisant basculer la majorité du Congrès. Ce basculement a été comparé à la victoire électorale des républicains au milieu du premier mandat de Clinton, en 1994, début de leur période de domination qui a duré jusqu’à aujourd’hui. Cependant, même si ce vote a été largement tourné contre le gouvernement fédéral, la nouvelle minorité reste en position de freinage (notamment au Sénat, démocrate à un siège près, ou grâce aux juges conservateurs nommés à la Cour suprême), voire de blocage (pouvoir de veto du président). Jusqu’à nouvel ordre, c’en est fini du règne d’un seul parti, mais on peut s’interroger sur les conséquences de ce rapport de force serré, au-delà de la satisfaction actuelle de Wall Street.
L’élection a été marquée par un vote contre Bush et la gestion de l’Irak (plutôt qu’un vote contre la guerre) ; le vieux « faucon » Donald Rumsfeld en a déjà fait les frais, ce dont on ne peut que se réjouir. Mais la prochaine étape semble être entre les mains d’une commission, créée au printemps, qui réunit démocrates et républicains. Sous l’influence des proches de Bush père, les deux camps se gardent bien de prendre des positions définitives, surtout sur le degré d’investissement dans la guerre. Quoi qu’il en soit des conclusions futures de la commission, on parle de discussions avec l’Iran ou la Syrie et d’une approche plus multilatérale. Il suffit de penser au passé des hommes de Bush père pour saisir les limites du basculement. C’est l’occasion de rappeler la catastrophe qu’est cette guerre, mais aussi le sens des mots « solution diplomatique » : sauvegarde moins arrogante mais tenace des intérêts des États-Unis, dans cette seconde guerre du Golfe comme dans la première. Nombre d’électeurs ont sanctionné les mensonges, mais continuent à défendre la « guerre contre le terrorisme », mère de toutes les escalades (Iran, Palestine, Liban), et des réformes liberticides (États-Unis).
Les démocrates ont, parfois, fait campagne sur la limitation du prix des médicaments, la hausse du salaire minimum ou un protectionnisme économique pour l’emploi. Mais c’est aussi par un glissement progressif vers la droite qu’ils ont conquis le Congrès, jurant de ne pas augmenter les impôts. On peut parler d’une défaite pour le camp néoconservateur, mais pas d’une victoire de la « gauche ». Sur de nombreux thèmes, les scrutins locaux ont donné des résultats réactionnaires. L’immigration est un exemple de thème sur lequel un terrain d’entente bipartisan peut être trouvé, mais ce terrain serait proche du second projet de loi de ce printemps, encore très réactionnaire. Dans ces conditions, les propositions de politique énergétique, alimentées par la géostratégie du pétrole et ses coûts grandissants, ont toutes les chances de profiter aux producteurs plus qu’aux usagers, sans réel progrès écologique.
La nouvelle majorité démocrate a donc hérité d’une situation assez bloquée. Elle devra pourtant faire la différence dans ce qui est déjà une précampagne pour la présidentielle de 2008. Ce dilemme en rappelle de précédents : en 1974 et en 1986, une victoire importante des démocrates s’était soldée, deux ans plus tard, par la victoire d’un démocrate très à droite (Carter, 1976) ou d’un républicain (Bush père, 1988), loin de l’image d’une nouvelle ère renvoyée par certains médias. Il est donc trop tôt pour juger. On peut simplement penser que cette cohabitation est un bon moment pour dénoncer le vrai visage des deux partis au pouvoir ou, du moins, dans le cas d’un blocage des institutions, de développer face à lui des mobilisations sociales et anti-impérialistes des minorités et des travailleurs.