Entre 2015 et 2017 ont été renouvelés plusieurs parmi les plus importants contrats collectifs de travail, concernant quelque 10 millions de salariés et de salariées. Restent les conventions collectives du secteur public et des écoles – pour lesquelles les négociations sont au point mort depuis 2010 – ainsi que des télécommunications, des postes, de la logistique, du nettoyage, des arts graphiques et édition, de la construction et du bois. Je ne cite ici que les principaux ; il est pratiquement impossible de tous les mentionner, tellement est grande l’atomisation contractuelle qui frappe le monde du travail (il y a en tout plus de 250 contrats collectifs). Quoi qu’il en soit, nous pouvons considérer que l’activité de renouvellement a été intense ces deux dernières années, sur le plan quantitatif mais point qualitativement.
La convention collective nationale constitue, historiquement, le plus important instrument solidaire de l’universalité des droits et des salaires. Mais depuis les premiers renouvellements contractuels, dans l’agriculture en octobre 2014 et le tertiaire commercial en mars 2015 [2], jusqu’aux derniers, dans le textile et les assurances en février 2017, nous avons un fil conducteur commun, qui nous laisse constater que ces accords servent davantage les intérêts du patronat que des salariés.
En échange de peu ou de rien, les entreprises ont pu maintenir de bas niveaux salariaux, tout en obtenant davantage de flexibilité dans les horaires de travail et même l’augmentation de la durée du travail, notamment dans les transports publics et dans l’hygiène et l’environnement. Dans ces deux derniers secteurs a eu lieu un échange sans contrepartie qui, circonstance aggravante, exerce une pression sur le secteur privé et sur les secteurs mixtes (public-privé), au détriment d’une défense plus générale des droits des salariés et de l’État social.
Ce fil conducteur ne ressortit aucunement à une stratégie syndicale globale, ni en termes de contenus ni en termes de mobilisation. À aucun moment, dans ces dernières années, n’a été proposé aux diverses catégories de travailleurs un terrain de lutte commun, destiné à rompre l’isolement catégoriel et à tenter de jeter ainsi les bases pour une grève générale.
Le modèle proposé par les syndicats CGIL, CISL, UIL [3] le 14 janvier 2016 [4] – dont nous avons critiqué l’orientation globale – est resté un simple document d’intention, qui n’a même pas été discuté avec la Confindustria. Il n’est pas anodin de préciser ici que, en janvier 2014, d’importants contrats collectifs nationaux avaient été déjà signés (notamment dans le commerce et la chimie) et d’autres étaient en discussion avec le patronat (comme celui de l’industrie des machines). En fait le modèle des trois centrales syndicales a été bloqué par la volonté de la Federmeccanica [l’association patronale de l’industrie des machines] qui a voulu imposer à tous les règles de son secteur.
Finalement, chaque catégorie professionnelle a agi plus ou moins dans son coin, en essayant de contenir une offensive patronale clairement coordonnée et concertée. Aux tables de négociations, les associations d’employeurs ont imposé le débat sur leurs propres contre-plateformes : limiter les augmentations salariales (presque toutes les associations patronales ont ouvert les tractations en demandant la restitution des augmentations concédées lors des renouvellements précédents), effacer les automatismes liés à l’ancienneté, flexibiliser encore plus le salaire négocié au niveau de l’entreprise en le liant davantage aux rendements et aux prestations, obtenir une plus grande flexibilité horaire et moins de contraintes eu égard aux Représentations syndicales unitaires (RSU) au sein de l’entreprise.
De ce point de vue, le vrai effondrement s’est produit dans la catégorie de l’industrie des machines, où les ouvriers engageaient la bataille sur des bases plus difficiles, notamment à cause des précédents accords séparés dont ils ont été victimes. Au lieu d’être l’avant-garde des salariés, comme ce fut le cas auparavant, les ouvriers de ce secteur sont ceux qui se sont fait imposer la note la plus chère par le patronat. S’il est vrai que le contrat collectif a été approuvé par 80% des travailleurs ayant voté, il n’est pas moins vrai qu’il a été fort mal digéré par la base militante, surtout celle des grandes entreprises, où plus de 40% des travailleurs ont tenté de faire échec à cette entente unitaire.
Le bilan provisoire de ce long round de négociations est amer ; loin, très loin même de « l’expansion de la demande intérieure », de « la protection et l’amélioration des conditions de vie et de travail » et du « surcroît d’intégration » que préconisait le modèle CGIL-CISL-UIL.
Le salaire
En ce qui concerne les salaires, aucun renouvellement de contrat collectif n’a défendu le pouvoir d’achat, y compris lorsqu’il y a eu des augmentations à trois chiffres, comme dans l’industrie alimentaire (105 euros mais en 4 ans et avec un moratoire d’un an pour les conventions collectives complémentaires de second niveau [5]), les assurances (103 euros, mais avec un contrat arrivant à échéance en trois ans) et les transports locaux (100 euros).
Même les conventions de la chimie-pharmacie et du caoutchouc-plastique, pourtant signées respectivement en octobre et décembre 2015, soit avant leur échéance, ont subi le même sort, sans que de réelles négociations aient lieu (90 euros pour la chimie-pharmacie et 76 euros pour le caoutchouc-plastique).
Au mois de mars 2015, le contrat du tertiaire commercial, distribution et services avait obtenu 85 euros d’augmentation [introduite sur 3 ans en 5 étapes]. Dès sa troisième étape, en novembre 2016, l’augmentation a été gelée [par un accord complémentaire national]. À cela s’ajoute, pour la convention de l’architecture, l’ingénierie et bureaux techniques, l’introduction d’un salaire d’entrée, pour les salarié·e·s désavantagés (engagements deux niveaux salariaux plus bas pour les six premiers mois puis d’un niveau plus bas pour les six mois suivants). Sans oublier la décision qui a frappé le secteur informatique depuis mars 2015 : il est désormais intégré au contrat collectif du tertiaire commercial, distribution et services, en ramenant au passage les salaires à deux voire trois niveaux salariaux plus bas que précédemment.
Mentionnons également que l’augmentation de 85 euros, étalée sur 4 ans, dans les banques, obtenue en mars 2015, est largement inférieure aux attentes et à la traîne de l’évolution économique de ce secteur. Il y a enfin la maigre augmentation de 90 euros, aussi étalée sur 4 ans, du contrat national de l’hygiène environnementale. C’est quasiment un remboursement, eu égard à l’accroissement de la durée du travail obtenue en contrepartie par le patronat.
En 2016, les augmentations n’ont cessé de diminuer, tandis que les conventions ont presque toutes été signées pour une durée de 4 ans, à l’exception de celle des assurances (3 ans). Les augmentations, étalées sur toute la durée contractuelle, vont de 50 euros (machines) à 70 euros (textile). Quant aux 88 euros d’augmentation obtenus dans le secteur touristique en novembre 2016, ils ne constituent point une exception. En effet, d’une part le contrat couvre une durée de 6 ans [de 2013 à 2018] ; d’autre part seule une part minime des entreprises du tourisme lui sont assujetties, celles membres de l’association patronale AICA, la grande majorité des salariés de la branche étant dépourvue de convention collective [6].
Les augmentations des industries textile et mécanique ne sont que des estimations, les deux étant calculés sur la base de l’indice des prix (IPCA [7]) ex post [8]. Le textile prévoit un mécanisme qui fixe les montants des deux premières échéances, puis qui estime ceux de 2018 et 2019. Pour le cas de l’industrie mécanique, l’augmentation est intégralement liée à l’inflation annuelle en termes réels [9]. Après le gel des augmentations liées au contrat du tertiaire commercial, il devient clair que, malgré la signature d’accords salariaux, il n’y a plus aucune certitude quant à leur application future. Un autre fait, et des plus significatifs, est que l’industrie mécanique obtient une augmentation inférieure à celle du textile, un secteur en crise depuis des dizaines d’années. Nous sommes à des années-lumière de l’« industrie 4.0 » ! En cette période de renouvellement des conventions collectives, et si les estimations et les tendances inflationnistes se confirment, les ouvriers des machines finiront par obtenir moins que les ouvriers agricoles (55 euros d’augmentation sur 4 ans). Quoi qu’il en soit ils n’auront pas plus que ces derniers, car même s’il y a reprise de l’inflation, l’étalon utilisé est l’indice IPCA, autrement dit l’indice des prix épuré de l’augmentation des coûts de l’énergie.
La prochaine augmentation du secteur public risque d’être encore plus basse. Si l’on s’en tient aux lignes directrices approuvées en novembre 2016, peu avant le vote référendaire constitutionnel [10], les augmentations salariales moyennes du secteur public ne dépasseront pas 85 euros. Et il n’est pas exclu que cela comprenne les parts de welfare [11]. Autrement dit, une augmentation pratiquement nulle pour une catégorie qui n’a pas eu d’augmentation depuis 2010.
Le welfare contractuel
Les faibles augmentations de salaire ont été rendues plus acceptables par le welfare contractuel. D’une manière générale, afin de maintenir un bas niveau salarial, les employeurs ont concédé des augmentations sur les quotes-parts patronales de la prévoyance et de la santé, inscrites au contrat collectif complémentaire. D’adhésion volontaire à l’origine, les couvertures contractuelles de frais de santé (pour des forfaits annuels limités) ont été rendues obligatoires dans certaines conventions collectives. C’est le cas notamment pour le textile et les machines. Dans ce dernier cas, après s’y être opposée pendant des années, la FIOM [le syndicat majoritaire] a fini par adhérer [au fonds sanitaire lié au contrat collectif] Metasalute et même à l’intégrer à sa plate-forme revendicative !
Dans la convention collective nationale de la chimie, l’augmentation de la quote-part patronale à la caisse de retraite a été concédée contre la suppression du jour férié de Pâques, induisant ainsi un accroissement de la durée du travail. Paradoxalement, dans le cadre du contrat collectif du secteur public – autrement dit le secteur de la santé et de l’hygiène publique – des tractations ont lieu pour n’accorder les augmentations que sous forme de contreparties en termes de welfare, ce qui signifie scier la branche sur laquelle on est assis.
Plus grave encore, le welfare contractuel n’est plus concédé uniquement dans les domaines de la prévoyance et de la santé. Il a été séparé du contrat des machines et formellement intégré à la Loi de stabilité de 2016 [12]. Il a également été soutenu par la modification du Texte unique [ou Loi] sur les impôts et les revenus, qui a entièrement détaxé le welfare contractuel ne le considérant plus comme un revenu du travail salarié (avec un plafond à 258 euros pour les bons d’achat au détail et pour le carburant, sans plafond pour les autres prestations). Tout indique que le welfare s’étendra en termes de flexible benefits [prestations flexibles], c’est-à-dire à des prestations non seulement en bons d’achat et de carburant, mais aussi pour du baby-sitting, des crèches, des activités parascolaires, des transports scolaires et des courses d’école, des livres, des activités culturelles, des formations, des centres de vacances, des excursions, des cures pour personnes âgées, des intérêts sur des emprunts et même des pèlerinages (eh oui !).
La possibilité d’octroyer une somme en bons d’essence ou d’achat existe depuis longtemps ; il s’agissait toutefois d’une largesse unilatérale et paternaliste des entreprises, hors tout accord avec les syndicats. Par contre aujourd’hui, ces prestations sont négociées avec le syndicat, dans le cadre des contrats nationaux (par exemple, celui des machines alloue 450 euros sur les 4 ans de validité de l’accord), avec le risque à la clé – mais c’est déjà une réalité – de voir ces prestations envahir les conventions complémentaires d’entreprise, y compris pour remplacer, sous forme volontaire ou non, les primes au résultat [13].
La flexibilité et les horaires
Outre le maintien de bas salaires, de surcroît partiellement remplacés par des prestations de welfare, le patronat a obtenu dans presque toutes les négociations une plus grande flexibilité horaire. Cela passe notamment par l’augmentation de la fourchette horaire [dans laquelle s’inscrivent les horaires dits normaux] et, souvent, cela se réalise grâce à la mise au rancart des RSU [représentations syndicales unitaires dans l’entreprise], écartées de la gestion des horaires. On a ainsi, par exemple, une fourchette horaire de 85 heures dans le contrat de l’agriculture, avec un dépassement admis de 3 heures des limites quotidiennes, de 18 heures des limites hebdomadaires et de 300 heures des limites annuelles. Dans la convention de l’industrie alimentaire, cela équivaut à 88 heures ; dans l’industrie des machines 80 (qui peuvent atteindre 120 heures avec les plages d’heures extraordinaires obligatoires) ; 104 heures dans le textile. Le contrat du tertiaire commercial a, quant à lui, introduit la possibilité de travailler 44 heures par semaine. Dans d’autres cas la durée du travail a simplement augmenté, directement comme dans l’hygiène environnementale (de 36 à 38 heures), indirectement come dans la chimie (transformation du congé de Pâques, supprimé, en prestations welfare), mais aussi dans les transports publics locaux (avec l’introduction du calcul de la durée moyenne du travail de 39 heures sur une plus longue période de l’année), dans le textile et les assurances [avec la possibilité de rétribuer le surplus d’heures en cas de flexibilité, au lieu de devoir le compenser par des congés].
La question de la flexibilité est extrêmement importante pour les patrons, car ils peuvent ainsi utiliser plus ou moins les infrastructures productives selon les oscillations du marché, mettant variablement à contribution la force de travail, sans devoir indemniser les majorations salariales dues aux heures supplémentaires, sans que les salariés et les salariées ne réagissent, alors qu’ils sont contraints d’être toujours plus soumis à un horaire de travail irrégulier.
Tout cela se passe sur fond de Jobs Act [14], de précarité, de détérioration des normes légales et contractuelles, tel le traitement de la maladie dans le contrat du tertiaire commercial [comme nous l’avons vu plus haut] et la Loi 104 dans la convention collective des machines [15], ainsi que le recours systématique aux régimes d’exception (déjà pratiqué avant la dernière vague de renouvellements contractuels).
Avec un tel bilan, on ne peut pas dire que la situation soit positive. D’autant plus que les choses vont probablement encore se dégrader, avec le prochain round de renouvellements des contrats collectifs complémentaires induit par ces négociations centrales. En effet, les conséquences sur le second niveau conventionnel [régions et entreprises] risquent d’être multiples :
– industrie alimentaire (le renouvellement des contrats complémentaires est bloqué pour un an),
– industrie textile (des lignes directrices contraignantes ont été rédigées, définissant les cadres thématiques, temporels et procéduraux des négociations),
– hygiène environnementale (la convention collective nationale reconnaît la nécessité de l’engagement d’une révision du droit de grève),
– industrie des machines (les nouveaux mécanismes conventionnels permettent de faire en sorte que les augmentations salariales individuelles soient neutralisées par celles conventionnelles ; [autrement dit, celui qui bénéficiait d’une augmentation salariale contractuelle nationale et de primes individuelles au sein de l’entreprise, voit ces dernières être neutralisées (déduites) par l’augmentation conventionnelle])
– secteur public (la nouvelle réglementation, qui passe par le Texte unique sur l’administration publique, limite les négociations collectives complémentaires en octroyant d’importants pouvoirs unilatéraux aux administrations spécifiques et en introduisant un système nettement différencié entre primes au résultat et primes incitatives).
Dans les plus grandes entreprises, il existe toujours la possibilité de faire naître des rapports de force capables de remettre en question les nouvelles normes et d’obtenir ainsi des prestations garanties à tout le personnel, comme parviennent à le faire les salariés de la GKN à Florence [16]. Si cela se produit, ce sera malgré le contrat collectif national, qui a désormais renoncé à l’universalité des droits des salariés. Or il faudra partir de cette nouvelle donne pour tenter de renverser la vapeur au sein des entreprises où un meilleur rapport de force pourrait être construit. Dans ces circonstances, la nouvelle convention collective nationale sera avant tout une cage dans laquelle se dérouleront les négociations d’entreprise. Et, de ce point de vue, l’élargissement des normes sur le welfare ne nous aidera point ; au contraire cela constituera un vrai cheval de Troie, facilitant la tâche aux patrons dans leur œuvre de démembrement du système en place des primes au résultat.
Finalement, au cours de ces deux dernières années d’importants accords collectifs nationaux ont été renouvelés, dans des circonstances particulièrement difficiles : dérogations normatives, article 8 de la Loi Sacconi [flexibilisation des conditions de travail sur les plans horaires et territoriaux], modèle Marchionne [17]. Les conditions de salaire et de travail n’étant plus protégées par la conclusion d’un quelconque contrat collectif, le risque est alors, d’une part, que des conventions ainsi vidées de leur contenu deviennent des instruments d’autolégitimation patronale et, d’autre part, qu’elles soient des instruments syndicaux non pas de défense de la classe des travailleurs, mais destinés à la mise en place de la collaboration bilatérale entre patrons et syndicats.
C’est à cela que sert le Texte unique sur les représentations des salariés du 10 janvier 2014 et les sanctions qu’il a introduites [18] : imposer des contrats collectifs nationaux qui correspondent non point aux intérêts des travailleurs et des travailleuses, mais à ceux des patrons. À ce jour, les sanctions prévues par le Texte unique n’ont été transposées dans aucune convention nationale. Il ne nous reste plus qu’à espérer que le contrat de l’industrie des machines ne soit pas le premier à le faire, d’autant plus que la question est justement sur le tapis des discussions des syndicats avec l’association patronale Federmeccanica.
Eliana Como