C’est un cri d’alarme à l’échelle de la planète. Rarement un rapport annuel d’Amnesty International aura été aussi sombre, porteur de tensions, d’exclusions et de toutes les violences. Des dirigeants du monde entier, comme Donald Trump aux Etats-Unis, propagent des discours de haine « diabolisant » certains groupes, une rhétorique « toxique » qui rend le monde plus dangereux, s’alarme l’organisation non gouvernemenetale (ONG) qui craint ce qu’elle appelle un « effet domino ».
Rendu public à Paris, mercredi 22 février, le document jette une lumière crue sur les multiples atteintes aux droits humains perpétrées par des gouvernements et des groupes armés. Les conflits et la répression qui sévissaient dans plusieurs régions du monde ont cette année encore poussé un très grand nombre de personnes à fuir.
A nouveau, le monde est confronté à une longue liste de crises, sans que l’on constate une réelle volonté politique de les résoudre. Des crimes de guerre ont été perpétrés dans au moins 23 pays en 2016. Trente-six ont « violé le droit international en renvoyant illégalement des réfugiés dans des pays où leurs droits étaient menacés », précise l’ONG.
Rhétorique cynique du « nous contre eux »
Mais ce rapport témoigne surtout, au fil de ses 504 pages, de l’impact dévastateur des discours de rejet et de peur prononcés par les hommes politiques. Des paroles qui se sont multipliées favorisant le repli identitaire et développant une rhétorique cynique du « nous contre eux » à un niveau, souligne le document, qui n’est pas loin de rappeler les années 1930. Salil Shetty, secrétaire général de l’ONG et présent à Paris lors de la présentation du rapport, souligne :
« Les notions de dignité humaine et d’égalité, l’idée même de famille humaine ont été attaquées de façon violente et incessante dans des discours remplis d’accusations instillant la peur et désignant des boucs émissaires, propagés par ceux qui cherchaient à prendre le pouvoir ou à le conserver à tout prix. »
Le rapport indique que de très nombreux responsables politiques ont répondu aux préoccupations liées à l’instabilité économique ou à la sécurité en accusant les minorités, les migrants ou les réfugiés d’en être les responsables. Les discours « clivants » d’un Donald Trump aux Etats-Unis, un Viktor Orban en Hongrie, un Recep Tayyip Erdogan en Turquie ou d’un Rodrigo Duterte aux Philippines s’acharnant sur des groupes entiers de population, les désignant comme boucs émissaires, propagent, d’après les auteurs, l’idée selon laquelle certaines personnes sont moins « humaines » que d’autres.
Ces discours de rejet, selon eux, ont un effet direct sur les choix politiques, affirme l’ONG qui rappelle que nombre de gouvernements ont légitimé la surveillance de masse, donné aux forces de l’ordre des pouvoirs illimités et fait voter des lois qui restreignent le droit d’asile et la liberté d’expression. Salil Shetty précise :
« Les craintes étaient certes perceptibles pendant la campagne électorale américaine avec les propos incendiaires du candidat Trump. Mais aujourd’hui, ce même candidat Trump est au pouvoir, Duterte a lui aussi été élu et l’effet du Brexit et de la montée des mouvements d’extrême droite en Europe n’ont pas fini de se faire sentir. »
Et de citer le décret anti-immigration fermant temporairement les frontières des Etats-Unis aux réfugiés et aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane, suspendu depuis, ou encore l’accord « illégal et irresponsable » conclu entre l’Union européenne et la Turquie, permettant de renvoyer des demandeurs d’asile dans ce pays. M. Shetty ajoute :
« Imaginez la légitimité que cela donne à d’autres gouvernements peu scrupuleux des droits humains comme l’Egypte ou les Philippines. »
Le rapport d’Amnesty précise que les Etats les plus puissants ont tendance à se replier sur leurs intérêts nationaux au détriment de la coopération et de la solidarité internationales qui ont fondé l’ordre mondial depuis la seconde guerre mondiale. La majorité des Etats, même s’ils prétendent encore défendre les droits humains font en fait marche arrière reviennent sur leurs engagements. Le Conseil de sécurité des Nations unies est, lui, paralysé par des rivalités internes.
« Discours déshumanisants »
Les conséquences sont dramatiques, insiste le document, tant pour la protection des réfugiés, que pour la justice internationale et de fait, pour l’ensemble des droits humains. Le président de l’ONG souligne :
« Prenez le cas des réfugiés somaliens, dont un nombre important était accueilli aux Etats-Unis, Leur situation est aujourd’hui dans un flou juridique inquiétant. »
« Les discours déshumanisants, ajoute John Dalhuisen, directeur d’Amnesty International pour l’Europe, c’est quand le premier ministre hongrois qualifie les migrants de “poison”, c’est quand [le député néerlandais d’extrême droite] Geert Wilders parle de la “racaille marocaine”, c’est quand le premier ministre néerlandais [Mark Rutte] écrit une lettre ouverte invitant les migrants à se comporter “normalement” ou de rentrer chez eux. » Loin d’être l’apanage de chefs de file de partis d’extrême droite, insiste le responsable, ces paroles stigmatisantes ont été adoptées « parfois de façon voilée, parfois de façon plus ouverte » par « des partis dits centristes ».
Après 2016 annus horribilis, 2017 sera « une année de résistance », espère Salil Shetty, rappelant les mobilisations citoyennes aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne ou encore récemment en Espagne où plus de 200 000 personnes se sont rassemblées à Barcelone pour l’accueil des réfugiés.
« Nos espoirs reposent sur le peuple, les gens doivent se mobiliser. »
En France, l’ONG met en garde contre « la haine, la peur, ou le repli sur soi »
En France, où le rapport annuel de l’ONG a été exceptionnellement présenté, Amnesty International dénonce la restriction des droits fondamentaux dans le cadre des mesures prises pour lutter contre le terrorisme. En particulier l’état d’urgence, décidé après les attentats jihadistes du 13 novembre 2015 et prolongé depuis. Selon son recensement, de fin 2015 à fin 2016, « seules 0,3 % des mesures liées à l’état d’urgence ont débouché sur une enquête judiciaire pour faits de terrorisme ».
En revanche, « ces assignations à résidence ont entraîné des pertes d’emploi ou la marginalisation de ces personnes », déplore Camille Blanc, présidente d’Amnesty international France, interrogée par l’Agence France Presse. L’ONG considère par ailleurs qu’en matière d’accueil des réfugiés, « la France n’a pas pris ses responsabilités au niveau international » et ne protège pas suffisamment les réfugiés et migrants présents sur son sol.
« Dans le cadre des élections présidentielle et législatives qui vont avoir lieu en 2017, la France est à la croisée des chemins concernant les droits humains, qui font écho à une tendance mondiale, et les citoyens ne doivent pas tomber dans le piège de ces discours qui entraînent la haine, la peur, ou le repli sur soi », selon Camille Blanc. Face aux renoncements des grandes puissances à se battre pour le respect des droits et libertés, et la passivité des Etats face aux atrocités et crises vécues en Syrie, au Yemen, ou encore au Soudan du Sud, Amnesty international appelle chacun à se mobiliser et agir.
Nicolas Bourcier
Journaliste au Monde