La ruée vers l’or entraîne des ravages jusqu’au plus profond de la forêt amazonienne, d’après une étude publiée dans la revue Environmental Research Letters [1]. Grâce à des images satellitaires, des scientifiques de l’université de Porto Rico ont pour la première fois documenté l’ampleur de la déforestation causée par l’extraction de l’or en Amérique du Sud. Ils révèlent le lourd tribut payé à cette activité par l’environnement et les populations locales.
Depuis le début des années 2000, la demande mondiale en or a bondi. En cause, l’incertitude économique, qui incite les investisseurs à se tourner vers cette valeur refuge, et l’augmentation du niveau de vie en Inde et en Chine, devenus gros consommateurs de métal jaune. Le prix de l’once d’or est ainsi passé d’environ 250 dollars en 2000 à 1 200 dollars aujourd’hui. Ce qui a stimulé l’exploitation du précieux métal jusque dans des régions où elle n’était jusqu’alors pas rentable.
C’est le cas dans les forêts tropicales d’Amérique du Sud. En 2011 déjà, une étude, publiée dans la revue PLoS ONE et basée sur des images du satellite Landsat [2], avait montré une nette augmentation de la déforestation dans la région reculée de Madre de Dios, située au Pérou, dans le sud-ouest du bassin amazonien. « L’extraction de l’or y est surtout le fait d’orpailleurs illégaux, qui exploitent les dépôts aurifères dans les rivières. Ils coupent les arbres aux alentours pour installer leurs campements, explique Jean-Christophe Domec, de l’université de Caroline du Nord, qui a participé à l’étude de PLoS ONE. Ce qui est inquiétant avec cette nouvelle étude, c’est que le phénomène semble très répandu. »
Les auteurs de la recherche parue dans Environmental Research Letters ont utilisé des images satellitaires mises gratuitement à disposition par la NASA pour observer l’évolution de la couverture forestière dans diverses régions d’Amérique du Sud connues pour leur exploitation aurifère. D’après leurs estimations, cette activité aurait entraîné la perte de 1 680 km2 de forêt au total entre 2001 et 2013. Le phénomène est en expansion : si entre 2001 et 2006 seuls 377 km2 ont été perdus, les forêts rasées entre 2007 et 2013 occupaient 1 303 km2.
Le mercure se répand
Les scientifiques portoricains ont identifié quatre zones particulièrement touchées par la déforestation liée à l’or. Elles comprennent l’écorégion de la forêt tropicale guyanaise, notamment au Surinam, le sud-ouest de l’Amazonie, comprenant le département de Madre de Dios, l’écorégion de Tapajos-Xingu au Brésil, et la région d’Uraba et de la vallée de Magdalena en Colombie. « D’autres activités comme l’agriculture ou l’exploitation du bois jouent un rôle plus important en termes de surface de forêt dégradée, souligne Claudio Maretti, responsable de l’initiative Amazonie vivante du WWF. Mais les mines ont d’importants effets indirects. Elles entraînent la construction de routes et autres infrastructures, et attirent des migrants. Leur apparition occasionne souvent une dégradation de la situation des communautés locales, avec le développement de la prostitution et l’apparition de maladies. »
L’emploi de mercure pour amalgamer l’or est aussi à l’origine d’une forte pollution. Une fois libéré dans les rivières, ce métal se répand sur de vastes surfaces. Des scientifiques américains ont ainsi relevé des taux élevés de mercure dans des cours d’eau situés à plus de 200 kilomètres de sites miniers, d’après une autre étude menée dans la région de Madre de Dios et parue en décembre 2014 dans Environmental Science : Processes & Impacts [3]. Or le mercure s’accumule dans la chair des poissons et menace la santé des personnes qui les mangent. Chez les enfants, en particulier, il entraîne des troubles du développement neurologique.
Enfin, l’exploitation de l’or met en danger des zones particulièrement riches en biodiversité, d’après l’étude des Environmental Research Letters. Elle se déroule dans certains cas jusqu’à la frontière d’aires naturelles protégées, comme le Parc national Rio Novo au Brésil et le Parc national Bahuaja Sonene au Pérou. « Les acheteurs d’or devraient prendre conscience de ces impacts sociaux et environnementaux et réclamer de l’or provenant d’exploitations qui respectent de bonnes pratiques », espère Claudio Maretti.
Pascaline Minet (« Le Temps »)