C’était le dernier résultat attendu. Ultime affront pour la première ministre Theresa May, le parti conservateur a perdu son bastion de Kensington, dans l’est de Londres, au profit du parti travailliste qui l’emporte avec vingt voix d’avance.
Après ce dernier résultat, parvenu tard vendredi 9 juin, le parti conservateur dispose de 318 députés au Parlement de Westminster, à huit sièges de la majorité absolue, tandis que le parti travailliste en compte 262, d’après les chiffres officiels.
Sous le choc d’élections législatives qui lui ont fait perdre sa majorité absolue et la fragilisent, Theresa May a reconduit dans leurs fonctions ses principaux ministres, à dix jours de l’ouverture des négociations du Brexit.
Avec 318 sièges, les conservateurs sont arrivés en tête des élections législatives anticipées qui se tenaient jeudi 8 juin, mais ils ont perdu une douzaine de sièges — ils en avaient 330 dans l’assemblée sortante —, tandis que l’opposition travailliste en a gagné une trentaine — avec 261 sièges —, entrainant des demandes de démission de Theresa May.
Dans un très court discours prononcé en début d’après-midi devant le 10 Downing Street, cette dernière a confirmé qu’elle allait former un nouveau gouvernement avec le Parti unioniste démocrate (PUD).
May reconduit son gouvernement
Fragilisée par des appels à la démission, la première ministre a maintenue sa garde rapprochée en reconduisant dans leurs fonctions les ministres des finances, Philip Hammond, des affaires étrangères, Boris Johnson, chargé du Brexit, David Davis, ainsi que la ministre de l’intérieur, Amber Rudd, et son collègue de la défense, Michael Fallon. Downing Street annoncera d’autres nominations dans la soirée.
En milieu de journée, Mme May s’était rendue au palais de Buckingham pour obtenir l’accord d’Elizabeth II.
« Ce gouvernement guidera notre pays dans les discussions cruciales sur le Brexit qui commenceront dans dix jours et répondra au souhait des Britanniques en menant à bien la sortie de l’Union européenne », a-t-elle assuré.
Négociations avec le PUD
L’accord avec le PUD est le fruit d’intenses négociations nocturnes avec le petit parti nord-irlandais, qui a obtenu dix sièges, soit deux de plus qu’au scrutin précédent. Il va permettre aux conservateurs d’obtenir une majorité de 328 sièges, soit la majorité absolue (qui est à 326 sièges). Cette union ne confère toutefois pas à la première ministre conservatrice la majorité « solide et stable » qu’elle espérait pour négocier le Brexit.
A 11 h 15, les travaillistes de Jeremy Corbyn gagnaient 31 sièges à 261 mandats. Le signe d’une campagne réussie pour le chef de parti. « Quel que soit le résultat final, notre campagne positive a changé la politique pour le meilleur », a-t-il tweeté, appelant ensuite à la démission de Theresa May.
Les libéraux démocrates, ouvertement europhiles, gagnaient,eux, trois sièges à 12 mandats, mais sans parvenir à fédérer le camp des 48 % de Britanniques qui avaient voté contre le Brexit.
Un terrible désaveu pour la première ministre
Le taux de participation s’élève à 68,72 %. C’est le plus élevé pour des élections législatives depuis 1997 même s’il est inférieur à celui du référendum sur la sortie de l’Union européenne de juin 2016. Pour la première ministre, c’est un terrible désaveu, elle qui a convoqué ce scrutin anticipé dans le seul but de renforcer sa majorité existante de quatre sièges.
« C’est un désastre pour Theresa May. Son leadership est remis en question », a commenté Iain Begg, professeur à la London School of Economics. « Il semble qu’il va y avoir de l’instabilité et qu’il sera plus difficile pour le gouvernement britannique de négocier le Brexit avec une position ferme », relève Tony Travers, professeur à la London School of Economics.
Le nouveau Parlement siègera une première fois le 13 juin, avant la cérémonie d’ouverture solennelle le 19 juin, au cours de laquelle la reine Elizabeth II lira, comme le veut la tradition, le programme législatif de la nouvelle majorité, à l’occasion du discours du trône.
L’indépendance écossaise remise en cause
A gauche, les nationalistes écossais du Scottish National Party (SNP) essuient également des pertes à 35 sièges – contre 56 précédemment. Le SNP reste toutefois de loin la première formation d’Ecosse.
L’ex-leader du SNP Alex Salmond a été battu, symbolisant les défaites enregistrées par son parti. Le numéro deux du parti, Angus Robertson, n’a pas été élu non plus.
« C’est assez catastrophique, c’est une très mauvaise nouvelle pour Nicola Sturgeon [la première ministre écossaise] et sa revendication d’un deuxième référendum » sur l’indépendance de l’Ecosse, selon Iain Begg.
La dirigeante conservatrice avait convoqué le scrutin en avril, contrairement à ses engagements de ne pas écourter la législature, en espérant surfer sur des sondages créditant son parti d’une avance de 20 points sur le Labour.
La livre chute
La livre sterling dégringolait vendredi, au contraire des marchés boursiers européens, qui ont terminé en hausse. La monnaie britannique a baissé dès l’annonce des projections à la clôture des bureaux de vote jeudi soir, puis a continué de se déprécier dans la matinée en Europe, avant de limiter ses pertes.
La livre valait 1,273 2 dollar vers 16 heures GMT (18 heures à Paris), contre 1,295 0 dollar la veille à 21 heures GMT, soit une baisse de plus de 1,5 %. L’euro valait pour sa part 87,89 pence – après avoir atteint vers 6 h 50 GMT 88,59 pence, son niveau le plus fort en sept mois — contre 86,60 pence la veille.
Sur les marchés boursiers, aucun signe de panique, bien au contraire, puisque les places financières européennes ont été bien orientées.
La Bourse de Londres a terminé en nette hausse, de 1,04 %. De nombreuses multinationales qui y sont cotées étaient soutenues par la baisse de la livre, qui dope la valeur de leurs revenus tirés de l’étranger, lorsqu’elles en convertissent le montant en monnaie britannique.
Les Bourses de Paris et de Francfort n’ont pas été troublées. A Paris, le CAC 40 a gagné 0,67 % et à Francfort, le DAX de 0,80 %. De son côté, Wall Street évoluait en ordre dispersé.
Le Monde.fr
* « Les conservateurs perdent leur bastion londonien de Kensington ». Le Monde.fr avec AFP, AP et Reuters | 09.06.2017 à 00h12 • Mis à jour le 09.06.2017 à 22h44 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/06/09/legislatives-en-grande-bretagne-may-perd-sa-majorite-absolue_5140983_3214.html
Le Labour garde son bastion de Birmingham
A l’issue du scrutin, le Parti travailliste est parvenu à garder la totalité des sièges de son bastion du centre de l’Angleterre, où les conservateurs ont mené une rude campagne. Le parti de Jeremy Corbyn y a même progressé.
« Est-il vrai que les électeurs conservateurs ont plus tendance à aller voter que les travaillistes quand il pleut ? » La question, qui tient un peu de la légende [1], faisait sourire chez les militants tories, jeudi 8 juin. Mais si la pluie s’est abattue une grosse partie de ce jour d’élection à Birmingham, elle n’a pas mis en danger le Labour. S’ils en rêvaient, les conservateurs n’ont réussi à prendre aucun des neuf sièges travaillistes de cette ville du centre de l’Angleterre, selon les résultats officiels publiés tôt vendredi.
Les jours de vote n’étant pas fériés au Royaume-Uni, Sanaya Sia avait choisi d’aller voter pendant sa pause déjeuner. Ça tombe bien, le bureau de vote était installé dans une partie de l’école primaire où elle travaille, dans le centre de Birmingham. « J’ai voté pour les travaillistes, c’est le meilleur choix contre la politique d’austérité de Theresa May », expliquait la jeune femme, la tête entourée d’un léger foulard. « Surtout, le Labour n’a pas la politique anti-immigration des tories », soupirait cette citoyenne britannique d’origine soudanaise.
« Corbyn a replacé le parti à gauche »
Mike votait pour sa part dans une synagogue ; comme beaucoup de lieux de culte du pays, celle-ci a été aménagée en bureau de vote pour l’occasion. Lors des dernières législatives, en 2015, il n’était pas allé voter. Mais cette année, le nouveau leader du Labour, Jeremy Corbyn, l’a convaincu « en replaçant les priorités du parti à gauche ».
Comme un peu plus de 50 % des électeurs dans la deuxième ville du pays, Mike a voté pour le Brexit l’an dernier. « L’Union européenne favorise le dumping social, les ouvriers perdent leurs emplois et qu’est-ce qu’on leur propose en échange ? Etre chauffeur Uber ? », sourcille derrière ses lunettes ce retraité de l’édition. La splendeur industrielle de la ville des Midlands a disparu en même temps que de nombreux emplois.
Dans le centre-ville de Birmingham, ils sont finalement nombreux à avoir fait le même choix que Sanaya ou Mike. La députée travailliste sortante, Shabana Mahmood, l’a emporté jeudi avec 82,7 % des voix, soit 9,1 points de plus que son score de 2015. Son siège n’était pas vraiment en danger, mais le Labour n’était pas aussi confiant dans tout son bastion. Les militants travaillistes ont dû pousser un soupir de soulagement en voyant que ni la circonscription de Northfield, ni celle d’Edgbaston, toutes deux dans le sud-ouest de la ville, n’étaient pas tombées aux mains des tories. Non seulement ces sièges n’ont pas cédé, mais ils ont aussi réussi à voir leurs scores progresser. Avec 55,32 % des voix (+ 10, 5 points par rapport à 2015), la candidate travailliste à Edgebaston, Preet Gill, est devenue jeudi la première femme Sikh à faire son entrée au Parlement.
Un « taxi torie » pour aller voter
La déception doit se sentir vendredi dans les permanences de campagne conservatrices. Caroline, 45 ans, Beth, 22 ans, et Mary, 21 ans, avaient pourtant été envoyées de Londres par le Parti conservateur pour donner un ultime coup de main dans la campagne locale. Au Royaume-Uni, il est autorisé de faire campagne le jour de l’élection tant que c’est en dehors des bureaux de vote. A 17 heures, les trois militantes avaient pris la voiture en direction de Northfield avec cette idée en tête : ce siège historiquement travailliste peut tomber.
En 2015, le député Richard Burden n’avait obtenu que 2 509 voix de plus que la candidate conservatrice. Cette année, c’est une nouvelle tête qui lui faisait face : Meg Powell-Chandler, 29 ans et déjà ancienne conseillère de David Cameron. Le retrait du parti antieuropéen UKIP (United Kingdom Independence Party), qui avait fait près de 7 000 voix dans cette circonscription, aurait d’autant pu jouer en faveur du parti de Theresa May, qui prône un « hard Brexit ». Cela n’a pas été le cas. Avec 53,2 % des voix, le député travailliste depuis 1992 a même vu son avance sur les tories augmenter cette année, avec 4 600 voix de plus que son opposante.
« Powell-Chandler, Powell-Chandler. » Tennis aux pieds, coupe-vent enfilés, les trois militantes s’étaient répété le nom de leur candidate, qu’elles ne connaissaient pas avant d’arriver ce matin. Puis elles avaient toqué aux portes des petites maisons individuelles de cette rue du sud-ouest de la ville. Et d’une voix posée : « Bonjour, avez-vous déjà voté aujourd’hui ? »
Pour empêcher toute flemme électorale — les raisons peuvent être nombreuses : dure journée de travail, pluie battante ou hésitation —, les tories offraient même de conduire les électeurs conquis au bureau de vote. Ça n’a pas suffi.
A quelques blocs se trouve l’école primaire des Meadows. Jason et Pauline, la cinquantaine, y ont voté en fin de journée jeudi. A peine sortis de l’hôpital où ils sont employés, ils ont glissé deux bulletins conservateurs. « C’était tout sauf cet idiot de Jeremy Corbyn, il ruinerait le pays », s’énerve Jason en grattant les quelques cheveux qui lui poussent sur le crâne.
Pour le couple, qui a longtemps voté UKIP avant le référendum sur la sortie de l’UE, Theresa May sera la mieux placée pour rétablir des frontières strictes. L’infirmière regrette la pression économique exercée par le gouvernement conservateur sur le système de santé (NHS, National Health Service), mais n’est pas prête pour autant à faire confiance au Labour : « Je ne vois pas où Corbyn trouverait de l’argent de toute façon… »
Romain Geoffroy (Birmingham (Royaume-Uni), envoyé spécial)
* LE MONDE | 08.06.2017 à 22h27 • Mis à jour le 09.06.2017 à 12h04 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/06/08/legislatives-au-royaume-uni-a-birmingham-le-tiraillement-des-electeurs_5140973_3214.html