Bonjour,
Je partage pour l’essentiel ce qu’écrit Gus. J’ai des désaccords politiques non négligeables avec JLM [Jean-Luc Mélenchon] que ce soit maintenant sur sa position concernant le second tour, sur sa vision de la politique étrangère, sur certains points de son programme et surtout sur sa conception de la politique, verticale et autoritaire, ce qui ne m’a pas empêché de voter pour lui. Car, et le résultat le prouve, l’enjeu n’était pas de trouver un candidat avec lequel être d’accord à 100 % - d’ailleurs comment cela pourrait-il être possible ? - mais de faire en sorte que l’exigence de rupture avec des décennies de néolibéralisme puisse s’exprimer clairement. Le résultat est, de ce point de vue, au-dessus de nos espérances avec une percée dans la jeunesse et dans les milieux populaires. Quelles en sont les raisons ? Indéniablement d’abord de son talent et de la capacité à orchestrer une dynamique militante. Mais ces deux aspects étaient aussi présents en 2012 pendant la campagne du Front de gauche. Comme en 2017, les salles étaient alors bondées et les rassemblements gigantesques.
Trois éléments expliquent, à mon avis, ce succès. Le premier est l’effondrement de Hamon. A la sortie de la primaire, ce dernier était à 18 % et JLM à 9 %. Il y a eu un transfert massif de voix de Hamon vers JLM, car Hamon a été incapable de dépasser la contradiction dans laquelle il se trouvait : vouloir rompre avec le quinquennat Hollande tout en réunissant sa famille politique, le PS, dont la majorité a soutenu la politique Hollande. D’où une campagne électorale qui s’est encalminée et est devenue inaudible. Le paradoxe donc est que JLM est devenu, par ce fait, le vote utile à gauche alors même qu’il refusait de mettre en avant l’étiquette de gauche. Le deuxième élément est en lien direct avec le premier. Au fur à mesure que Hamon s’effondrait et que JLM progressait, la crédibilité de sa candidature augmentait et lui permettait de toucher des électeurs nouveaux qui ont vu là une occasion politique inédite à saisir. D’où la progression à la fin de la campagne.
Le troisième élément renvoie à sa posture générale. Au-delà du fait qu’il a évité les dérapages de début de campagne et, si l’on excepte la Syrie et plus globalement une partie de ce qu’il proposait en matière de politique étrangère, il n’y a rien à dire sur le contenu de la campagne, si ce n’est une rupture positive avec la démarche « je suis le bruit et la fureur », attitude qui, je pense, l’avait plombé dans l’après 2012, car ajoutant de l’angoisse à l’angoisse dans une société tiraillée par des peurs multiples.
Reste la question du refus des partis politiques. Il est clair que dans la grande masse de la population les partis n’ont pas bonne presse, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Il donc indéniable que son attitude césariste, au-dessus des partis et les méprisant ouvertement, l’a servi, comme d’ailleurs une attitude similaire a servi Macron. Au-delà des programmes, il est d’ailleurs intéressant de noter les similitudes entre les deux démarches.
Dernier point l’utilisation d’internet. Au-delà de la capacité à utiliser cet outil, l’utilisation d’internet a permis que chaque individu choisisse lui-même son mode d’adhésion à France Insoumise. Un clic suffisait pour en faire partie - 440 000 auraient cliqué -, puis il y avait ceux qui voulait aller un peu plus loin (le soutien financier) et ceux qui voulait aller encore plus loin (la petite minorité dans les groupes d’appui). Un investissement à la carte donc. Evidemment une telle structuration, qui implique l’absence d’un corps électoral stabilisé dans France Insoumise, suppose un centre de décision restreint (JLM et son cercle rapproché) et une verticalité politique à toute épreuve permettant de contrebalancer l’horizontalité du fonctionnement concret.
Quid de la suite ? Si nous nous plaçons dans l’hypothèse que le pire (l’élection de Le Pen) puisse être évité, les élections législatives vont être décisives pour savoir si le résultat de JLM est un feu de paille ou, au contraire, amorce une transformation en profondeur du paysage politique à gauche. La possibilité d’avoir des candidatures unitaires incarnant la gauche de transformation sociale et écologique est aujourd’hui faible et il semble qu’aussi bien France Insoumise que le PCF (sans même parler du NPA, de LO ou d’EELV qui a passé un accord avec le PS) soient dans une logique de concurrence sauvage. France Insoumise va donc présenter des candidats dans la quasi totalité des circonscriptions. Son résultat sera assez déterminant. Le critère sera d’ailleurs, au vu du système électoral, moins le nombre de députés que le pourcentage de voix que fera France Insoumise. S’il se rapproche du résultat de JLM nous serons alors dans une situation totalement nouvelle avec quand même une interrogation : comment passer pour France Insoumise d’un cadre de campagne construit autour et pour un individu à un mouvement politique pérenne ?
Le résultat de JLM est un acquis pour toutes les forces qui s’opposent au néolibéralisme. Comme le dit Gus, « la gauche est de nouveau d’actualité », ce qui n’était pas donné d’avance il y a encore quelques mois. Cela ouvre des possibilités nouvelles pour la création d’une nouvelle proposition politique permettant de dépasser la situation existante. JLM sera-t-il capable d’en prendre l’initiative alors qu’il est (pour le moment ?) dans une simple logique de ralliement ? Que vont faire Hamon et les frondeurs ? Sera-t-il possible d’engager un processus de refondation qui ne se réduise pas à un simple cartel type Front de gauche, mais qui dépasse, tout en les intégrant, les forces politiques existantes en s’appuyant sur les processus très divers de mobilisation en cours dans la société ?
Amicalement
Pierre Khalfa