A l’été 2011, les mobilisations ont reflué, et il en va de même pour les comités locaux de protection de la révolution ayant surgi en janvier-février.
Nombre d’entre eux se sont fractionnés entre partisans de la Haute instance, adversaires de la Haute instance et islamistes. Certains se transforment en comités de soutien à des candidats aux élections, voire en milices islamistes (sous le nom de Ligues de protection de la révolution).
La mise en place de comités régionaux, préalable à leur nomination par le pouvoir au sein de la Haute instance, affaiblit l’autonomie des comités locaux envers les partis politiques et l’Etat.
Suite à la victoire électorale d’Ennahdha le 23 octobre 2011, un certain nombre de militant-e-s ayant joué un rôle moteur dans la révolution sont démoralisé-e-s, et le reflux des luttes s’accentue.
En 2012 et 2013, la résistance au pouvoir d’Ennahdha et aux exactions des milices islamistes s’organise pour l’essentiel autour, ou sous la direction, des organisations politiques, syndicales et associatives.
Un nouveau cycle de mobilisations
La puissante vague de grèves, centrée sur les salaires, qui se développe entre l’automne 2014 et l’automne 2015, concerne essentiellement les secteurs faisant traditionnellement partie du champ de syndicalisation de l’UGTT. C’est donc fondamentalement en son sein que se structurent les luttes qui débouchent sur une série d’avancées pour les travailleurs concernés.
Il en va différemment pour les secteurs les plus paupérisées au sein desquels l’UGTT est traditionnellement très peu implantée. Depuis 2011, des mobilisations très combatives y éclatent périodiquement. Celles-ci se dotent à chaque fois d’une structuration plus ou moins formalisée, comme actuellement dans les régions de Tataouine et Kebili.
Vers une structuration nationale des luttes des plus démuni-e-s ?
En janvier 2016 une vague de luttes des populations marginalisées, partie de l’intérieur de la Tunisie, s’est répandue dans l’ensemble du pays. Mais celles-ci sont éparpillées et ne débouchent qu’exceptionnellement sur de réels résultats. Le pouvoir a en effet pris la décision de ne pas négocier, ni écouter, ainsi que de multiplier les procès contre leurs animateurs.
Des chômeurs en lutte expliquent : « Mille fois nous avons fait le bilan de l’échec. Des camarades en prison, d’autres affaiblis par les grèves de la faim, d’autres qui n’ont plus d’espoir… jusqu’à quand allons-nous nous battre, chacun de notre côté ?
« Après une marche à pied de Gafsa jusqu’à Tunis et quatre mois de sit-in dans un jardin public, où nous étions encerclés par les forces de l’ordre qui nous refusaient l’accès à Tunis, nous avons compris que nous ne pouvons rien faire sans l’appui de la société civile et des autres mouvements. Ce gouvernement se sent plus fort parce que nous sommes dispersés ».
D’où une conclusion logique : « Soit nous concrétisons la coordination entre tous les chômeurs, soit ça sera encore une fois l’échec ».
Dans ce but, plus de 240 animateurs/trices de ces mouvements sociaux se sont réuni-e-s en congrès du 24 au 26 mars 2017.
Ils/elles représentaient notamment :
– des sit-ins de chômeurs diplômés ou pas,
– des sit-ins de travailleurs très précaires et surexploités (travaux publics, mais aussi gardiennage, petits travaux administratifs, etc.)
– des ouvrières du textile licenciées,
– des travailleuses de l’agriculture,
– des victimes de la pollution par une usine de phosphate de Gabès,
– la population de Jemna qui, depuis 2011, occupe et gère collectivement une plantation de palmiers-dattiers.
Ce congrès avait pour but de donner naissance à une coordination nationale des mouvements sociaux.
Même si une association, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), a rendu possible ce congrès, elle tient à préciser que les mouvements sociaux sont totalement indépendants et ont géré ce congrès d’une façon autonome : « Nous ne voulons pas chapeauter le congrès ou diriger les mouvements sociaux, mais seulement les aider dans leurs actions et leurs combats. Ce congrès est maître de lui-même, et nous n’avons aucun pouvoir sur ses décisions et son orientation ».
Sources : Henda Chennaoui (2017), Dominique Lerouge (2017)