1. Pour la troisième fois depuis que le président de la République est élu au suffrage universel, la gauche était absente du second tour. La nouveauté est que, cette fois, la mésaventure est advenue, en même temps, à la gauche et à la droite de gouvernement. Pour les deux blocs qui se partageaient l’Assemblée nationale, la plupart de leurs électeurs se sont trouvés placés devant, au mieux, un choix par défaut.
Le résultat est dans les chiffres : au moins 25% d’abstentions et 8,8% de votes blancs ou nuls. Au total, un électeur sur trois a dit qu’on le contraignait à un choix impossible. C’est à peine moins qu’en 1969 (le total des abstentions et du vote blanc s’élevait alors à 35,6%). On retiendra cette fois le signal particulier que donne le niveau record des votes blancs, qui double presque par rapport à ses scores les plus élevés de 1995, 2012, 1969 et 2012. Alors que l’abstention est à la fois un phénomène social (la mise à l’écart des catégories populaires) et un indice d’insatisfaction politique, le vote blanc est un acte politique conscient, propre à une population souvent éduquée et politisée. Voici quelque temps que se renforce l’idée que ce vote doit être comptabilisé comme un choix à part entière : le scrutin présidentiel de 2017 renforce sans conteste cette exigence.

2. Le score du Front au premier tour et le résultat du second suggèrent que les digues existent encore, qui empêchent l’extrême droite d’accéder au pouvoir, comme elle a pu y parvenir dans d’autres pays, y compris au sein de l’Union européenne. Mais nous constatons aussi, une fois de plus, que ces digues sont moins étanches que par le passé. La peur d’une victoire du Front national est désormais contrebalancée par les colères qui se portent contre ceux que le système électoral majoritaire place face à elle au second tour. Le « tout sauf le FN » n’a plus la vigueur qui était la sienne naguère.
Le Front obtient certes un résultat inférieur à ses attentes, moins élevé que ne l’annonçaient les sondages de début de campagne, moins fort que ne le suggéraient les élections départementales et régionales de 2015. Mais il a malgré tout confirmé la conjonction préoccupante d’une influence nationale réelle et d’une implantation territoriale solide, notamment dans la France du Nord, de l’Est et du Sud-Est (voir les données citées plus loin).
Il ne sert à rien, alors, de mettre en cause ceux qui ont considéré qu’ils n’avaient pas à choisir entre la mondialisation et l’exclusion nationale. La responsabilité est à chercher du côté de ceux qui ont érodé le sens du conflit séparant historiquement la droite et la gauche, autour de la question de l’égalité et de la liberté. À force de préférer la compétitivité, la flexibilité, l’équilibre budgétaire, l’état de guerre et l’état d’urgence, on finit par nourrir l’idée que la gauche et la droite se sont rejointes en acceptant les normes de la concurrence et de la gouvernance.
L’extrême droite reste un mal absolu, aujourd’hui comme hier. Mais il n’est plus possible de continuer à gérer la France comme avant, et cela imperturbablement pendant cinq ans, pour appeler in extremis au rassemblement contre la droite extrême.
Cette stratégie est vouée à l’échec, à très court terme. Marine Le Pen a d’ores et déjà doublé le score de son père, quinze ans plus tard. La politique impulsée demain par le nouvel hôte de l’Élysée a toutes les chances d’accroître la colère et, au-delà même, de nourrir le ressentiment qui pousse aux actes désespérés. Le second tour de 2002 était un signe inquiétant ; celui de 2017 doit être pris comme le fracas d’un tocsin.
Les territoires qui se vivent à juste raison comme voués à une certaine marginalité et au déclin, les catégories populaires les plus fragilisées par le recul de l’État-providence ont fini par s’habituer, trop souvent majoritairement, à l’idée que le Front national est pour eux l’ultime recours, dans une logique de fermeture et de repli. C’est à cela qu’il convient désormais de s’attaquer, pour éradiquer les impasses de situations électorales qui, avec le temps, paraissent à beaucoup comme ouvrant sur des choix impossibles.
Le temps des apprentis sorciers, qui ont nourri cette trajectoire, devrait être résolument forclos. Le vote Mélenchon a montré qu’il est une seule façon de stopper l’avancée du Front national : en lui opposant une gauche bien à gauche, populaire, ancrée dans ses valeurs fondatrices et capable de les moderniser. Quelle qu’ait été la configuration frustrante du second tour, c’est son résultat qui a été l’événement le plus marquant de toute la séquence électorale.
3. Emmanuel Macron a, sans surprise, obtenu un large écart avec son adversaire du second tour. Mais, des deux candidats, il est celui qui a recueilli la part la plus faible des votes de conviction. Le nouvel élu ne peut donc se prévaloir d’une majorité de soutien aux options qu’il a énoncées au fil des mois. Il a bénéficié du refus que suscite encore le parti frontiste ; cela ne fait pas oublier qu’au premier tour – celui, où l’on choisit en principe – il n’a pas atteint les 25% des suffrages exprimés.
En approchant les 44% des électeurs inscrits, il n’est certes pas le président numériquement le plus mal élu des annales du scrutin présidentiel (voir tableau ci-après). Il est bien au-dessus de Georges Pompidou en 1969 ou de Jacques Chirac en 1995. Mais il est loin des 60% de ce dernier en 2002. En fait, si l’on additionne la part des électeurs de François Fillon et ceux de Jean-Luc Mélenchon qui se sont portés sur lui contre Marine Le Pen (ils seraient autour de la moitié dans les deux cas), il n’est pas si loin de son pactole électoral du premier tour. Il pourrait être, dès lors, le président qui dispose des bases les plus fragiles pour le fameux « état de grâce » que l’on promettait autrefois aux nouveaux élus.

4. On sait qu’une élection d’un nouveau président ne vaut que si elle s’adosse à des élections législatives qui lui donnent la base parlementaire dont il a besoin pour gouverner. La logique majoritaire des institutions lui assure théoriquement un avantage en ce sens et, jamais jusqu’alors, un président n’a manqué au départ du bloc nécessaire pour appliquer son programme.
Mais nous ne sommes plus dans cette époque, construite par le général de Gaulle, où l’esprit des institutions allait de pair avec l’état du dispositif politique. Pendant longtemps, le principe majoritaire s’est appuyé sur un affrontement clair entre la gauche et la droite et, dans chaque camp, une force politique pouvait jouer un rôle dominant. Or ce modèle est doublement remis en cause, par les aléas d’un clivage épuisé par les gestions suivies de part et d’autre, et par la perte de légitimité du système partisan lui-même. La présidentielle qui vient de s’achever a confirmé la crise des identifications politiques et l’éclatement du paysage général en quatre grands ensembles, à peu près équivalents en impact et par ailleurs plus ou moins cohérents.
Le caractère quasiment automatique du lien entre les consultations présidentielle et législatives n’est donc plus assuré comme par le passé. A priori, le nouveau président ne manque pas d’atouts dans la confrontation électorale qui va s’ouvrir. Il dépasse les 25% dans 190 circonscriptions métropolitaines et les 20% dans 412 d’entre elles. Arithmétiquement, la seule qui l’approche est Marine Le Pen, qui bénéficie même d’une implantation plus ancienne que la sienne. Mais l’arithmétique et la politique ne font pas toujours bon ménage.
Les quelques données de sondage disponibles laissent prévoir pour l’instant une dispersion comparable à celle du premier tour présidentiel. Selon Ipsos, une majorité de sondés ne souhaite pas qu’Emmanuel Macron ait une majorité absolue de députés pour conduire sa politique. Quant à l’Ifop et à Harris Interactive, ils testent les premières intentions de vote : 22 à 26% pour des candidats d’En marche !, 20 à 22% pour la droite gouvernementale, 20 à 22% pour le FN, 8 ou 9% pour le PS, 3% pour EE-LV. La France insoumise est placée de 13 à 16% et le PCF à 2%.
De façon plus générale, si l’élection législative, accolée à la présidentielle depuis l’instauration du quinquennat, avantage par nature le président désigné, elle inclut des paramètres locaux qui peuvent brouiller la logique institutionnelle. Macron a ainsi pour lui sa position à la tête de l’État ; la droite gouvernementale a pour elle la densité de ses réseaux locaux.

5. Quant à la gauche de gauche, elle a des possibilités non négligeables que confirment les données de sondage. Elle avait mal réussi le passage de la présidentielle aux législatives en 2012. Elle peut bénéficier demain de la dynamique exceptionnelle du vote Mélenchon. Dans une quarantaine de circonscriptions, celui-ci a réuni plus de 30% des suffrages exprimés et plus de 25% dans 66 d’entre elle. D’ores et déjà, une part importante de cet électorat affirme son intention de prolonger son vote aux législatives.
Mais l’une des conditions pour passer d’un scrutin à l’autre est l’unité totale des forces qui ont soutenu la candidature du leader de la France insoumise. La force qu’il a constitué sous ce label a fait la preuve de son efficacité. À ce titre, elle est habilitée à rassembler, sans pour autant qu’il soit besoin de contraindre à se rallier à elle tous ceux qui n’ont pas fait aujourd’hui le choix de rejoindre le nouveau mouvement.
Dans une enquête réalisée par You Gov pour le Huffington Post, plus des deux tiers des personnes interrogées à la fin avril (69%) considèrent que le Front de gauche est uni, ce qui constitue un pourcentage nettement plus élevé que pour toutes les autres composantes partisanes. Le chiffre est plus important encore chez les sympathisants de la gauche de gauche (71%) et surtout chez les plus jeunes, qui ont été un noyau de la dynamique Mélenchon en 2017 (71%%).
Tous ceux-là ne peuvent être déçus : la raison doit donc l’emporter pour parvenir à un accord au plus tôt.
6. Le second tour atypique que nous venons de vivre s’est décidé au premier, dans un écart de voix somme toute modeste, les quatre premiers se situant à un niveau globalement équivalent, ce qui autorisait sur le papier toutes les hypothèses de second tour. Mais on ne peut négliger des données de fond, qui conditionnent la répartition des forces réelles. Trois d’entre elles peuvent être retenues ici : la démobilisation civique des catégories populaires, depuis le début des années 1980, après une longue phase de poussée de la participation civique ; la crise d’une droite traditionnelle perturbée par la dynamique du Front national ; la fragilité d’une gauche désarçonnée par plus de trois décennies d’hégémonie d’un socialisme en voie de recentrage permanent et, ce faisant, privée de son ancrage populaire d’hier.
La gauche de gauche peut aborder l’épisode législatif avec une confiance lucide. Elle part d’un résultat qui rappelle les scores anciens du PCF, qui s’inscrit dans sa trace historique, qui la redynamise en partie (mais pas partout) et qui en même temps la déborde, territorialement, socialement et symboliquement. Dans ce cadre, une campagne législative bien menée, de façon claire, sans ambiguïté et sans sectarisme, a toutes ses chances de porter ses fruits.
Ils ne s’avèreront toutefois durables que dans le contexte d’une recomposition d’envergure. Au début des années 1970, le Parti socialiste mitterrandien a su incarner l’esprit d’une gauche bien à gauche, mais renouvelée. On sait ce qu’il advint de ce passage de témoin entre un communisme incapable de se refonder et un socialisme qui se prit trop vite à confondre modernisation et capitulation.
Le vote Mélenchon montre, en France à l’instar de l’Espagne, du Portugal et peut-être de la Belgique, que la recomposition nécessaire peut s’appuyer enfin sur un vent de radicalité, qui rompt avec des décennies d’essoufflement socialiste. Encore faut-il que cette gauche requinquée n’oublie pas que la reconquête durable des catégories populaires ne passe par le ressentiment mais par l’espérance. Le Front national opposera le ressentiment à la logique économico-sociale d’Emmanuel Macron. La gauche bien à gauche s’attachera, elle, à raccorder la combativité nécessaire à la construction patiente d’un nouvel avenir pour une société égale, citoyenne et solidaire. Là devra se trouver le socle d’une véritable opposition à l’inacceptable. Avec lui, ce combat sera, non pas celui de deux France ou celui du « eux » contre « nous », mais l’élan du « tous ensemble » pour une nouvelle donne. Et pas seulement en France…
Roger Martelli
Présidentielle 2017 : données complémentaires
L’élection de toutes les surprises est derrière nous. Il est utile de la scruter d’un peu plus près, données à l’appui, pour mieux comprendre le vote Mélenchon, le vote FN, l’abstention et le vote blanc ou nul…
La distribution du vote Mélenchon
Le fichier Excel proposé au téléchargement [pour le consulter, se reporter à l’article original] contient plusieurs feuilles de données. La première fournit deux indications : la hiérarchie du vote PCF à la présidentielle de 1969 (où le communiste Jacques Duclos obtient 21,5% des exprimés en France métropolitaine), celle du vote Marchais en 1981 et la hiérarchie départementale des votes Mélenchon en 2012 et 2017.
En 2017, Mélenchon est au-dessus de sa moyenne nationale dans 42 départements. 24 de ces départements (en couleur dans le fichier) ont fait partie, en 1969 et 1981, des zones de plus forte densité du vote communiste. La remarque peut être corroborée si l’on s’en tient aux 20 meilleurs scores sur les quatre élections. En 2012, 9 des plus forts pourcentages obtenus par Mélenchon se trouvaient dans des départements de forte tradition de vote communiste ; on observe le même chiffre de 9 parmi les vingt meilleurs résultats départementaux de 2017.
Si l’on s’en tient à l’échelon départemental, on peut donc considérer que pour une plus de la moitié le vote Mélenchon de forte densité s’est installé dans des zones où le vote communiste était traditionnellement solide, mais où les communistes ont vu progressivement s’éroder leurs positions électorales.
L’évolution du vote entre 2012 et 2017 donne une image sensiblement différente. Le vote Mélenchon progresse certes, comme partout, dans les zones où le PCF était autrefois particulièrement influent. Mais les progrès les plus significatifs, à l’exception du Val-d’Oise, de la Seine-Saint-Denis et de la Corrèze, ne s’observent pas dans l’espace historique du vote communiste.
En fait, les élections législatives de 2012 avaient déjà montré le même phénomène. La progression nationale de deux points, enregistrée entre le vote Front de gauche et le vote législatif PC de 2007, était due à des poussées fortes du vote Mélenchon dans des départements où le PCF avait été peu à peu réduit à une marginalisation électorale quasi complète. En revanche, l’érosion s’était maintenue dans les zones de forte densité du vote en faveur du PC. Il en résultat à la fois un score national en hausse – modeste mais réelle – et une nouvelle et sensible réduction du nombre de députés portant l’étiquette de Front de gauche.
Outre son bon niveau d’ensemble, le vote Mélenchon de 2017 est d’autant plus encourageant que, dans tous les départements sans exception, il est au-dessus des 10% des suffrages exprimés. Après une phase où il s’était nationalisé, entre 1936 et 1945, le vote communiste était progressivement repassé de la couverture électorale nationale à un nouvel archipel électoral. Le vote Mélenchon de 2017 assure à la gauche de gauche une implantation désormais régulière, qu’il reste désormais à traduire en conquête de positions électives locales.
La relance des dynamiques locales qui firent la force du PC est une force du vote Mélenchon, en 2017 comme en 2012. L’implantation en terre jusqu’alors rebelle à l’influence communiste ancienne, dans les franges de l’Ouest et du centre, est une autre dimension de l’initiative. La capacité de progression soutenue dans les zones de forte urbanisation est un troisième atout sur le long terme. Reste à arracher à l’influence frontiste les zones de l’industrialisation et de l’urbanité anciennes, que le déclin économique et le recul des protections sociales a laissé en pâture à la démagogie de l’extrême droite.
Le vote FN : le danger est toujours là
Deux autres feuilles de calcul donnent une synthèse du vote de second tour dans les circonscriptions législatives, en précisant la couleur politique du député sortant. Pour chaque circonscription, on donne le pourcentage des abstentions et du vote blanc et nul (calculé par rapport aux inscrits et aux votants). Une synthèse des votes a été ajoutée, en tenant compte des groupes parlementaires auxquels chaque député est rattaché.
On trouvera encore un tableau indiquant la hiérarchie des votes Macron et Le Pen dans les 538 circonscriptions métropolitaines. On y constate, comme cela a déjà été précisé sur ce site, que le FN est en tête dans 44 circonscriptions et qu’il dépasse les 45% de suffrages exprimés dans 107 circonscriptions en tout.
Le tableau est complété par une synthèse de l’implantation communale du vote frontiste. Dimanche dernier, Marine Le Pen s’est placée en tête dans 9.193 communes de France métropolitaine, soit dans un quart du nombre total des quelques 38.000 communes. Le tableau proposé donne, par département, le nombre de communes où Marine Le Pen a eu la majorité absolue des suffrages exprimés et le pourcentage départemental de communes que représente ce nombre. Il est supérieur à la moyenne nationale des 25% dans 35 départements et même au-dessus des 50% dans 9 départements (Aisne, Oise, Aube, Somme, Var, Pas-de-Calais, Ardennes, Nord, Alpes-Maritimes). Dans l’Aisne, les trois quarts des communes ont donné la première place à la dirigeante du FN en tête, et près des deux tiers dans l’Oise.
Si les dirigeants et militants du FN peuvent être pour une part déçu d’un résultat inférieur à leurs attentes, on retiendra ici qu’il s’inscrit dans processus inquiétant d’ancrage territorial et sociologique de la formation frontiste.
Abstention, vote blanc, vote nul
Trois feuilles du fichier donnent des indications supplémentaires sur le phénomène le plus spectaculaire de ce second tour : l’abstention et, plus encore, les votes blancs et nuls. Les chiffres proposés ici sont calculés sur les départements de la France métropolitaine : l’abstention y est donc un peu moins forte (23,8%) que dans la France entière (25,0%). En revanche, les votes blancs et nuls sont à peu près au même niveau.
L’abstention est à mi-chemin entre le record de 1969 (31% au second tour) et celle de 2012 (18%). La hiérarchie départementale de l’abstention suggère qu’elle combine deux traits. Une part de l’abstention renvoie à des spécificités locales (en Corse par exemple) ou à des dimensions socioculturelles classiques (le désengagement civique plus prononcé des milieux populaires). Sur les 32 départements qui se sont abstenus en 2017, 21 étaient déjà dans ce cas en 2012. Mais d’autres ne sont pas dans ce cas et la progression générale de l’abstention indique qu’il y a cette fois une dimension plus ouvertement politique qu’elle ne l’est d’ordinaire, ce que confirment les données de sondage : la propension à l’abstention semble maximale dans les trois électorats de Jean-Luc Mélenchon, de François Fillon et de Nicolas Dupont-Aignan.
Dans ces trois cas, elle s’articule avec le vote blanc ou nul, sans que l’on puisse attribuer plus particulièrement à tel ou tel électorat une marque de défiance qui, à la différence de 1969 ou de 2002, affecte à la fois la gauche et la droite classique écartées à part égale du second tour « décisif ». Le profil politique des départements les plus nettement portés au vote blanc et nul échappe ainsi à toute typologie simple.
Un tableau simple pousse des conclusions allant dans le même sens. Il regroupe les circonscriptions selon le niveau du vote Mélenchon de premier tour. En toute logique, on pouvait penser que le refus de se choisir avait augmenté avec la densité du vote de premier tour. Or cela n’apparaît pas de façon claire au regard des chiffres obtenus. L’abstention est certes un peu plus importante dans les tranches de vote les plus élevées. Mais il s’agit en fait de zones souvent très populaires, où la propension à l’abstention est plus grande qu’ailleurs. On note d’autre part que le niveau des votes blancs et nuls y est aussi un peu moins forte que la moyenne nationale, que le vote en faveur d’Emmanuel Macron y est sensiblement plus élevé et, ce faisant, que le vote en faveur de Marine Le Pen s’y trouve plus faible.

Les plus férus de statistiques trouveront enfin un dernier tableau, qui renforce l’idée d’un désengagement partagé par la totalité des électorats, en dehors de ceux de Macron et de Le Pen. Une méthode employée en statistique et en calcul des probabilités consiste à calculer ce que l’on appelle des « coefficients de corrélation », qui permettent de dire si des relations peuvent s’établir entre des séries de données différentes.
En l’occurrence, on a cherché s’il était statistiquement possible d’établir un lien entre le niveau des votes de premier tour et les abstentions, votes blancs et votes nuls du second tour. Or le calcul ne laisse entrevoir que des corrélations faibles, un peu plus fortes toutefois pour les votes en faveur des « petits » candidats, mais particulièrement faibles pour le vote Mélenchon. Le comportement des électeurs Mélenchon ne se distingue que faiblement des comportements « moyens » d’un électorat globalement déçu par le débat électoral, mécontent devant une « offre » politique qui ne le satisfait pas. Un électorat qui, selon l’institut de sondage Harris Interactive, est davantage dominé par l’indifférence, l’inquiétude ou la colère (60% en tout) que par l’enthousiasme et la confiance.
Nul doute que c’est la patiente reconstruction de l’espérance qui, tout autant que l’indignation et l’esprit de résistance, sera la clé des relances démocratiques futures.
Roger Martelli