La chute d’Alep Est a représenté un tournant majeur dans le cadre su soulèvement populaire syrien. Donnant un formidable avantage au régime pour consolider son pouvoir sur tout le territoire, il a aussi permis aux puissances internationales et régionales de faire avancer leurs intérêts politiques propres.
Rôle de la Turquie
Un petit retour sur la chute d’Alep Est qui n’aurait sûrement pas été possible aussi facilement, sans l’accord de la Turquie. Le président turc Erdogan, est resté silencieux sur les événements d’Alep, tandis que son premier ministre déclarait qu’il ne voyait pas d’objection à la présence d’Assad dans une période de transition. Erdogan, a en en fait conclu un accord avec les dirigeants russes et iraniens qui peut être résumé de la manière suivante : Alep pour ces derniers et Jarablus et autres régions frontalières pour le premier.
Pour rappel, certaines brigades islamiques et de l’Armée Syrienne Libre (ASL), affilié au gouvernement turc, dépendant de son assistance politique et militaire, avaient quitté le front d’Alep, assiégé depuis juillet, pour participer à l’intervention turque en Syrie depuis la fin aout contre Daech, mais surtout contre les forces kurdes du PYD (organisation sœur du PKK en Syrie). Des milliers de soldats des forces armées d’opposition syrienne avaient dès lors été détournés du front d’Alep pour les intérêts du gouvernement turc au détriment des syriens. La priorité sur le terrain est en effet donnée à la lutte contre l’autonomie et à la prévention de toute expansion des forces kurdes du PYD au nord-est de la Syrie.
Cessez le feu et reprise des manifestations populaires
Les ministres des affaires étrangères et de la défense de l’Iran, de la Turquie et de la Russie se sont d’ailleurs rencontrés le 20 décembre pour discuter du futur de la Syrie. À l’issue de cette conférence, les trois puissances ont adopté une déclaration commune visant à mettre fin au conflit en Syrie, par laquelle ils s’engagent à œuvrer à la mise en place d’un cessez-le-feu dans l’ensemble du pays, et que la priorité aujourd’hui en Syrie doit être de lutter contre le terrorisme et non d’aller vers un changement de régime à Damas. Une déclaration qui a reçu le soutien des pays occidentaux, malgré leurs absences.
Suite à cette première réunion, un cessez-le-feu national (qui exclut les forces jihadistes Daech et Jabhat Fateh al-Sham), parrainé par la Russie, la Turquie et l’Iran, a été mis en œuvre, le 30 décembre, mais des violations continuent à être commises dans certaines régions par le régime Assad et ses alliés. L’aviation de Damas a en effet bombardé plusieurs régions d’opposition, tandis que les forces du régime et du Hezbollah ont surtout poursuivi leurs offensives militaires dans une zone située au nord-ouest de Damas dans la vallée de Wadi Barada. Cette région est très importante pour deux raisons : les principales sources d’approvisionnement en eau potable pour les plus de cinq millions d’habitants de Damas et de ses environs s’y trouvent, tandis que ce secteur clé constitue une ligne d’approvisionnement majeure entre le Liban et Damas utilisé par le Hezbollah.
Le régime Assad a accusé les forces d’oppositions armées d’avoir « contaminé au diesel » les réserves d’eau et coupé le réseau d’approvisionnement vers Damas qui connaît de sérieuses pénuries depuis le 22 décembre, tandis que les forces d’oppositions armées ont affirmé que ce sont les bombardements du régime qui ont endommagé ces installations. Même si aucune des deux versions ne peut être confirmés jusqu’à aujourd’hui, de nombreux éléments portent à croire que la responsabilité du régime est engagée très fortement.
De nombreuses forces d’opposition armées, agissant sous la dénomination de l’Armée Syrienne Libre et des autres forces islamiques, ont déclaré qu’elles avaient décidé de bloquer toute discussion sur leur possible participation aux négociations de paix préparées par Moscou au Kazakhstan, à moins que le régime syrien et ses alliés soutenus par l’Iran cessent leurs violations et offensives continues contre Wadi Barada, En même temps, des manifestations populaires massives avec des slogans démocratiques et non confessionnels ont eu lieu les deux derniers vendredi (31 décembre et 6 janvier) dans les territoires libérées, profitant du cessez le feu, malgré des violations.
Les intérêts des peuples kurdes sacrifiés
Peu de jours après l’annonce officielle de la prise de contrôle d’Alep par le du régime, le 29 décembre 2016, des responsables militaires russes ont organisé une réunion dans la base aérienne russe à Hemeimem, en Syrie, avec divers représentants des mouvements kurdes, dont les deux principales composantes, le PYD, et du Conseil National Kurde pour discuter des relations futures entre eux et le régime d’Assad. Les autorités du régime ont soumis une liste de conditions qui encadreraient les relations entre Damas et l’enclave kurde, dont le régime Assad a jusqu’à aujourd’hui rejeté de reconnaître : soutien des mouvements kurdes à Bachar al-Assad aux prochaines élections, abandon de leur demande principal d’établir un système fédéral en Syrie, tandis que le drapeau syrien doit être brandi sur tous les bâtiments et bureaux gouvernementaux et publics dans les régions à majorité kurde contrôlé actuellement par le PYD. En contre partie, le régime ne réprimerait pas les mouvements kurdes, tandis que certaines demandes des partis kurdes seraient discuté, sans garantie de les réaliser. Sentant le vent tourné en sa défaveur, les autorités kurdes du PYD avaient annoncé la suppression du mot Rojava – qui signifie Kurdistan occidental en Kurde – du nom officiel de la fédération du nord de la Syrie la veille des négociations.
Des informations ont également fait état du départ des forces armées du PYD des quartiers kurdes d’Alep qu’ils contrôlaient depuis plusieurs années après un ultimatum de Damas à ces dernier de se retirer à la suite de la reconquête de la ville par le forces pro régime et de ses alliés. Finalement les forces kurdes du PYD n’ont pas été invités aux négociations de paix préparées par la Russie au Kazakhstan.
L’avenir pour les peuples en luttes en Syrie, (Arabes. Kurdes et autres), s’obscurcit chaque jour un peu plus, malgré des résistances populaires locales et démocratiques qui continuent, à la fois contre le régime et les mouvements islamiques fondamentalistes.
A nouveau, le cas de la Syrie a démontré la cécité de ceux et celles qui pensent pouvoir conclure des accords stratégiques ou mettre leur confiance avec des puissances internationales et régionales impérialistes pour réaliser l’émancipation des classes populaires. Le processus révolutionnaire syrien a montré qu’elles sont au contraire des ennemis des classes populaires voulant se libérer de leurs chaines.
Joseph Daher
9 janvier 2016