La mine de charbon Carmichael, non loin de la Grande Barrière de corail, sera l’une des plus grandes du monde. Le milliardaire indien Adani a confirmé mardi 6 juin « le lancement officiel » du projet. Les travaux de préconstruction commenceront dès le mois de septembre.
L’annonce marque un grand coup d’accélération après des années de retard, en grande partie en raison de la mobilisation des défenseurs de l’environnement qui ont tout tenté pour bloquer le projet, et n’ont pas encore complètement perdu espoir.
« Nous avons été défiés par les militants dans les tribunaux, dans les rues des centres-villes, et même par des banques que nous n’avions pas sollicitées », a critiqué le président d’Adani, Gautam Adani, dans un communiqué. « Nous faisons encore face aux militants. Mais nous réaliserons ce projet », a-t-il affirmé. La mine Adani est l’un des sujets qui ont le plus divisé l’Australie ces dernières années.
C’est le plus gros investissement jamais réalisé par l’Inde en Australie. Le projet Carmichael pèse près de 22 milliards de dollars australiens (14,8 milliards d’euros). Une fois terminée, la mine sera la plus grande du pays, qui est déjà le premier exportateur mondial de charbon. Elle comprendra jusqu’à cinq mines souterraines et six à ciel ouvert. Jusqu’à 60 millions de tonnes de charbon seront produites par an à Carmichael, qui se trouve dans les terres, dans l’Etat du Queensland (nord-est de l’Australie).
Des milliers d’emplois devraient être créés
Carmichael ouvre en outre la voie à l’exploitation d’autres mines de charbon dans le bassin de Galilée, où elle se trouve. Le minerai sera acheminé par train jusqu’au port d’Abbot Point. Le charbon sera exporté depuis ce port situé à quelques dizaines de kilomètres de la Grande Barrière de corail. Destination l’Inde, où il apportera, selon Adani, l’électricité à 100 millions de personnes.
« C’est un grand jour pour le Queensland, s’est félicité le ministre des ressources minières, Matthew Canavan, après l’annonce du groupe indien. Il y aura un avant et un après. » Le gouvernement australien a ardemment défendu le projet face aux groupes pro-environnement. Le taux de chômage dans cette région dépasse les 10 %, contre moins de 6 % en moyenne en Australie. La mine devrait créer 10 000 emplois directs et indirects, selon des chiffres – très contestés – des autorités et d’Adani.
Les opposants au projet ont été accusés par le gouvernement de ne pas vouloir soutenir l’emploi dans le Queensland, voire d’empêcher des dizaines de millions d’Indiens d’avoir accès à l’électricité. Quand des personnalités ont demandé au premier ministre de ne plus soutenir le projet, celui-ci a affirmé que si l’Inde n’achetait pas le charbon à l’Australie, elle l’achèterait ailleurs, et que donc cela ne changerait rien pour le réchauffement climatique.
L’Australie a réaffirmé son soutien à l’accord de Paris sur le climat après le retrait des Etats-Unis. Mais, dans ce pays, l’un des gros pollueurs du monde, le charbon est toujours roi. Cette source d’énergie, qui est l’une des plus polluantes, est au deuxième rang des exportations australiennes, après le fer.
« Un désastre pour le climat »
Pour Greenpeace, la mine d’Adani représente « un désastre pour le climat ». Selon les calculs de l’ONG Climate Council, si le bassin de Galilée avec ses futures mines était un pays, il se classerait parmi les quinze plus gros pollueurs, à cause des émissions de gaz à effet de serre qu’elles vont générer lors de la combustion du charbon.
Or l’inquiétude est forte pour la Grande Barrière de corail, qui pâtit notamment du réchauffement climatique. L’Unesco vient de demander à l’Australie d’accélérer ses efforts pour sauver cette merveille classée au Patrimoine mondial de l’humanité. « La mine Adani aura très probablement des conséquences » sur la Grande Barrière, selon le Pr Terry Hughes, qui a été le premier à donner l’alerte sur la gravité de deux épisodes de blanchissement des coraux, en 2016 et début 2017.
Les émissions « vont s’ajouter à la pollution atmosphérique et aggraver le réchauffement climatique, lequel provoque le blanchissement », explique-t-il. Selon des estimations de ce directeur à l’université James-Cook, dans le Queensland, la moitié des coraux de la Grande Barrière sont morts à cause des deux récentes vagues de blanchissement.
« De plus, l’exportation de grosses quantités de charbon à travers la Grande Barrière de corail va nécessiter de draguer les fonds sous-marins et risque de polluer », poursuit Terry Hughes. Les bateaux, d’immenses minéraliers, pourraient perturber les mammifères marins, comme les dugongs, et les blesser en les percutant, ajoute-t-il. Et de conclure : « Si on veut vraiment sauver la Grande Barrière et si on veut vraiment respecter l’accord de Paris, le charbon doit rester sous terre. »
Des ONG ont annoncé des actions en justice
Les défenseurs de l’environnement ont multiplié les recours ces dernières années pour bloquer le projet. En 2015, ils ont notamment plaidé devant la justice que le gouvernement n’avait pas pris en compte l’impact de la mine sur la survie de deux reptiles de l’outback australien avant de donner son accord pour l’exploitation. Le projet a alors été suspendu quelques mois.
Ils ont surtout été très actifs auprès des banques pour les faire renoncer à financer la mine. Avec grand succès du côté des banques australiennes : aucune des quatre plus grandes ne participera au financement. Quand Westpac a annoncé, fin avril, qu’Adani ne pourrait pas compter sur elle, le gouvernement s’est empressé de l’accuser de céder aux « militants » et a même suggéré aux Australiens, à demi-mot, de la boycotter.
La mobilisation a aussi fonctionné avec quelques-unes des plus grandes banques du monde, y compris BNP Paribas, le Crédit agricole et la Société générale. Les opposants à la mine espèrent donc qu’Adani ne parviendra pas à la financer.
Le groupe indien a demandé un prêt d’un milliard de dollars (665 millions d’euros) au gouvernement pour financer le chemin de fer vers le port. L’argent viendrait d’un fonds public destiné à aider le développement des infrastructures dans la région. Mais des ONG ont déjà annoncé des actions en justice si le prêt était accepté.
Caroline Taïx (Sydney, correspondance)