Un profond mouvement populaire, social et politique, incarné par le vote pour Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise, s’est exprimé à l’occasion des élections présidentielles et législatives. Parvenue quasiment au niveau du bloc de droite et plus très loin du FN, la dynamique qui a alors émergé modifie durablement le paysage politique, en particulier à gauche, où les deux partis dominants du XXe siècle sont l’un et l’autre marginalisés et divisés.
Des centaines de milliers d’hommes et de femmes se sont mis en mouvement, pour beaucoup pour un premier engagement. Les jeunes ont été aux avantpostes. Les classes populaires, méprisées et rendues invisibles depuis des décennies, ont commencé à relever la tête et à retrouver une part de leur dignité. C’est une page qui est tournée et nous ne reviendrons pas en arrière.
Nous ne sous-estimons pas pour autant ce que signifie la victoire de Macron, les dangers qu’une politique ultralibérale, sécuritaire et autoritaire représente pour notre camp social. Mais lire les résultats de la présidentielle seulement à l’aune de la victoire de l’unification des libéraux de droite et de gauche serait une erreur.
De la même manière, il nous faut regarder lucidement le danger fasciste et xénophobe porté par le Front National. Mais également constater qu’un début d’endiguement de la progression frontiste est à mettre à l’actif de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon.
À nous tous désormais, incombe la responsabilité de transformer cette dynamique en opposition sociale et politique à Macron et de préparer le plus tôt possible les conditions d’une alternative, les conditions d’une majorité politique.
Cela est possible si les forces qui ont soutenu la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon se rassemblent dans le cadre construit par France insoumise durant cette campagne. Les cartels sans cohérence politique nationale et locale ne sont plus adaptés à la situation politique actuelle comme l’a montré l’échec du Front de gauche. Toutefois, aucune force pérenne ne saurait se construire ni s’enraciner sans agglomérer les expériences militantes syndicales, associatives, politiques dont le patrimoine et le capital vivant sont décisifs pour fortifier l’acquis et surmonter les pièges et les difficultés qui ne manqueront dans notre combat contre l’oligarchie capitaliste.
Nous avons besoin dans le pot commun du meilleur du socialisme, du communisme, de l’écologie politique, du syndicalisme, du féminisme, de l’altermondialisme, de l’anticapitalisme.
Un processus constituant, qui est de la responsabilité de l’équipe animatrice de France insoumise, permettrait à nos yeux de réaliser cet objectif et de regrouper des forces aujourd’hui disponibles, porteuses de cette diversité d’expériences.
Militants d’Ensemble, nous constatons aujourd’hui que France insoumise est en situation de constituer une alternative globale au système. Ainsi, comme l’ont déjà fait de nombreux membres d’Ensemble tout au long de la campagne électorale, nous avons décidé de la rejoindre. Cependant, la contribution des membres d’Ensemble à France insoumise ne prendra pleinement son sens que si elle est mise en œuvre collectivement. C’est pourquoi nous souhaitons que notre mouvement prenne également cette décision lors de la consultation de septembre et d’octobre.
Pour nous il s’agit en cohérence avec notre parcours anticapitaliste, écologiste, antiraciste, internationaliste et féministe, de poursuivre notre combat pour l’émancipation. Pour cela nous avons besoin d’une force populaire, ancrée dans la jeunesse et le salariat, nécessairement pluraliste et démocratique, sachant marier l’avenir des nouvelles générations avec le meilleur des expériences passées.
Parmi les commentaires
13/07/2017 14:01 PAR CHARLED
Bonjour,
Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « processus constituant » ?
Merci.
Quand l’émancipation est transformée en marketing politicien, quand la vieille politique est ripolinée...
14/07/2017 17:53 PAR PHILIPPE CORCUFF
Ce texte participe de l’auto-illusionnisme propre à une vieille langue de bois militante. On peut tout à fait avoir été intéressé par l’énergie citoyenne et militante qu’a cristallisé un moment la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Ou on peut considérer, avec moins d’enthousiasme, que voter Jean-Luc Mélenchon constituait un moindre mal dans le contexte. On peut même envisager de rejoindre aujourd’hui La France Insoumise dans la perspective de bâtir une alternative à l’ordre néolibéral. Mais quand on vient, comme les signataires de ce texte, d’une tradition comme celle de la Ligue Communiste Révolutionnaire ayant particulièrement cultivé l’intelligence critique, cela suppose une lucidité quant aux problèmes et aux écueils. Et de ne pas gâcher si rapidement le beau mot d’émancipation dans une entreprise aussi hasardeuse, pour l’instant, du point de vue de l’horizon d’auto-émancipation des opprimés.
En l’état, la constitution de la France Insoumise (qui, dans ses modalités pratiques, ressemble à celle d’En marche !) a principalement relevé d’une logique verticaliste autour du leader qui en a eu l’initiative, avec des accents césaristes. Dans son célèbre article « Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? », Kant lance en 1784 : une « sortie de l’homme hors de l’état de tutelle ». Pour l’instant, donc, La France Insoumise combat la « tutelle » néolibérale au moyen d’un poids important donné à un embryon d’oligarchie politique « alternative ». On est loin de « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » qui, dans les statuts de la Première Internationale ouvrière en 1864, réunissait les partisans de Proudhon, de Marx et de Bakounine, c’est-à-dire l’auto-émancipation. Comme souvent dans l’histoire du mouvement ouvrier et socialiste, dans ses versants dits « réformistes » ou « révolutionnaires », on passe subrepticement du verbe pronominal s’émanciper (l’auto-émancipation) au verbe transitif émanciper par d’autres (de nouvelles tutelles : parlementaires, présidentialistes ou avant-garde révolutionnaires). Bref à un ripolinage d’une vieille politique des tutelles.
Ceux qui font le choix de rejoindre La France Insoumise - ce qui peut se justifier (personne ne connaissant les secrets de l’histoire à venir, les paris raisonnés sur notre futur sont nécessairement pluriels et exploratoires), même si ce n’est pas mon choix personnel -, s’ils veulent éviter la glue de la rhétorique politicienne et rester fidèles aux idéaux d’émancipation, devraient tenter de présenter publiquement ce choix dans la conscience critique et autocritique des tendances anti-émancipatrices travaillant les débuts mélenchonistes de La France Insoumise, dans la perspective de les surmonter dans un horizon émancipateur.
Tres loin de faire l’unanimite au sein d’Ensemble !
14/07/2017 18:19 PAR PHILIPPE MARLIÈRE
La question de rejoindre ou pas la FI fait l’objet d’un debat interne au sein d’Ensemble ! en ce moment. Le point de vue exprime dans le texte publie par Mediapart est tres loin de faire l’unanimite au sein d’Ensemble ! Nombre de camarades s’opposent a une telle demarche hasardeuse qui semble faire fi du fonctionnement vertical et du refus du pluralisme au sein de la FI. En outre, puisque la direction melenchoniste de la FI ne reconnait ni les partis/courants/collectifs au sein de la FI, on peut legitimement se demander comment les camarades d’Ensemble ! vont pouvoir s’organiser pour faire vivre le courant anticapitaliste, democratique et critique porte par Ensemble ! La FI ne donnera pas a ces camarades la possibilite de le faire. Rejoindre la FI, c’est le faire individuellement, se fondre dans la masse et... se soumettre.
* 13 JUIL. 2017 PAR PFGROND BLOG : LE BLOG DE PFGROND :
https://blogs.mediapart.fr/pfgrond/blog/130717/la-france-insoumise-pour-construire-une-nouvelle-force-emancipatrice
* Le Club est l’espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n’engagent pas la rédaction.
Sur une « déclaration »
Laurent Lévy
Un certain nombre de camarades ont informé le Collectif National d’Ensemble ! de leur décision de rejoindre France Insoumise dans une « déclaration » qui, si elle ne se présente pas explicitement comme une contribution aux débats du mouvement, appelle implicitement à la discussion puisqu’ils y précisent leur souhait « que notre mouvement prenne également cette décision lors de la consultation de septembre et d’octobre. »
La signification de leur décision – et de leur souhait – demande pourtant à être précisée. En effet, l’expression « rejoindre France Insoumise » n’est pas claire en elle-même dès lors qu’il ne s’agit pas seulement du choix individuel de membres d’Ensemble !, mais se présente comme une hypothèse de choix collectif.
Les camarades disent : « nous constatons aujourd’hui que France insoumise est en situation de constituer une alternative globale au système ». Le verbe « constater » est discutable, mais c’est celui qui correspond à leur propos. Il n’est par ailleurs pas certain que la constitution d’une « alternative globale » soit à l’ordre du jour. Mais en toute hypothèse, la situation dominante acquise par France Insoumise parmi les forces politiques d’opposition pour une alternative de gauche est une réalité incontournable à l’heure de nos choix.
Nombre d’entre nous ont d’ores et déjà choisi de participer à la vie des « groupes d’appui » mis en place par Jean-Luc Mélenchon à sa candidature à la présidentielle, puis à celles des candidat-e-s qu’il a investi-e-s aux législatives. Il n’y a rien d’anormal à cela. Mais France Insoumise n’est pas seulement un regroupement plus ou moins informel de groupes locaux. C’est aussi une structure nationale particulière, dotée de ce que les camarades nomment une « équipe animatrice ». Et c’est là que s’y prennent les décisions d’orientation politiques.
Notre dernier CN a décidé au terme de ses débats que « En cas de décision de FI de mise en œuvre d’un processus constituant, que nous souhaitons, […] en vue d’un nouveau mouvement démocratique, pluraliste, tourné vers l’action et pour la construction d’une véritable alternative, notre mouvement décidera de sa réponse. » Lorsque l’EAN a discuté de la mise en œuvre de cette résolution, et qu’a été évoquée la nécessité d’entrer en contact avec l’équipe animatrice de FI pour lui faire part de notre souhait que soit mis en place un tel processus constituant, un camarade a expliqué que cela n’était pas possible, et que l’on pouvait, au mieux, s’adresser à la direction du Parti de Gauche. Il en résulte un hiatus qu’il faudrait savoir dépasser.
La déclaration des camarades est suffisamment brève pour pouvoir être commentée et interrogée pas à pas.
S’agissant des constats, on remarquera simplement – même si cela est accessoire – qu’en disant que « à l’occasion des élections présidentielles et législatives […] des centaines de milliers d’hommes et de femmes se sont mis en mouvement » ils forcent le trait. Pour ample qu’elle ait été, la mobilisation militante dans le cadre des campagnes électorales se chiffre plutôt en dizaines de milliers, ce qui est beaucoup, et il est inutile d’en décupler les chiffres pour faire les choix pertinents. De même, s’il est indiscutable que de nombreux-ses jeunes ont été mobilisé-e-s à cette occasion, on a pu voir que le rassemblement du 12 juillet Place de la République ne brillait pas particulièrement par sa jeunesse : dans son état actuel, la mobilisation de France Insoumise reste celle de secteurs militants assez traditionnels – mais bien sûr, cela ne saurait préjuger de l’avenir.
D’une façon générale, il faut être prudent-e-s sur ce qui est durable ou définitif des nouveautés de la dernière séquence, en particulier en ce qui concerne les mobilisations militantes. Le champ politique n’a pas le moins du monde horreur du vide, et la disparition de ses cadres classiques n’entraîne pas automatiquement leur remplacement. Qu’une page soit tournée, comme le disent les camarades, me semble parfaitement exact : nous sommes entré-e-s dans le troisième âge de la 5e République. Que l’on puisse déjà lire la nouvelle page sur la seule base de ses premiers mots est moins évident, et des développements sont nécessaires si l’on veut prendre les décisions utiles.
Cela dit, je partage sans réserve l’idée suivant laquelle il convient de « de préparer le plus tôt possible les conditions d’une alternative, les conditions d’une majorité politique. » Mais le cœur de l’analyse des camarades est que cela supposerait un rassemblement « dans le cadre construit par France insoumise durant cette campagne. »
Or, ce « cadre » est ambivalent et en mouvement permanent, en recherche, en travail. France Insoumise n’a d’ailleurs construit aucun cadre : elle est elle-même le cadre construit pour les besoins de la campagne électorale. La question de savoir ce qui sera fait de ce cadre, de la manière dont il se transformera, ou non, est donc décisive – au regard même des décisions que l’on nous demande de prendre. Bien sûr, il ne saurait être question de nous borner à regarder ce que les choses vont devenir, pour décider ensuite de nos choix : il est légitime – et c’est même en un sens la seule chose envisageable dans une logique d’engagement militant – de chercher à contribuer d’emblée aux processus constituants à venir que nous souhaitons. C’est ce que nous avons collectivement dit au CN. Mais cela suppose d’avoir d’une part une orientation – et donc notre propre cadre pour l’élaborer – et d’autre part des interlocuteurs et interlocutrices. Et sur ce point, la déclaration des camarades est trop elliptique pour juger des possibilités réelles qui sont ouvertes.
C’est encore selon moi à juste titre que la déclaration souligne que « aucune force pérenne ne saurait se construire ni s’enraciner sans agglomérer les expériences militantes syndicales, associatives, politiques dont le patrimoine et le capital vivant sont décisifs pour fortifier l’acquis et surmonter les pièges et les difficultés qui ne manqueront dans notre combat contre l’oligarchie capitaliste. » Et à plus juste titre encore qu’ils et elles précisent : « Nous avons besoin dans le pot commun du meilleur du socialisme, du communisme, de l’écologie politique, du syndicalisme, du féminisme, de l’altermondialisme, de l’anticapitalisme. » Mais force est de constater que cette idée juste – et qui correspond exactement aux raisons d’être d’Ensemble ! – n’est pas, à ce stade, une évidence dans le discours public des animateurs et animatrices de France Insoumise. Sans en avoir débattu publiquement, non seulement avec elles et eux, mais avec les militant-e-s de ce mouvement, cela risque fort de relever du vœu pieu.
Du « processus constituant » que nous souhaitons, les camarades disent, en cohérence avec le titre de leur déclaration, qu’il est « de la responsabilité de l’équipe animatrice de France insoumise ». A lire ce qu’en écrit Jean-Luc Mélenchon lui-même, cela n’est pas gagné. Mais en toute hypothèse, c’est une responsabilité qui devrait être partagée, et la même logique de l’engagement militant qui conduirait à entrer sans attendre dans France Insoumise devrait également conduire à ne pas attendre que le signal soit donné par d’autres. Et elle devrait être partagée non seulement avec cette « équipe animatrice », mais au-delà d’elle avec l’ensemble des militant-e-s qui le souhaitent – quels que soient leurs choix lors des élections passées, même si c’est en premier lieu avec celles et ceux qui ont fait les nôtres. Il n’entre sans doute dans les intentions de personne de se plier a priori à tels ou tels diktats qui pourraient être formulés ; il n’en est qu’au plus fort nécessaire de proposer un débat public sur les formes, conditions et modalités d’un tel processus constituant.
VENDREDI, 14 JUILLET, 2017
* https://www.ensemble-fdg.org/content/sur-une-declaration