Nous, femmes venant de plus de 70 pays, représentantes de nos mouvements, réunies lors de notre Ve Assemblée des femmes, dans le cadre de la VIIe Conférence internationale de La Via Campesina, nous adressons à toutes les femmes, à tous les mouvements paysans et mouvements populaires en général, la déclaration suivante :
Nous sommes des femmes rurales et nous en représentons la diversité : femmes autochtones, paysannes, salariées rurales, pêcheuses, bergères, artisanes, jeunes, migrantes et cueilleuses. Par notre travail de production et notre travail politique, nous contribuons quotidiennement aux luttes rurales et au mouvement international de La Via Campesina, depuis la perspective du féminisme et de la souveraineté alimentaire.
Nous avons pour commencer, lors de cette Assemblée, rappelé notre histoire jusqu’à présent, en mettant en avant les progrès que nous avons accomplis, sûres de nos actions et de nos réflexions.
Nous avons ratifié le manifeste des femmes rurales, élaboré par la IVe Assemblée des femmes en 2013. Ce manifeste guide nos actions et constitue une proposition de changement qui s’adresse à l’ensemble de la société.
Nous réaffirmons notre engagement à résister sur le terrain, à participer pleinement au sein des organisations, à combattre la violence faite aux femmes jusqu’à son éradication totale, à condamner les guerres et à contribuer à construire la paix grâce à la justice sociale, à défendre notre Terre-Mère et à lutter pour redonner à toute l’humanité la possibilité de bien vivre.
Une fois de plus, nous constatons ce qui suit :
Le système capitaliste et patriarcal continue de croître dans le monde entier et viole nos territoires, nos corps et nos esprits. Il continue d’accumuler toujours plus de capitaux, au détriment de la planète et de l’avenir de l’humanité.
En cette époque de crise profonde du système capitaliste, son expression néolibérale, les gouvernements dictatoriaux et impérialistes, propagent les guerres, extraient traîtreusement les communs, envahissent des nations, provoquent des migrations forcées, chassent les peuples de leurs terres, militarisent les terres, poursuivent ceux qui luttent, les emprisonnent ou les assassinent, et ne cessent pas.
La nature et l’agriculture continuent d’être commercialisées et l’extraction incontrôlée de tout type de ressources se fait sentir avec l’accélération du changement climatique, dont les conséquences sont catastrophiques pour nos communautés et plus particulièrement pour les femmes. Celles-ci sont exposées à des situations qui restreignent la vie rurale et les cultures. Les personnes qui produisent les aliments et les richesses sont touchées par de graves famines et par la pauvreté.
Dans ce contexte, les femmes portent de plus en plus le poids de la production des biens et des aliments. Cependant, leur travail ne cesse d’être rendu invisible et le travail de prise en charge de leurs proches qu’elles effectuent n’est ni valorisé, ni soutenu, ni assumé par la collectivité ou la société, ce qui alourdit le fardeau de leurs tâches et entrave leur pleine participation.
Les types de violences structurelles se sont multipliés. Nous souffrons de violence économique, professionnelle, environnementale, physique, sexuelle et psychologique. Le féminicide continue et s’intensifie. La criminalisation des femmes et de leurs organisations s’est accentuée dernièrement et, de même que l’impunité et les meurtres politiques, est devenue un obstacle de taille pour l’avancée des luttes des femmes. L’accaparement des terres par les multinationales nous expulse de nos terres et de chez nous. Souvent, avec l’aide complice de l’armée, nos cultures et nos maisons sont réduites en cendres. Nous sommes depuis des décennies victimes de migrations forcées, mais actuellement, de plus en plus de personnes font l’objet de trafics orchestrés par la criminalité organisée. La guerre nous touche d’une manière particulièrement brutale ; la violence économique s’aggrave, ce qui entraîne une généralisation de la violence sexuelle et nous enfonce dans la pauvreté. Notre vie est, par conséquent, devenue infiniment plus dure. Les hommes de nos familles sont persécutés, emprisonnés et tués, ce qui nous rend encore plus vulnérables et nous fait ployer sous le poids supplémentaire des tâches indispensables à la survie et à la protection de nos enfants, qui sont de plus en plus exposés à la violence sexuelle, à la mort et au déracinement. La fumigation de produits agrotoxiques sur les grandes monocultures a des conséquences directes sur notre corps, sur l’environnement et sur notre travail. Les semences indigènes et créoles sont contaminées par les organismes génétiquement modifiés et menacent notre souveraineté alimentaire.
Au sujet de notre droit et devoir de participation aux processus politiques et à la prise de décisions
Nous reconnaissons les progrès accomplis, idéologiquement, politiquement et législativement, en ce qui concerne la participation politique. Mais souvent, ces avancées ne se traduisent pas par des mesures pratiques dans notre vie quotidienne, au niveau des États ou de nos organisations.
Nous continuerons d’œuvrer et de lutter pour que nos organisations soient pionnières en ce qui concerne les changements nécessaires pour garantir notre pleine participation politique, notamment au niveau de la prise de décisions, de l’élaboration de stratégies et des responsabilités de nos représentant(e)s. Nous continuerons d’exiger que notre travail de production soit reconnu et que notre travail de mères et d’aidantes soit valorisé, partagé et pris en charge collectivement. Il s’agit d’une condition indispensable à notre pleine participation.
Construire un féminisme paysan et populaire
Nous bâtissons, à partir de notre identité paysanne et populaire, un féminisme visant à servir d’outil pour nos organisations et pour le processus d’émancipation sociale des hommes et des femmes.
Le féminisme que nous proposons reconnaît notre diversité culturelle et les conditions très différentes auxquelles nous faisons face à chaque endroit, dans chaque région et chaque pays. Nous le construisons à partir des combats quotidiens menés par les femmes de toute la planète : les luttes pour notre autonomie, la transformation de la société, la défense et la protection de l’agriculture paysanne, et la souveraineté alimentaire. De nouveaux hommes et de nouvelles femmes en émergeront, ainsi que de nouvelles relations hommes-femmes fondées sur l’égalité, le respect, la coopération et la reconnaissance mutuelle. Ce féminisme possède un pouvoir de transformation, il est rebelle et autonome. Nous le bâtissons collectivement par notre réflexion et par des actions concrètes contre le capital et le patriarcat. Il est solidaire des luttes de toutes les femmes et de tous les peuples qui résistent.
Ce féminisme doit également être consolidé par une formation féministe, pour nous et pour toutes nos organisations. Nos mouvements doivent veiller à réserver des espaces aux femmes, au sein desquels nous pouvons, ensemble, accroître notre autonomie.
Faire campagne pour mettre fin aux violences faites aux femmes
Notre campagne « Mettons fin à la violence contre les femmes » a joué un rôle extrêmement important pour dénoncer la violence dont nous sommes victimes et éveiller les consciences au sein de nos organisations. Nous devons étendre l’engagement pris par l’ensemble des femmes et des hommes de La Via Campesina, y compris les jeunes, afin d’inclure des actions concrètes dans nos campagnes quotidiennes et de venir à bout de la violence qui constitue le principal obstacle auquel nous sommes confrontées.
Nos méthodes populaires de communication devraient amplifier la campagne en faisant connaître et en rendant plus visibles le problème auquel nous faisons face, les luttes que nous entreprenons et les propositions que nous élaborons.
Nous, femmes rurales, continuerons à nous organiser et à lutter pour le droit de vivre dans la dignité, la justice et l’égalité.
Avec le féminisme et la souveraineté alimentaire, nous construisons le mouvement pour changer le monde.
Euskal Herria, Derio, 18 juillet 2017