Bien que les origines de la Journée internationale des femmes trouvent ses origines aux États-Unis, la social-démocrate allemande Clara Zetkin a proposé en 1910 une célébration internationale annuelle de la fête. La Journée internationale des femmes a été célébré le 8 mars en Allemagne en 1911 et dans plusieurs autres pays européens. La Russie suivit avec une petite manifestation en 1913, mais la Journée internationale des femmes en Russie fut éclipsée par le Premier Mai et l’anniversaire du massacre du dimanche sanglant qui eut lieu le 9 janvier 1905.

Manifestation de femmes, Petrograd, 1917.
En 1917, les différents groupes socialistes russes n’ont pas réussi à s’unir derrière des slogans communs pour la Journée internationale des femmes et n’ont donc pas pu mener une action commune. Sans une imprimerie à cette époque, les Bolcheviks ne publièrent pas de tract ou dépliant pour cette journée.
Le Comité Interdistrict, auteur du dépliant ci-dessous [page suivante], voulait rassembler toutes les factions du Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR) dans un front uni contre la guerre, l’autocratie et les tentatives libérales pour attirer les travailleurs dans un effort patriotique pour soutenir la guerre. Plus tard en 1917, le Comité Interdistrict, que Léon Trotsky a rejoint quand il est revenu en Russie, fusionna avec le courant bolchevique.
Selon l’historien Tsuyoshi Hasegawa, le Comité Interdistrict a voulu que le dépliant ci-dessous éduque les travailleurs plutôt que de provoquer la rébellion. Aucun des socialistes masculins ne s’attendait à ce que, en ce jour férié, les travailleuses servent de catalyseur à la Révolution de Février, qui renverserait l’autocratie.
La pénurie alimentaire était devenue un fait banal en mars 1917. Le matin du 8 mars (23 février), une pénurie de carburant à Pétersbourg a empêché les boulangeries de fonctionner. Les femmes (ou leurs enfants) qui faisaient la file pendant des heures n’avaient pas de pain à acheter. Anticipant les cris de leurs enfants demeurés le ventre creux, les travailleuses ont atteint la limite de leur patience. Les femmes ouvrières du textile se sont mises en grève et ont appelé les métallurgistes à se joindre à eux. Les socialistes radicaux ont rapidement décidé d’ajouter des slogans contre l’autocratie et la guerre aux appels pour du pain.
De cette façon, inopinément et lors d’un jour commémoratif que la plupart de la gauche radicale considérait comme d’importance mineure, la Révolution de Février a commencé.
Sélection, traduction en anglais et and annotation pr Barbara Allen.
Traduction en français par Marc Bonhomme.
Parti ouvrier social-démocrate de Russie
Prolétaires de tous pays, unissez-vous !
Femmes travailleuses, camarades !
Depuis 10 ans, les femmes de tous les pays ont observé le 23 février comme la Journée des femmes travailleuses, comme le « Premier mai » des femmes. Les femmes américaines ont été les premières à la célébrer comme la journée pour mesurer leurs forces. Peu à peu, des femmes du monde entier les ont rejointes. Ce jour-là, des réunions et des assemblées sont tenues où des tentatives sont faites pour expliquer les raisons de notre situation difficile et pour en montrer la voie de sortie.
Il y a longtemps que les femmes sont entrées dans les usines et les fabriques pour gagner leur pain. Pendant longtemps, des millions de femmes se sont tenues debout toute la journée devant les machines sur un pied d’égalité avec les hommes. Les propriétaires d’usine exploitent à la fois les camarades hommes et femmes jusqu’à l’épuisement. Les hommes et les femmes sont jetées en prison pour avoir fait grève. Les hommes et les femmes ont besoin de lutter contre les propriétaires. Mais les femmes sont entrées dans la famille des travailleurs plus tard que les hommes. Souvent, elles ont encore peur et ne savent pas ce qu’elles doivent demander et comment le demander. Les propriétaires ont toujours utilisé leur ignorance et leur timidité à leurs dépens et le font toujours.
En ce jour surtout, camarades, pensons à vaincre notre ennemi, le capitaliste, le plus vite possible. Nous nous souviendrons de nos proches et de ceux que nous aimons qui sont au front. Nous nous souviendrons de la difficile lutte qu’ils ont menée pour arracher aux propriétaires chaque rouble supplémentaire de salaire et chaque heure de repos et chaque bribe de liberté du gouvernement. Combien d’entre eux sont tombés au front ou ont été jetés en prison ou contraints à l’exil pour leur brave lutte ? Vous les avez remplacés à l’arrière, dans les fabriques et les usines. Votre devoir est de poursuivre leur grande cause, celle d’émanciper toute l’humanité de l’oppression et de l’esclavage.
Travailleuses, vous ne devriez pas freiner les camarades qui restent, mais plutôt vous devriez les rejoindre dans une lutte fraternelle contre le gouvernement et les propriétaires d’usine. C’est pour ces derniers que la guerre est menée, tant de larmes versées et tant de sang répandu dans tous les pays. Ce terrible massacre est entré dans sa troisième année. Nos pères, maris et frères périssent. Ceux que nous aimons arrivent à la maison comme des malheureux et des infirmes. Le gouvernement tsariste les envoya au front. Il les a mutilés et les a tués, mais il ne se soucie pas de leur subsistance.
L’effusion du sang des ouvriers paraît sans fin. Les ouvriers ont été abattus le dimanche sanglant, le 9 janvier 1905, et massacrés lors de la grève des mines d’or de Lena en avril 1912. Plus récemment, des travailleurs ont été abattus à Ivanovo-Voznesensk, Shuia, Gorlovka et Kostroma. Le sang des travailleurs est répandu sur tous les fronts. On fait le commerce du sang du peuple et on vend la Russie pièce par pièce. Ils envoient des soldats presque sans armes à une mort certaine sous la mitraille. Ils tuent des centaines de milliers de personnes sur le front et ils en profitent financièrement.
Sous le prétexte de la guerre, les propriétaires des usines et des fabriques essaient de transformer les ouvriers en serfs. Le coût de la vie augmente terriblement dans toutes les villes. La faim frappe à la porte de chaque foyer. Des villages, ils emportent le bétail et les derniers morceaux de pain pour la guerre. Pendant des heures, nous faisons la queue pour la nourriture. Nos enfants sont affamés. Combien d’entre eux ont été négligés et ont perdu leurs parents ? Ils sont laissés à eux-mêmes et beaucoup deviennent des hooligans. La faim a poussé beaucoup de filles, qui sont encore des enfants, à faire le trottoir. Les machines asservissent beaucoup d’enfants contraints de travailler au-delà de leur capacité physique jusqu’à tard dans la nuit. Le deuil et les larmes sont tout autour de nous.
Les temps sont difficiles pour les travailleurs, non seulement en Russie, mais dans tous les pays. Il n’y a pas si longtemps, le gouvernement allemand supprima cruellement un soulèvement des affamés à Berlin. En France, la police est enragée. Elle envoie des gens au front pour avoir fait la grève. Partout, la guerre entraîne le désastre, le coût élevé de la vie et l’oppression de la classe ouvrière.
......
Camarades, femmes travailleuses, en faveur de qui la guerre est-elle menée ? Faut-il tuer des millions de travailleurs et de paysans autrichiens et allemands ? Les ouvriers allemands ne voulaient pas non plus se battre. Les nôtres ne vont pas volontiers au front. Ils sont obligés d’y aller. Les ouvriers autrichiens, anglais et allemands y vont aussi à contre-cœur. Ils y vont les larmes aux yeux dans leur pays comme dans le nôtre.
La guerre est menée pour l’or, qui fait briller les yeux des capitalistes lesquels en profitent. Les ministres, les propriétaires d’usines et les banquiers espèrent pêcher en eaux troubles. Ils deviennent riches en temps de guerre. Après la guerre, ils ne paieront pas d’impôts militaires. Les ouvriers et les paysans supporteront tous les sacrifices et paieront tous les frais.
Chères camarades, allons-nous continuer à tolérer cela silencieusement pendant très longtemps, avec des explosions occasionnelles de rage bouillante contre les petits commerçants ? Ce ne sont pas eux qui causent les calamités du peuple. Ils sont ruinés eux-mêmes. Le gouvernement est coupable. Il a commencé cette guerre et ne peut pas la finir. Elle ravage le pays. C’est sa faute si vous êtes affamées. Les capitalistes sont coupables. Il n’en ont que pour leurs profits. Il est bientôt temps de leur crier : Assez ! À bas le gouvernement criminel et toute sa bande de voleurs et de meurtriers. Vive la paix !
Déjà le jour de la rétribution approche. Il y a longtemps, nous avons cessé de croire les rhistoires des ministres du gouvernement et de ses maîtres. La fureur populaire augmente dans tous les pays. Les travailleurs partout dans le monde commencent à comprendre qu’ils ne peuvent pas s’attendre à ce que leurs gouvernements mettent fin à la guerre. S’ils concluent la paix, cela entraînera des tentatives de prendre les terres d’autrui, de voler un autre pays, et cela mènera à un nouveau massacre. Les travailleurs n’ont pas besoin de ce qui appartient à quelqu’un d’autre.
À bas l’autocratie ! Vive la révolution ! Vive le gouvernement révolutionnaire provisoire ! À bas la guerre ! Vive la République démocratique ! Vive la solidarité internationale du prolétariat ! Vive le RSDRP uni !
Comité Interdistrict de Pétersbourg
Barbara Allen, auteur de la biographie d’Alexander Shlyapnikov, 1885-1937 : la vie d’un vieux bolchevik [1] a écrit l’introduction et a traduit le dépliant du russe à l’anglais. Marc Bonhomme a traduit de l’anglais au français. Ces textes font partie de la série en anglais de Socialist Worker donnant une vue de la rue de la révolution russe de 1917 [2]. La série est éditée par John Riddell et est co-publiée sur son site Web [3].
Source original : Publié en russe dans A.G. Shliapnikov, Semnadtsatyi god, volume 1, 1923, pp. 306-308.
Références historiques :
— Tsuyoshi Hasegawa, The February Revolution : Petrograd, 1917, Seattle : University of Washington Press, 1981, pp. 215-18.
— Barbara C. Allen, Alexander Shlyapnikov, 1885-1937 : Life of an Old Bolshevik, Chicago : Haymarket Books, 2016.