Du 16 au 19 novembre derniers [2006], les principales organisations de la résistance libanaise ont réuni une conférence internationale au Palais de l’UNESCO à Beyrouth, dans le but de soutenir la résistance et de constituer un front large contre la guerre et les projets hégémoniques des Etats-Unis au Moyen-Orient et dans le monde. Quelque 300 délégués de plus de 30 pays, issus essentiellement du monde associatif, de la gauche politique et des courants islamo-nationalistes, avaient répondu à cet appel, signé notamment par le Parti communiste libanais, le Hezbollah, le Mouvement du peuple (nationaliste arabe) et la Tribune de l’unité nationale. En fait cette initiative avait vu le jour il y a trois mois environ, au contact de la résistance et des délégations internationales venues soutenir le peuple libanais sous les bombes.
Dans le creuset de l’anti-impérialisme
Le Proche et le Moyen-Orient étaient bien entendu fortement représentés à Beyrouth, notamment la Turquie, la Jordanie, la Syrie, l’Egypte et le Maghreb. Quelques représentants palestiniens avaient également réussi à se rendre au Liban. Cependant, un gros tiers des délégués était d’origine européenne, principalement de Grèce, de France et d’Angleterre, mais aussi d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne, de Hollande, de Belgique et des pays scandinaves. Deux délégués de solidaritéS avaient fait le voyage de Suisse.
Aux Européens, il convient d’ajouter aussi des délégations plus restreintes, issues du Canada et des Etats-Unis, mais aussi d’Amérique latine (des zapatistes mexicains), d’Asie orientale et d’Afrique subsaharienne.
Parmi les organisations présentes, on distinguera cinq composantes essentielles : les mouvements nationalistes et islamo-nationalistes arabes, la gauche politique anticapitaliste, les coalitions anti-guerres et les réseaux altermondialistes, les initiatives de solidarité internationale (en particulier avec la Palestine), ainsi que diverses associations issues de l’immigration, notamment d’origine musulmane.
Depuis 2001-2002, la collaboration du Parti communiste libanais et du Hezbollah au sein de la résistance, de même que les expériences de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP), du Forum social arabe de Beyrouth et des rencontres anti-guerres internationales du Caire, avaient sans doute ouvert la voie à de telles convergences.
Gauche laïque et mouvements islamo-nationalistes
Bien entendu, la principale nouveauté de cette conférence résidait dans l’ouverture d’un dialogue entre deux secteurs anti-impérialistes peu habitués à se parler : la gauche laïque et la mouvance islamo-nationaliste. D’entrée de jeu, le cheick Naïm Qassem, l’un des principaux dirigeants du Hezbollah, annonçait que la victoire de la résistance libanaise était « une victoire pour les opprimés, les pauvres et les hommes libres », qu’il appelait à s’unir à l’échelle planétaire.
Au fil de la conférence, en dépit de divergences de fond sur certaines questions essentielles, les forces de gauche et islamo-nationalistes présentes mettaient en évidence trois points de convergence : la résistance à l’impérialisme, la protection des droits sociaux et la défense des libertés démocratiques.
Dans les débats portant sur les questions stratégiques, plusieurs intervenants ont critiqué la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, en particulier parce qu’elle prévoyait de déployer les troupes de la FINUL II sur le seul côté libanais de la frontière avec Israël, et ceci sous la direction de deux pays membres de l’OTAN, la France et l’Italie. Un délégué italien a dénoncé également les accords militaires qui lient son pays à Israël. Le Parti communiste libanais a insisté de son côté sur le fait que l’implication de troupes européennes au Liban pourrait les amener à collaborer plus étroitement aux projets US au Moyen-Orient.
Lutter contre l’islamophobie
De nombreux intervenants ont aussi dénoncé la montée de l’islamophobie en Europe et en Amérique du Nord, qui permet de justifier la multiplication des interventions militaires néocoloniales au Moyen-Orient et fait obstacle à la solidarité des peuples du monde contre les projets hégémoniques des milieux dominants. Elle contribue ainsi à creuser un fossé entre les immigrés d’origine musulmane et les autres habitants des pays occidentaux. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une nouvelle forme de racisme.
A ce propos, un parlementaire indien de Calcutta a remarqué que la notion même de « clash des civilisations » était une contradiction dans les termes. Une représentante de l’Union juive française pour la paix a insisté sur la nécessité de développer un langage commun pour mieux exprimer les objectifs qui unissent les forces de résistance d’origines différentes. Enfin, un jeune français d’origine algérienne du Collectif des musulmans de France a montré que l’islam était traversé par des contradictions de classe auxquelles la gauche devait être attentive.
Un autre groupe de travail portait sur les médias dominants et leur absence de réflexion critique sur l’offensive néocoloniale en cours au Moyen-Orient et dans le monde. Il suffit pour s’en rendre compte, de constater aujourd’hui l’unanimité troublante des commentaires journalistiques qui attribuent, sans l’ombre d’une preuve, l’assassinat du jeune ministre phalangiste Pierre Gemayel aux services secrets syriens. Ce crime ne profite-t-il pas de façon évidente à la droite pro-occidentale, discréditée par sa collusion avec la France et les Etats-Unis, au moment où le Parti communiste, le Hezbollah (chiite) et le Mouvement patriotique libre du général Aoun (chrétien nationaliste) en appellent à un gouvernement d’unité nationale, à des élections anticipées, au besoin à des mobilisations de rue pour assurer une représentation plus importante des forces de la résistance au sein de l’autorité libanaise…
Mobiliser la conscience universelle
Un atelier spécifique traitait des enjeux juridiques des confrontations en cours, invoquant la nécessité de se battre aussi sur le terrain du droit international. En effet, même si les institutions internationales renoncent presque toujours à statuer contre les violations des règles internationales par les Etats-Unis ou Israël, il ne faut s’efforcer de gagner la bataille de l’opinion publique, quitte à en appeler à la conscience morale universelle. L’idée d’un Tribunal Russel pour juger les crimes de guerre israéliens au Liban, sur le modèle de celui qui s’était tenu en 1967 pour dénoncer les crimes de guerre US au Vietnam, a ainsi été évoquée.
Enfin, la question de la reconstruction des 132’000 maisons et unités de production détruites par les bombes a soulevé d’intéressantes discussions. Comment répondre aux besoins immédiats et permettre le retour rapide des populations ? Comment tenir compte de l’avis des habitants pour reconstruire autrement ? Comment préserver aussi les identités culturelles et les lieux de mémoire, notamment ceux liés à l’histoire de la résistance ?
La journée de conclusion a réaffirmé le droit des peuples à la résistance contre toute forme d’occupation et d’oppression. La résolution finale insiste ainsi sur la nécessité d’unifier dans un cadre pluraliste et démocratique les forces vives qui s’opposent aux projets hégémoniques des Etats-Unis à l’échelle planétaire – notamment celles de la gauche démocratique et des courants islamo-nationalistes. Elle souligne les multiples liens qui unissent les luttes anti-impérialistes et les combats sociaux et démocratiques. Elle propose enfin d’organiser trois moments forts de mobilisation à l’échelle internationale, le 20 mars, le 12 juillet et le 29 septembre 2007, respectivement contre l’occupation de l’Irak, pour soutenir la résistance libanaise et en solidarité avec le peuple palestinien qui lutte pour ses droits nationaux.
Encart
Qu’est-ce que le Hezbollah ?
Le Hezbollah est un mouvement politique chiite fondé dans la période qui suit l’agression israélienne et l’expulsion de l’OLP du Liban, en 1982. Dès la seconde moitié des années 80, et surtout dans le courant des années 90, il devient la colonne vertébrale de la résistance à l’occupation israélienne du Sud-Liban, qu’avait pourtant initiée avant lui le Parti communiste. Sa position a été depuis renforcée par sa résistance acharnée aux agressions israéliennes de 1993, 1996 et 2006. Il dispose aujourd’hui d’un véritable sanctuaire dans les quartiers pauvres de Beyrouth Sud.
Depuis 1992, sous la direction de Hassan Nasrallah, il a pris ses distances par rapport aux orientations « fondamentalistes » de la révolution iranienne pour évoluer vers des positions nationalistes. Ainsi, il s’est prononcé pour l’abandon du système politique confessionnel et a renoncé à la perspective d’un Etat islamiste, qu’il considère comme impossible dans un pays multi-confessionnel comme le Liban : dès 1997, il a intégré des combattants non chiites dans ses Bataillons de la résistance libanaise. Il insiste sur le libre choix de chacun en matière de foi et de prescription religieuses (consommation d’alcool, tenue vestimentaire, femmes voilées). Depuis plusieurs années, il plaide aussi pour des élections au scrutin proportionnel.
L’un de ses responsables, Ali Fayad, présente ainsi les principaux objectifs du Hezbollah : « Nous luttons pour la préservation de la liberté d’expression et d’association. Nous joignons nos forces à ceux qui combattent le capitalisme sauvage incarné par le néolibéralisme, pour la protection de l’économie libanaise des lois du marché et des défis de la mondialisation. Nous réclamons un plus grand rôle de l’Etat dans la protection des classes défavorisées, le développement des services et de la protection sociale » (cité par W. Charara et F. Domont, Le Hezbollah. Un mouvement islamo-nationaliste, Paris, Fayard, 2004, p. 142).
Une telle évolution n’a rien de surprenant ni d’extraordinaire. Depuis les années 30 au moins, on observe une influence réciproque et une osmose permanente entre les forces politiques issues de l’islam, du nationalisme et de la gauche laïque au Moyen-Orient. Ainsi, de nombreuses figures du nationalisme arabe et de la résistance palestinienne, dont Yasser Arafat, sont issues de la confrérie sunnite des Frères musulmans. En sens inverse, le Hezbollah a su capter des forces provenant de la gauche laïque, notamment de la résistance palestinienne au Liban. En somme, le Hezbollah se reconnaît aujourd’hui dans une alliance qui va du Parti communiste à un secteur important de la bourgeoisie chrétienne (le Mouvement patriotique libre du général Aoun, qui dispose d’une large implantation populaire), en passant par l’écrasante majorité de la communauté chiite.
La résistance armée du Hezbollah est largement responsable du retrait des troupes d’occupation israéliennes du Sud-Liban, en 2000, et de la traduction de ses collaborateurs les plus en vue devant les tribunaux libanais. Depuis lors, elle n’a pas désarmé, dans la mesure où la menace israélienne est toujours présente et que le Liban revendique encore la restitution des fermes de Chebaa (région stratégique et acquifère essentielle, occupée depuis 1967), ainsi que la libération des prisonniers libanais encore détenus en Israël.
Le Hezbollah a été placé sur la liste des organisations terroristes par le Département d’Etat US, apparemment à la demande instante d’Ariel Sharon. L’Union Européenne a refusé cependant de le suivre. L’ONU le considère au contraire comme un mouvement national de résistance. En réalité, au-delà de la lutte armée, il est à la tête d’un important réseau d’institutions sociales, en particulier en faveur des familles victimes de la guerre, mais plus largemement dans les domaines de l’éducation, de la santé, du logement et des infrastructures de base. Il détient aussi une chaîne de télévision – el Manar – qui n’a cessé d’émettre pendant l’agression israélienne de l’été 2006.