Le premier tour de l’élection présidentielle a confirmé ce qui était apparu durant les trois mois précédents le scrutin :
– Une crise profonde des deux partis qui ont structuré les institutions depuis 60 ans. Les Républicains (LR, héritier de l’UMP, le parti créé par Jacques Chirac) et le PS, avec une forte polarisation politique à droite.
– L’enracinement national du FN, premier parti dans la moitié des départements et son accession au second tour, ayant joué à fond la carte de la dédiabolisation de son parti d’extrême droite et de l’aile fasciste de sa direction, polarisant dans les classes populaires avec une politique de repli nationaliste et raciste.
– Le holdup up de Macron, avec son image « hors système », réussissant à disloquer l’électorat et une partie de l’appareil socialiste et gagnant une frange réelle de l’électorat du centre droit.
– Une progression importante de Mélenchon, ayant lui aussi siphonné une partie de l’électorat socialiste et tenant à apparaître comme le seul candidat de gauche solide.
– La capacité du NPA à passer l’obstacle des 500 signatures et à mener une très bonne campagne anticapitaliste marquant des points à une échelle large sur plusieurs questions sociales et politiques même s’il y a eu un décalage entre l’écho rencontré et le score obtenu.
1/ Une instabilité profonde sur fond de polarisation à droite
La crise du PS et de LR va, de manières différentes, aller en s’approfondissant après le 1er tour.
Le PS risque d’éclater réellement, une partie de l’appareil, autour de Valls annonçant d’ores et déjà la décision de rompre pour rejoindre une éventuelle majorité présidentielle autour de Macron. Il sera difficile pour le reste de l’appareil de retenir cette dérive. D’un côté, Le retour à une identité social-démocrate et keynésienne avait été plébiscité par les électeurs des primaires de la gauche, en janvier, qui refusaient la continuation des politiques d’austérité. De l’autre, l’essentiel des cadres du PS a été gagné depuis longtemps au social-libéralisme et Macron en occupe l’espace. La survie du PS comme parti de premier plan n’est donc plus assurée.
Les Républicains sont devant des difficultés de nature différente. Avec sa candidature, avant même ses affaires, Fillon avait cristallisé une droite extrême de combat, galvanisant l’électorat de la droite la plus réactionnaire et traditionnaliste. C’est autour de cet axe que la campagne a été menée, tirant un trait sur tout programme capable de s’adresser à un électorat populaire de la droite choqué par les affaires et la corruption. Les Républicains vont tenter de redresser la barre. Si la crise est moins profonde qu’au PS, là aussi une partie de l’appareil et des notables, à l’image des jeunes autour d’Alain Juppé, d’Estrossi et de Le Maire, est prête à jouer la carte Macron, si tant est qu’il ouvre suffisamment la porte après le 2e tour de la présidentielle.
Dans tous les cas même si, en cas d’élection de Macron, celui-ci bénéficiait pour les législatives de l’appel d’air présidentiel et arrivait à avoir une majorité « En marche », l’hétérogénéité de cette formation ouvrirait une période d’instabilité parlementaire qui pousse déjà Macron à promettre de légiférer par ordonnances.
Si les institutions de la Ve République ont pu s’adapter depuis 60 ans à de nombreuses convulsions politiques et sociales, elles imposent la présence d’un président structurant un parti majoritaire. Hollande a été bloqué pendant son quinquennat par l’incapacité de gérer sa propre majorité. Le cas risque de se renouveler dans les mois qui viennent. Des fenêtres s’ouvriront pour des mobilisations et pour poser la légitimité du pouvoir.
Cette situation globale témoigne de la difficulté générale des partis bourgeois de maintenir une quelconque crédibilité politique, une assisse sociale suffissante, après des décennies de remises en cause de l’Etat social, de chômage massif, de politique d’austérité qui frappent de plein fouet les classes populaires. Cette politique, mise en place en France dans le cadre de l’Union européenne, a abouti sur le fait que l’extrême droite plus la droite de combat (Le Pen +Fillon+Dupont-Aignan+Asselineau) polarisent 47% des votes de ce premier tour et que plus de 24% se sont prononcés pour un candidat qui promet la mise en œuvre accéléré d’un programme capitaliste néolibéral. La nature du FN, la politique des Républicains et la volonté de Macron de gouverner par ordonnance montrent que la classe dominante sait que pour faire passer sa politique, elle devra utiliser des moyens de plus en plus autoritaires et réprimer toujours plus.
2/ La place du Front national
Même si elle n’a pas atteint son objectif, Le Pen est présente au second tour et commence à polariser au-delà de ses frontières politiques comme en témoigne le ralliement de Christine Boutin et de Dupont-Aignan. En faisant sauter ces barrières et en brisant la règle de l’isolement, l’objectif, au-delà de la présidentielle, est de faire du second tour un tremplin pour les législatives, en imposant un groupe FN à l’Assemblée nationale capable de peser politiquement, d’autant plus en cas d’instabilité parlementaire. Le Front national, avec un million de voix de plus en qu’à la présidentielle de 2012, 3 millions de plus qu’à celle de 2002, poursuit son enracinement et renforce son implantation militante.
Le vote Le Pen est majoritaire chez les ouvriers, les salariés du public et les chômeurs ayant voté. Le FN approfondit son implantation dans le Nord de la France où elle est première dans tous les départements des Hauts-de-France, dans les communes rurales et désormais aussi dans les villes moyennes.
L’enjeu pour nous avant et après le deuxième tour est de combattre cette idée que le Front national serait devenu un parti comme les autres. C’est un parti d’extrême droite dont le socle est toujours l’héritage du FN fasciste de Jean Marie Le Pen. Son programme est la destruction des droits démocratiques, la remise en cause de tous les droits du mouvement syndical et du mouvement social. Pour faire avancer sa place dans les classes populaires frappées par les politiques capitalistes, il reprend démagogiquement à son compte quelques revendications sociales comme l’augmentation des bas salaires ou la retraite à 60 ans, alors que son programme économique est un programme patronal et qu’il développe un programme de division des exploité-e-s, visant à renforcer les discriminations contre les personnes d’origine immigrée, un programme de haine raciste, et à épargner les vrais responsables de la misère et du chômage. Le FN est une menace directe pour les populations immigrées et issues de l’immigration, en premier lieu les réfugié-e-s. Nous devons donc à la fois dénoncer le FN comme étant lui aussi, un parti du système, un parti capitaliste protégeant de fait les capitalistes et les banques, mais nous devons aussi le dénoncer comme le pire ennemi du mouvement ouvrier, des exploité-e-s et des opprimé-e-s.
3/ Une gauche en crise profonde
La gauche, dans toutes ses composantes, pèse moins de 30% et n’arrive à rassembler que 10 millions de voix. Les partis issus du mouvement ouvrier ont été rayés du second tour de cette élection.
Avec un score de 19%, Mélenchon a réussi à consolider sa candidature et à apparaître comme le principal candidat de gauche. Il a joué sur plusieurs registres : il a réussi à capter et polariser l’essentiel de ceux et de celles qui se sont mobilisés l’année dernière contre la loi El Khomri et, en général, l’essentiel des courants de mobilisation sociale de ces dernières années, reprenant grosso modo les principales revendications de ces mouvements. Parallèlement, il a, comme Macron, siphonné une part importante de l’électorat du PS, qui voyait en lieu la possibilité d’avoir un candidat de gauche au second tour. Aussi, dans les dernières semaines, la campagne Mélenchon est devenue de plus en plus une campagne républicaine, nationaliste, gommant les aspects les plus radicaux et les axes de combat contre l’austérité. Il s’agissait, en fin de compte, de ramener la radicalité et la révolte contre le système de millions de personnes dans un cadre institutionnel et républicain.
Dans tous les cas, en refusant avant et pendant la campagne de construire un cadre de campagne et de convergence démocratique, JLM se retrouve devant une difficulté. La galvanisation autour de sa propre campagne ne peut pas perdurer. Il sera difficile pour lui d’échapper au débat sur les suites, car l’exigence de créer un rapport de force social et politique va apparaître comme une nécessité grandissante. Le programme keynésien de Mélenchon, même s’il reprenait beaucoup des exigences du mouvement social, éludait la question de l’affrontement nécessaire avec le patronat, de la mobilisation populaire pour imposer ne serait-ce même que le programme de la France Insoumise. Les leçons de la Grèce montrent bien que tout programme contre l’austérité se heurte nationalement et à l’échelle européenne aux intérêts capitalistes et aux institutions les garantissant. De plus, le refus de toute construction démocratique et pluraliste va réapparaître avec force lors des élections législatives avec la division concurrentielle des forces ayant fait le succès électoral de JLM (notamment entre les candidats estampillés France insoumise et le PCF, Mélenchon ayant jusque-là refusé tout accord de répartition).
La gauche du PS, le PCF, les électeurs de Mélenchon, la sphère sympathisante autour du NPA sont donc face à un problème commun, malgré les divergences profondes : celui de la reconstruction du mouvement ouvrier organisé, de secteurs prêts à militer au quotidien pour défendre les exploités.
4/ la campagne du NPA : des éléments de reconstruction
Semaine après semaine, la candidature de Philippe Poutou s’est imposée dans le NPA, autour de lui et dans les médias. A l’issue de la campagne, on peut dire qu’à l’échelle de ses forces, c’est une réussite indéniable.
Dans le contexte de discrédit des politiciens professionnels et des scandales de Fillon et Le Pen, Philippe Poutou est apparu très largement et d’autant plus après le 4 avril, comme un candidat ouvrier, exprimant tout haut les préoccupations et les ressentiments des classes populaires vis-à-vis des partis institutionnels. Il a aussi fortement marqué l’opinion avec sa dénonciation du FN. La campagne a aussi marqué des points, plus qu’en 2012, sur plusieurs questions politiques : le désarmement de la police, la suppression des privilèges des élus, notamment, et dans une moindre mesure l’interdiction des licenciements. Tributaires d’une élection fortement personnalisée et dépendant fortement des apparitions médiatiques, il y a eu une première phase de marginalité, notamment jusqu’à l’obtention des 500 signatures. Par contre, la candidature Poutou a bénéficié d’un fort éclairage médiatique après le Grand débat entre les candidats du 4 avril sur BFM. Il s’est confirmé que, dans une campagne présidentielle, les énormes efforts consentis portent leurs fruits dans les trois dernières semaines. Les interventions de Philppe Poutou, des autres porte-parole, le matériel de campagne a permis de mettre en avant d’autres aspects du programme du NPA, comme les changements climatiques, le nucléaire et NDDL, les questions de santé, les discriminations et le soutien à l’accueil des migrants, le rejet des interventions militaires françaises et la solidarité dans la lutte contre Bachar El Assad.
L’écho a été positif et grandissant, même si dans les derniers jours la fusillade des Champs Elysées a mis en difficulté le positionnement sur la question du désarmement de la police. En revanche, la campagne n’a pas réussi à développer d’autres points importants du programme d’urgence du NPA : la lutte contre le chômage (partage du temps de travail, interdiction des licenciements, augmentation du smic…) et le projet de société.
Par contre, la pression montante des « votes utiles » pour la présence de Mélenchon au second tour ou même pour celle de Macron a limité le succès proprement électoral de la campagne, le nombre de voix. Ce climat a aussi largement entravé les débats et l’expression des positions sur la question de la représentation des exploitéEs et des oppriméEs.
L’assistance aux meetings a été crescendo ainsi que le nombre de contacts et a redonné une bonne dynamique à l’activité militante de nombreuses sections du NPA. Reste à transformer cela en force militante et à maintenir une présence politique audible et visible à une échelle large.
5/ Construire la lutte contre le FN et les politiques libérales
Durant la campagne le NPA a été, dans plusieurs villes, à l’initiative ou au cœur de mobilisations contre le FN avec un large arc de front unique et de réels succès dans plusieurs villes. Par contre, le parti a été moins réactif dans celles qui ont eu lieu dans heures et les jours qui ont suivi le résultat du premier tour, subissant la résignation concernant la présence du FN au second tour et n’ayant souvent pas osé, en raison du faible score et de la légitimité limitée, prendre des initiatives.
Pour le second tour le 7 mai, il s’agit de convaincre que le FN est une menace grave pour les exploité-e-s et pour leurs outils de résistance, menace renforcée par les moyens accrus de l’état d’exception mis en place en instrumentalisant les attentats. Il est indispensable de combattre contre tout vote en sa faveur, affirmer que, dans le camp des exploités, il ne faut pas une voix pour Le Pen.
Nous ne tirons pas de trait d’égalité entre Macron et Le Pen, sans donner de consigne de vote pour Macron. Si le vote pour celui-ci peut révéler des illusions dans les institutions, le ni-ni peut symétriquement révéler une sous-estimation du danger du Front national. De notre côté, nous mettons en avant que ce sont les mobilisations qui feront reculer le vote FN, réduiront la légitimité de Macron et devons préparer le combat contre le prochain gouvernement.
Il est logique que les mobilisations ciblent en priorité le Front national, qui est un ennemi mortel de notre camp social, mais la bataille contre le FN ne doit pas être déconnectée d’une bataille contre les politiques libérales qui le nourrissent, qui sont menées depuis des années par le PS et LR, adossés aux institutions européennes, et vont continuer avec Macron. Nous voulons préparer le mouvement ouvrier à s’opposer de façon militante à la politique que celui-ci va mener dès avant l’été. Il faut combattre le FN aujourd’hui, mais être conscients que 5 ans (ou moins) de politique ultra libérale menée par Macron ne feront que renforcer l’extrême-droite si dans le même temps nous n’avançons pas dans la construction d’une expression politiques des exploité-e-s et des opprimé-e-s qui lui dispute le terrain, oppose au racisme et à la concurrence entre opprimé-e-s, une perspective émancipatrice fondée sur la solidarité et le combat commun.
6/ Reconstruire le mouvement ouvrier
Un des bilans de cette élection est la faiblesse du poids du mouvement ouvrier organisé, les reculs de la confiance dans l’action collective de classe contre les politiques d’austérité, perte de confiance et de conscience dont bénéficie le Front national. A contrario, les mobilisations de l’année dernière contre la loi Travail, celles de NDDL, de la Guyane, de la COP21, montrent que les ressorts existent pour que les mobilisations sociales prennent toute leur dimension politique.
C’est sur ce terrain que nous mettrons tous nos efforts dans les semaines, les mois à venir, en agissant pour construire et renforcer les outils d’action collective, syndicats, associations, cadres unitaires.
Il est vital, surtout dans les conditions politiques actuelles, que les racines du NPA soient solidement plantées dans le mouvement social, dans les luttes, que nos militant-e-s aient comme boussoles de formation l’action collective, les mobilisations, à l’opposé des pressions institutionnelles, et s’attachent à faire converger les luttes sociales, écologistes, féministes, internationalistes.
7/ Assurer la dynamique positive générée par la campagne
Le NPA devra, par de multiples initiatives locales, des réunions publiques, des meetings et la préparation de l’Université d’Eté, stabiliser et organiser les contacts militants réalisés durant la campagne.
Les travailleur-se-s, les exploité-e-s se sont exprimées de diverses manières dans cette élection. En dehors des étranger-e-s sans droit au chapitre, beaucoup se seront abstenus de voter. D’autres, beaucoup trop, ont été attiré-e-s par le vote Le Pen, y voyant un vote populaire, ayant aussi malheureusement souvent cédé aux idées racistes voyant dans les étrangers, d’Europe ou d’ailleurs, des ennemis et non des camarades de luttes. D’autres ont voté Mélenchon, ou même Hamon, voyant en lui l’expression de leurs luttes, de l’exigence de justice sociale. D’autres moins nombreux ont même voté Macron au 1er tour voyant en lui un rempart contre le FN. Le vote pour Philippe Poutou marquait l’exigence de la lutte anticapitaliste.
C’est à elles et eux tous que nous devons nous adresser maintenant : l’absence d’un parti représentant les intérêts des exploitéEs et des oppriméEs laisse les mains libres aux ennemis des classes populaires.
Aussi, nous voulons chercher à rassembler dans la rue et les mobilisations notre classe, celle des exploité-e-s et des opprimé-e-s, comme elle s’est rassemblée contre la loi El Khomri, comme elle s’est mobilisée en Guyane, entraînant le petit patronat et les autres secteurs intermédiaires.
Mais nous voulons aussi, au-delà de ces luttes, tracer la voie du rassemblement dans une même force politique autour d’un programme anticapitaliste, de rupture révolutionnaire avec le capitalisme et avec ses institutions, qu’elles soient nationales ou européennes.
Nous voulons débattre de ce projet avec toutes celles et tous ceux qui cherchent la voie de ce rassemblement nécessaire, certes des organisations ou groupes militants constitués, mais surtout en nous adressant, en rencontrant dans des réunions ouvertes des militantEs du mouvement social. La refondation d’un projet politico-social et idéologique alternatif à ce capitalisme destructeur de droits sociaux et de l’environnement ne sera crédible et attractive que si elle émerge de pratiques pluralistes et démocratiques, ancrées dans les réseaux militants, rejetant la subordination des mouvements sociaux aux partis politiques – donc en inventant une redéfinition radicale du “politique”.
Léon Crémieux, Antoine Larrache