La constituante est un axe stratégique dans la lutte pour l’indépendance du Québec. Mais la perspective de constituante ne peut être que l’aboutissement d’une montée d’un pouvoir populaire car sa réalisation manifestera la volonté politique pour la majorité du peuple d’assumer sa souveraineté sur la société qu’elle veut construire pour répondre à ses besoins et à ses aspirations tant sur le terrain social que sur le terrain national.
A. Le retour de la constituante dans le champ politique
2003, l’Union des forces progressistes (UFP) est fondée suite à un processus de recomposition de la gauche politique. Ce processus trouve ses bases dans la multiplication des ruptures avec le Parti québécois qui mène depuis des années maintenant une politique néolibérale sur le terrain social et s’enfonce totalement dans l’impasse en ce qui concerne la perspective de la réalisation de son projet de souveraineté-partenariat.
Ce qui s’impose de plus en plus dans la gauche, la leçon de l’expérience péquiste, c’est que la lutte nationale n’appartient plus au Parti québécois et qu’il ne faut plus que la lutte pour l’indépendance soit le seul fait d’un parti politique ou des différentes fractions qui s’imposent à sa direction. C’est à partir de là que la nécessité du lien entre l’indépendance nationale et souveraineté populaire est reconstruite.
C’est ce que reflète le retour de la perspective de constituante dans le champ politique. La constituante, c’est le maillon ou le moment démocratique entre un projet de libération nationale et un projet de société égalitaire et écologique. Un nouveau projet social et national majoritaire ne pourra s’enraciner que par l’expression de la souveraineté populaire. Et l’expression de cette dernière passera la mise en place d’une constituante.
B. Les conditions de l’enracinement de cette perspective
Mais entre l’esquisse d’une perspective stratégique et son enracinement qui transforme cette idée en force matérielle, il y a une accumulation d’expériences dans des luttes économiques,sociales et culturelles qui permettra la réorganisation des capacités de résistance des différents secteurs du peuple québécois à l’offensive néolibérale. Il y a surtout l’affirmation de l’autonomie des classes subalternes face aux élites politiques qui défendent les intérêts économiques de l’oligarchie et le bon ententisme avec la bourgeoisie canadienne.
C’est pourquoi la perspective de la constituante comme expression de la souveraineté populaire ne pourra se concrétiser que par une transformation du rapport de force entre les classes fondamentales de la nation québécoise, et par la réorganisation de la lutte indépendantiste autour d’un projet de transformation sociale radicale. Soit une fraction très minoritaire de la bourgeoisie québécoise, sa fraction nationaliste, continuera à être capable de travestir les aspirations nationales du peuple et les conduira à l’impasse et à des replis identitaires régressifs, soit les classes salariées dominées dans la société québécoise seront capables d’assurer leur autonomie politique et de se poser comme une direction conséquente capable de mener le combat indépendantiste jusqu’au bout unifiant toutes les composantes de la société québécoise la rendant ainsi capable d’assumer et de défendre la rupture avec l’État canadien.
L’élection d’une constituante signifierait le refus de la constitution canadienne, de sa légitimité. Elle serait l’affirmation que la loi constitutionnelle du Québec ne découlera pas de modifications constitutionnelles négociées avec le Canada, mais bien le fruit de délibérations du peuple québécois lui-même. C’est pourquoi la constituante ne saurait se réduire à un simple processus de consultation à froid dans le cadre des institutions canadiennes. Elle ne pourra se réaliser que dans le contexte d’une crise majeure de la domination canadienne sur le Québec d’une part et de la marginalisation de la domination des élites procapitalistes sur le mouvement national du Québec d’autre part. De plus, il sera donc nécessaire d’opérer un saut qualitatif dans la reconnaissance des droits des autochtones, si nous voulons jeter les bases d’une nouvelle alliance stratégique. On ne peut poser la question de la constituante pour la société québécoise sans poser la question des rapports que cette société doit entretenir avec les nations autochtones.
C. La constituante comme perspective de transformation de la majorité sociale en majorité politique
C’est le rapport de force qui est déterminant. La constituante ne pourra mettre dans un texte constitutionnel que le rapport de force réel que la majorité populaire aura su construire dans la société québécoise. En ce sens la nouvelle constitution (et la constituante qu’il l’aura élaborée) ne changera vraiment la donne que si elle est l’apogée de la vaste mobilisation populaire contre la destruction de l’État social, contre le pillage du Québec par les grandes entreprises minières, pétrolières et forestières, contre la destruction de l’environnement, contre le maintien de notre caractère de minorité comme nation par le pouvoir fédéral.
Dans ces conditions, l’élection d’un parti ou (d’une alliance de partis politiques indépendantistes) peut être un déclencheur de cette démarche, car il en aura obtenu non seulement un mandat électoral, mais le mandat social que serait le refus affirmé de ceux et celles d’en bas de continuer à vivre dans le type de société que l’oligarchie au pouvoir leur impose.
Nous n’en sommes pas là. Mais, avancer maintenant la perspective de constituante nous permet d’expliquer que ce n’est que la souveraineté populaire agissante qui nous permettra d’expliquer le nécessaire lien entre projet social d’une société égalitaire, féministe et écologique et projet d’indépendance nationale. Elle permet d’expliquer que ce lien se construira par l’extension des droits démocratiques jusqu’au droit, pour la majorité de définir, effectivement, le type de société dans laquelle elle désire vivre.
Bernard Rioux, 17 janvier 2017