A l’issue des diverses élections et face à de profondes attaques à venir du nouveau gouvernement, plusieurs questions se posent, liées les unes aux autres :
– comment organiser la riposte aux attaques sociales, loi travail XXL, loi sécuritaire, attaques contre la protection sociale (maladie, chômage, retraite), intensification des interventions impérialistes, accentuation d’une politique policière et ultraréactionnaire contre les migrants,….
– comment construire des cadres d’opposition démocratique et sociale à toutes ces attaques
– comment rassembler dans des cadres politiques unitaires les militantEs prêtEs à mener ces combats.
C’est en fonction de ces urgences qu’il faut aborder la place prise par Mélenchon et la France insoumise.
L’écroulement du PS, le maintien de la marginalité électorale du PCF…et de l’extrême-gauche ont donné crédibilité au rassemblement autour de Mélenchon et de la FI pour les élections présidentielle et législatives.
Dès lors, ce qui s’est ainsi regroupé présente plusieurs aspects différents, ce qui a déjà été analysé par ailleurs :
– Mélenchon et les candidatures FI sont apparus comme les candidatures de gauche d’opposition à Macron et LREM, couvrant ainsi en partie l’espace traditionnel du PS. Voter à gauche au printemps 2017, c’était voter FI…Et, dans les derniers jours avant la présidentielle, Mélenchon a bénéficié, à sa manière, d’un appel d’air, sa présence au second tour n’apparaissant pas impossible. Schématiquement, on peut dire que entre un tiers et la moitié des voix recueillies représentent ce glissement de l’électorat du PS, mais il faut ajouter que par ce vote, ces électeurs acceptaient de voter pour un candidat qui s’affichait et qui était catalogué comme gauche radicale, anti-austérité, et clairement opposé à tout ce qui avait été la politique sociale de Hollande et Valls.
– Mélenchon et la FI, durant la campagne présidentielle notamment, ont polarisé au moins électoralement et dans leurs meetings, l’essentiel des forces militantes du mouvement syndical et social qui ont agi sur le terrain ces dernières années, et le programme avancé par Mélenchon, peu ou prou, rassemblait les exigences mises en avant par les mouvements que ce soit contre la loi Travail, lors de la COP21, dans les mobilisations féministes. Au moins trois exceptions de taille néanmoins, la bataille pour l’accueil des migrants face à la politique nauséabonde et criminelle du gouvernement, celle contre les violences policières, notamment dans les quartiers populaires, les actions contre la politique impérialiste de la France et en solidarité avec la résistance syrienne face au boucher Assad.
– Celles et ceux qui ont rejoint la campagne elle-même, les « volontaires » dans les « groupes d’appui », sont le plus souvent des militantEs de ces combats, à la recherche d’un cadre d’action politique contre le système et pour une part, convaincuEs de la nécessité d’une bataille frontale contre le système. Cela ne veut pas dire une bataille révolutionnaire, mais au moins une bataille centrée sur les mobilisations sociales.
– Enfin, autour de la campagne ont agi aussi les militantEs des divers composantes du défunt Front de Gauche, tout en étant marginaliséEs s’ils n’acceptaient pas la soumission à la France insoumise et à sa direction totalement hors de contrôle.
Le NPA doit prendre en compte cette réalité, car ce sont donc bien là une partie de ceux et celles avec qui nous militons dans divers cadres, qui partagent les mêmes combats et souvent le même rejet du système capitaliste et qui ont trouvé là, au moins dans la séquence électorale, un outil pour exprimer ce combat. Et parmi eux et elles, beaucoup de jeunes.
Cette description est sûrement partielle et mériterait d’être précisée…Cela ne veut pas dire que toutes et tous les militants radicaux du mouvement social se sont reconnuEs dans la campagne Mélenchon. Beaucoup, même dans la mouvance Front de Gauche ont refusé à la fois sur des questions de fond d’orientation de Mélenchon (souverainisme, républicanisme, positions vis-à-vis de Poutine, d’Assad, des migrants et travailleurs immigrés,..) et sur le « présidentialisme » autocratique à l’inverse d’un modèle collectif et démocratique. D’autres, bien sûr, mais bien minoritaires, autour du NPA notamment, en refusant aussi le cadre réformiste, parlementaire et keynésien de son orientation. Concernant le cadre théorique de Mélenchon, le mieux est de lire l’article de Pierre Rousset disponible sur le site d’ESSF [1]
La campagne FI et Mélenchon ont donc polarisé et partiellement organisé à leur manière, une bonne partie de celles et ceux avec qui nous voulons nous organiser dans le cadre d’une force anticapitaliste doté d’un projet révolutionnaire, comme cela est la base du projet du NPA. En cela, la FI a occupé durant cette campagne une partie très importante de notre espace politique, au-delà même de la crédibilité électorale.
Que peut-il en être dans les prochains mois ?
Les problèmes vont vite arriver pour la FI.
Le groupe parlementaire de la FI va sûrement avec efficacité occuper l’espace de l’opposition anti-austérité à l’Assemblée nationale, avec bien plus de visibilité que le groupe Front de Gauche précédent. Ce n’est évidemment pas peu de chose, vu l’éclairage médiatique dont ils vont bénéficier et le support que cela peut représenter pour des campagnes sur des questions diverses.
Par contre, il est clair que Mélenchon et son équipe veulent clairement brider toute dynamique organisationnelle et militante qui leur échappe. Le texte de Mélenchon du 10 juillet sur son blog est éloquent. Cela veut dire que les « groupes d’appui » vont rester des groupes de répercussion de la politique décidée en haut lieu et que toute incartade sera rapidement jugulée.
De même, les groupes politiques ou les tendances n’ont pas leur place, au moins pour l’instant, dans ce processus. Mis à part le groupe de direction, autour d’un petit noyau du PG autour de Mélenchon, Ils sont renvoyés dans la cour de récréation de « l’espace politique » sans aucun pouvoir de direction, ni même d’impulsion de débat au sein de la FI, puisque la FI regroupe des « volontaires » des « groupes d’appui », ni des militants ni des structures démocratique de débat et de décision. Et cela va durer. La convention d’octobre est d’ores et déjà largement cadrée de ce point de vue. Comment cette fermeture caporalisée passera au sein des groupes, parmi les militantEs, on ne peut pas encore le savoir, mais il fait peu de doute que ce cadre ne sera pas et ne pourra pas être remis en cause lors de la Convention. En cela toute comparaison du point de vue du cadre d’organisation avec Podemos est hors de propos. Et le plus probable, par ailleurs, est que Mélenchon lui-même n’accepte, même à moyen terme, aucune adaptation sérieuse de ce dispositif.
Donc, nul doute à avoir : à la fois pour des raisons de base politique et pour des raisons de fonctionnement, la FI en tant que telle n’est pas et ne pourra pas être le creuset d’une force politique correspondant à l’objectif de construction d’une force anticapitaliste unitaire et démocratique. Cela ne veut pas dire qu’elle ne va pas occuper, au moins médiatiquement et, à l’occasion, pour des initiatives de meetings ou de manifestations, une partie plus ou moins grande du combat contre la politique de Macron. Pas du tout toute la place (preuve la comparaison entre les rassemblements de la FI du 12 juillet et ceux du Front social du 14 juillet), mais une partie de la place. Cela ne veut pas dire non plus qu’elle ne va pas continuer de répondre partiellement à l’attente politique des milliers de militantEs qui devraient pouvoir s’organiser dans une force politique anticapitaliste.
Donc, pour esquisser les conséquences politiques de cela :
Les militants de la FI vont se retrouver écartelés. D’un côté, Mélenchon cultive l’image que la FI représente L’Opposition politique de gauche à elle seule — comme vient encore de le confirmer l’appel solitaire à se rassembler à Paris le 23 septembre —, tout en affichant un soutien (extérieur en quelque sorte) aux mobilisations syndicales et sociales qui ont lieu sur un terrain qu’il considère comme n’étant pas le sien. Dans cette vision autocentrée, n’existent pas les cadres unitaires qui agissent et se développent nationalement et localement contre les ordonnances, la politique sécuritaire et les autres questions politiques. Et évidemment, Mélenchon se donne encore moins la tâche de les initier ou au moins de participer à leur construction. Sa vision de la politique ignore les organisations réelles, les mouvements militants. La seule chose qui existe c’est le rapport direct de Mélenchon avec le peuple, « les gens ». Les militants locaux de la FI, qui participent souvent à des cadres unitaires, auront du mal à gérer ces contradictions.
Ces questions s’ajoutent évidemment au débat sur le fond de l’orientation de Mélenchon, sans parler Les débats de fonctionnement interne, de démocratie qui vont avoir lieu dans la FI.
Ces débats sur le fond concernent de nombreux domaines évoqués plus haut. Cela concerne aussi la question de fond de l’affrontement au système lui-même. Dans son cadre inspiré de Laclau et Mouffe, opposant le peuple et la caste, Mélenchon estompe les conflits de classe tout comme les combats contre les discriminations et les oppressions spécifiques. Mais nous ne nous affrontons pas à une « caste », mais à une classe, la classe capitaliste qui a construit un Etat servant ses intérêts. Il en est de même de l’Union européenne. Aucun programme de lutte contre l’austérité, y compris le programme parlementaire de Mélenchon (même dans ses limites réformistes) n’est applicable sans un affrontement avec le système, sans prendre en compte la réaction des capitalistes, des banques, de l’Union européenne. Cette réalité impose non seulement un programme de prise en main directe des outils économiques et bancaires mais aussi que ce soient les exploitéEs, elles-mêmes et eux-mêmes qui soient le réel moteur conscient de l’action politique et qu’elles et ils se donnent les moyens par leur mobilisation et leur auto-organisation de combattre le système et de le renverser…Peu de choses à avoir avec un sauveur suprême.
Léon Crémieux