Le 14 janvier, Ben Ali prend la fuite, mais le reste du régime reste en place. « La retenue des mobilisations politiques est patente. Les foules font le siège du ministère de l’Intérieur, et du palais du gouvernement sans les investir ». (Jean-Philippe Bras et Éric Gobe 2017)
3.1 Les propositions du Front du 14 janvier (20 janvier)
Le Front du 14 janvier, auquel participe l’essentiel des gauches marxistes (1) et nationalistes arabes, fait dans sa plate-forme constitutive du 20 janvier les propositions suivantes :
Démanteler l’ancien régime
– Faire tomber le gouvernement Ghannouchi et tout autre gouvernement comportant des symboles de l’ancien régime (point 1)
– Dissoudre le parti de Ben Ali (point 2)
– Dissoudre l’Assemblée nationale, le Sénat, etc. (point 4)
– Dissoudre l’appareil de police politique (point 5)
– Garantir les libertés publiques et individuelles (point 10)
– Traduire devant la justice tous ceux qui ont pillé l’argent du peuple et commis des crimes contre lui (point 6)
– Réquisitionner les biens des membres de l’ancienne famille régnante et autres corrompus (point 7)
Mettre en place un pouvoir politique alternatif
– Former un gouvernement provisoire « ayant la confiance du peuple et ses forces progressistes, militants politiques, associatifs, syndicaux et jeunes ». (point 3)
– Préparer des élections pour une Assemblée constituante, dans un délai maximum d’un an, pour réécrire une nouvelle Constitution démocratique (point 4)
Rompre avec l’ordre économique et social
« La création d’emplois pour les chômeurs et des mesures urgentes pour accorder une indemnisation de chômage, une plus grande couverture sociale et l’amélioration du pouvoir d’achat pour les salariés ». (point 8)
"Construire une économie nationale au service du peuple, mettant sous le contrôle de l’Etat les secteurs vitaux et stratégiques, nationaliser les entreprises qui ont été privatisées et élaborer une politique économique et sociale en rupture avec le capitalisme . (point 9)
Développer les mobilisations et l’auto-organisation
– Poursuivre la mobilisation, à commencer par les manifestations, jusqu’à la réalisation des objectifs fixés (point 13)
– « Développer les formes d’auto-organisation de la population et étendre leur cercle d’intervention à tout ce qui concerne les affaires publiques et la direction des différents aspects de la vie courante ». (point 14)
3.2 Kasbah 1 (22 janvier-28 janvier)
Dans la région de Sidi Bouzid, face au détournement en cours de la révolution, une vingtaine de militants de Menzel Bouzaïane (trotskystes, marxiste-léninistes, nassériens, baathistes, gauche de l’UGTT) décident d’organiser une « caravane de la liberté » vers Tunis.
Ils sont rejoints en route par un millier de personnes, puis par des délégations venues de toute la Tunisie. Un sit-in s’auto-organise devant le palais du gouvernement où les participants se regroupent par région d’origine.
La gauche de l’UGTT contraint la centrale à soutenir le sit-in.
L’élection d’une Assemblée nationale n’est qu’une revendication parmi d’autres dont : « Travail, liberté, dignité nationale », « Le peuple veut la chute du régime » (D’après Choukri Hmed 2016)
" Cette place, hautement symbolique, est située au nord-ouest de la médina de Tunis et regroupe les principaux ministères régaliens.
L’occupation collective de cet espace symbolique a contribué à désobjectiver et à délégitimer les institutions de l’ancien régime. Jusqu’alors sévèrement gardée par les forces de l’ordre, la place de la Kasbah s’est transformée en un gigantesque forum où coexistaient des groupes sociaux divers, défiant et invectivant directement les ministres sous leurs fenêtres, et dormant sous leur toit." (Choukri Hmed 2011)
Le 26 janvier, le Front du 14 propose l’organisation d’un congrès national de défense de la révolution.
Celui-ci serait composé de partis politiques, d’associations et de syndicats s’étant opposés à Ben Ali. Il se substituerait à la fois au gouvernement Ghannouchi et à l’Assemblée. (Houki Chaker 2011 & Bras et Gobe 2017)
Le 27 au soir, Mohamed Ghannouchi constitue un nouveau gouvernement sans autre ministre bènaliste que lui-même.
Parmi les manifestants, le débat est vif quant à l’opportunité de poursuivre le mouvement.
Quant à la direction de l’UGTT, qui a donné son aval à la formation du nouveau gouvernement, elle « tente de convaincre les manifestants de rentrer dans leurs provinces, dès lors que 80 % de leurs exigences sont désormais satisfaites ». (AFP/Le Monde)
Le 28 janvier, le pouvoir dégage violemment le sit-in de la Kasbah.
« La fin du premier mouvement a été particulièrement violente — les manifestants ayant été chassés à coups de gaz lacrymogènes et de charges de la police, puis embarqués dans des bus les ramenant « à destination ».
3.3 Le CNPR (Conseil national de protection de la révolution) (11 février)
Le CNPR est fondé le 11 février par 28 organisations s’étant opposées à Ben Ali. Outre le Front du 14 janvier, en font notamment partie des composantes aussi diverses que des organisations d’avocats et de magistrats, l’UGTT, l’UGET (étudiants) et l’UDC (diplômés chômeurs), la section de l’Internationale socialiste (FDTL) et Ennahdha. (2)
Du fait même de son hétérogénéité, le CNPR est basé sur un compromis entre deux logiques différentes :
– D’une part il répond au besoin de pallier à l’éparpillement des comités locaux. Grâce à l’étendue de sa base sociale, le CNPR constitue un contre-pouvoir incontournable face aux notables de l’ancien régime qui se sont approprié le pouvoir dès le lendemain de la fuite de Ben Ali.
Cet aspect est renforcé par la décision du CNPR, lors de sa fondation, d’appeler à la création de Comités de protection de la révolution à tous les niveaux. Désormais, l’UGTT va jouer un rôle de premier plan dans la constitution et l’encadrement d’un grand nombre de conseils locaux.
– Mais d’autre part, le CNPR renonce par avance à devenir le point de départ d’un pouvoir alternatif tirant sa légitimité des seuls comités locaux.
Il ne conteste pas la légitimité du pouvoir en place : le CNPR demande en effet que sa création soit « approuvée par un décret émis par le Président provisoire » (point 6) (3).
Dans le cadre des réformes décidées par le pouvoir en place, le CNPR veut parvenir à un consensus avec lui pour modifier « les commissions qui ont été formées en ce qui concerne leur compétences et leur composition » (point 3).
Le CNPR déclare limiter ses ambitions à :
– « La surveillance des actions du gouvernement provisoire qui se charge des affaires courantes » (article 2).
– « veiller à la préparation des législations relatives à la période de transition et à leur approbation (annulation des lois contraires aux libertés, etc ...) » {{}} (article 1),
– rendre nécessaire « l’approbation » du CNPR en ce qui concerne « la nomination des responsables aux hautes fonctions » (article 2) et les projets de réformes proposées par les différentes commissions mises en place au lendemain du départ de Ben Ali (article 3).
Contrairement à ce que proposait le Front du 14, « le CNPR reste au milieu du gué (...) et ne se substitue pas aux institutions d’État ». (Bras et Gobe 2017)
La double nature du CNPR se traduit dans les faits par une orientation dépendant en permanence de l’évolution des mobilisations, ainsi que des rapports de forces entre ses diverses sensibilités :
– En ce qui le concerne, le Front du 14 janvier réitère dès le 12 février son appel à l’organisation d’un congrès national de défense de la révolution ayant vocation à remplacer le pouvoir en place.
– Simultanément, certaines composantes du CNPR, dont la direction de l’UGTT, négocient leur intégration dans la « Haute instance » (voir le point 3.5 de ce texte).
– Tout cela n’empêche pas que, le 21 février, le CNPR s’implique dans la deuxième occupation de la Kasbah décidée par son aile la plus radicale (voir le point 3.4 de ce texte).
Hostile au CNPR avant même qu’il ne soit crée car il y voit très certainement le germe possible de de ce Ben Achour appelle un « gouvernement de fait » (4), l’objectif du pouvoir est désormais de faire obstacle à son indépendance et à sa capacité décisionnelle. Pour y parvenir, il cherche à l’incorporer au sein de la Commission sur la Réforme qu’elle avait mise en place le 17 janvier, et qui est elle-même une instance consultative.
Pour ce faire, une « Haute instance » (5) est juridiquement crée le 18 février. La nomination de ses membres est de la seule responsabilité du gouvernement.
« Erigée comme une instance rivale » du CNPR, la Haute instance a pour but de le « neutraliser » en « le transformant en un simple organe soumis à la volonté du pouvoir ». (Houdi Chaker 2011)
La première réunion de la Haute instance n’aura lieu que le 17 mars, après négociations avec diverses composantes d’accord pour y être nommées.
3.4 Kasbah 2 (21 février - 4 mars)
Le 21 février, des sit-ins se mettent en place sur les places des Kasbah de Tunis et Sfax, à l’initiative de collectifs militants proches des courants les plus à gauche du Front du 14 janvier ainsi que de structures UGTT de l’enseignement secondaire. Ils reçoivent l’aval de la centrale UGTT. (Choukri Hmed 2016)
Des participants racontent : « Tous les sit-in du pays avaient envoyé des gens à la Kasbah de Tunis. Le premier jour, on était 1 000 et on a forcé le barrage de police. Mais la nuit on était plus que 250. C’est monté peu à peu jusqu’à 3 000 qui restaient 24h/24. »
Parmi les mots d’ordre figurent :
– Sit-in jusqu’à la chute de Ghannouchi
– Assemblée constituante
– Amnistie des prisonniers
– Arrêt du travail des commissions annoncés par Ben Ali avant son départ
– Dissoudre le RCD
– Abroger la constitution existante
– Pour l’indépendance de la justice
– Virer tous ceux qui ont collaboré avec l’ancien régime
– Liberté pour les partis, associations, syndicats, presse
– Nouveau code pénal, code électoral et code civil".
(Source : Propos de participants recueillis en mars-avril 2011)
Pendant toute la durée du sit-in, l’espace formé par la place sera disputé entre les autorités légales (ministère de l’Intérieur, forces de l’ordre et forces armées notamment) et les manifestants.
Le service d’ordre assure l’organisation logistique, et plus ponctuellement la gestion de la parole et des débats entre participants. Trois tentes abritent le service de presse du mouvement, le service logistique et une représentation de l’UGTT.
La nuit tombée, les points d’accès font l’objet, par le service d’ordre, d’opérations de fouille au corps particulièrement pointilleuses.
Selon l’heure et le jour, le nombre de participants oscille entre entre quelques dizaines et quelques milliers.
La place du Gouvernement est une agora permanente. Les cercles de discussion qui se forment spontanément doivent suivre les règles fixées par les organisateurs : ne pas élever la voix, ne pas faire de discours sous la forme de monologue ou de tribune, laisser la parole s’exprimer sans violence et sans grossièreté, la faire circuler librement en respectant le « droit de réponse » des interlocuteurs. Dans le cas, assez rare, où les participants sont considérés comme ne respectant pas les règles, ils se font reconduire avec fermeté hors du périmètre.
Les thèmes débattus sont, quant à eux, très variés : on y parle de l’emploi, de la légitimité du gouvernement actuel, du mode de scrutin le plus adéquat pour l’élection de l’Assemblée constituante, de la place des régions en Tunisie, mais également de celle de l’islam, de l’Education nationale, etc.
Ces débats incessants, dont la plupart sont filmés par les protagonistes, sont presque continuellement ponctués ou accompagnés de chansons et de slogans.
Les murs sont couverts de graffitis en arabe, en français et en anglais, appelant notamment à :
– la chute du régime,
– la dissolution du Parlement, du RCD et du gouvernement provisoire
– l’institution d’une Assemblée constituante et d’un régime parlementaire
Le 25 février, une manifestation rassemble plus de 100 000 personnes à Tunis. Elle sera suivie le lendemain d’affrontements particulièrement violents entre des bandes de casseurs et les forces de l’ordre autour de l’avenue Habib Bourguiba, faisant trois morts.
(Source principale sur le sit-in de la Kasbah : Choukri Hmed, avril 2011)
Le CNPR demande que de larges concertations aient lieu « en vue de garantir le consensus national autour du choix du premier ministre et de former un gouvernement provisoire de gestion des affaires courantes, avec pour membres des personnes (...) qui ne se sont pas impliquées avec l’ancien régime ». (Houki Chaker 2011)
Le 27 février, le premier ministre Mohamed Ghannouchi démissionne. Il est remplacé par Beji Caïd Essebsi qui a occupé des fonctions de premier plan entre 1965 et 1991.(6)
Le sit-in de Kasbah 2 est finalement levé le 4 mars. Une coordination de 49 membres est auparavant mise en place dans le but de contribuer à la poursuite de la mobilisation.
(Propos de participants recueillis en mars-avril 2011)
3.5 Un nouveau contexte (mars 2011)
La situation change de façon importante pendant le mois de mars.
* Responsable politique de premier plan avant octobre 1991, le nouveau Premier ministre Essebsi satisfait une partie des objectifs des manifestants : annonce d’élections à une assemblée constituante (3 mars), dissolution de la sûreté de l’État et de la police politique (7 mars), dissolution du RCD (9 mars), dissolution de la Chambre des députés, de la Chambre des conseillers (sorte de Sénat), du Conseil économique et social, du Conseil constitutionnel (23 mars), expropriations de certains benalistes (29 mars), interdiction aux bènalistes de se présenter aux élections (11 avril).
* Par contre, sur le plan économique et social, rien ne s’est amélioré depuis le 14 janvier
* Les mobilisations ont beaucoup reflué. Après la levée du sit-in de Kasbah 2 le 4 mars, les manifestations sont désormais plus réduites et parfois violemment réprimées.
Le mouvement dit de « la Kasbah 3 », essentiellement organisé par des comités ne se reconnaissant ni dans la Haute instance, ni dans le CNPR, ni dans les islamistes, a dû être repoussé du 22 mars au 1er avril, faute de participants. (Houki Chaker 2011)
Il subit, le 1er avril, une répression importante de la part des forces de police, dont de nombreuses arrestations. (Choukri Hmed 2011)
* La Haute instance (HIROR ou ISROR)
Mise en place et dirigée par des notables de l’ancien régime, La Haute instance tient sa première réunion le 17 mars.
Les organisations membres du CNPR sont divisées à son propos :
– Pour le PCOT, par exemple, « le but de cette instance est de torpiller le CNPR et de l’anéantir, pour que le gouvernement agisse sans aucun contrôle ».
– Celles qui, comme deux partis de la mouvance Watad (Patriotes démocrates) (7), choisissent d’y siéger le font sur la base de leur propre orientation, et non plus en tant que membres du CNPR. Dans de telles conditions, le CNPR (8) et le Front du 14 se désagrègent.
« L’entrée à l’ISROR a permis de briser toute union entre les conseils pour la protection de la révolution » (Houki Chaker 2011).
Nombre de comités locaux se fragmentent en effet entre partisans et adversaires de la participation à la Haute instance.
Simultanément des islamistes de diverses obédiences créent leurs propres comités dont certains se transformeront par la suite en milices islamistes (Ligues de protection de la révolution).
Fondés au départ comme structures indépendantes de l’Etat, un certain nombre de comités locaux et régionaux tendent de façon croissante à s’insérer dans le cadre fixé par celui-ci.
« La participation de certains membres de conseils pour la protection de la révolution dans la Haute instance est une manière d’acquérir une certaine légitimité ». (Houdi Chaker)
C’est dans ce contexte que se développe la structuration au niveau régional (voir le quatrième texte de ce dossier http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article41782).
Face aux protestations concernant le fait que différentes composantes n’y sont pas assez représentées (comme par exemple les jeunes, les femmes et les régions de l’intérieur)9, le pouvoir nommera par la suite des membres supplémentaires. Son effectif passera le 5 avril de 72 à 155 membres, dont des représentants de l’UGET (étudiants), de l’UDC (diplômés chômeurs) et des régions (Bras et Gobe 2017).
A l’approche des élections, « les conseils de protection de la révolution servent désormais comme un cadre d’arrangement et de négociation entre les différents acteurs concernés par les élections ». (Houdi Chaker 2011)
3.6 La conférence nationale de Nabeul (9 et 10 avril 2011)
C’est dans ce contexte dégradé que des comités hostiles à la participation à la Haute instance, tentent de se coordonner. « En final, 144 membres de conseils ou comités sont présents à Nabeul, dont 23 appartiennent à Ennahdha. Ils proviennent de 14 des 24 gouvernorats. Sur 49 membres de la coordination issue de Kasbah 2, seuls 13 sont présents » expliquent des participants.
Les sources concernant cette conférence ne sont pas toujours très simples à comprendre, et parfois partiellement contradictoires.
Des initiateurs de cette conférence expliquent :
« On a tenté de prendre des contacts avec tous les comités qui ne veulent pas se laisser entraîner sur la pente des élections. Ce sont des comités voulant une mobilisation sur une plate-forme sociale ».
« Le seul outil aujourd’hui pour le peuple c’est le CNPR. Mais celui-ci n’est pas clair sur ses objectifs. C’est pourquoi il faut que la conférence se prononce clairement dans le sens d’une continuation et d’un approfondissement de la révolution ».
Trois orientations se faisaient face :
– une portée par des militants d’Ennahdha, organisation qui participe nationalement à la Haute instance et dont la référence est l’AKP de Turquie,
– une par le conseil régional de Nabeul représenté par des Patriotes démocrates, dont les représentants nationaux participent à la Haute instance,
– une troisième orientation portée par des militants de la LGO, du PCOT et des nationalistes arabe. Son objectif était de continuer la révolution. C’est cette troisième orientation qui l’a emportée.
Sa plate-forme comportait notamment les points suivants :
1/ Le combat contre le gouvernement provisoire, héritier de la dictature,
2/ Le refus que les prochaines élections soient organisées par la Haute instance, directement issue du comité de réforme mis en place par Ben Achour.
3/ La convocation d’un congrès des comités regroupant les conseils locaux et régionaux de protection de la révolution, et les participants au sit-in de Kasbah 2.
Les objectifs de ce congrès seraient :
– la modification du CNPR, en le débarrassant notamment des partis soutenant Essebsi.
– la convocation une Assemblée constituante démocratique et populaire,
– la satisfaction des objectifs de la révolution sur le plan social et politique.
Mais cette démarche échoue. « Au lieu de discuter d’un plan d’action, le débat se focalise sur la laïcité, l’égalité hommes/femmes, etc. ».
La déclaration issue de la réunion de Nabeul reste vague, et tout le monde peut la comprendre à sa façon.
Les membres de la coordination issue de Kasbah 2 participant à la réunion de Nabeul, au lieu d’être un point d’appui pour réorganiser le CNPR se rallient à lui dans sa forme actuelle".
D’où ce bilan amer tiré par un militant dans la première quinzaine d’avril 2011 : « Au niveau de l’auto-organisation, la révolution a échoué pour l’instant. Beaucoup de ces conseils sont parachutés. C’est pourquoi il faut remobiliser les gens autour de revendications sociales pour revitaliser ces comités ».
Déclaration issue de la conférence de Nabeul :
"Nous, les congressistes réunis à Nabeul les 9 et 10 avril en l’honneur des martyrs et pour la défense de notre pays contre les traitres, nous déclarons que :
1) Le gouvernement Essebsi est un gouvernement qui s’inscrit dans la continuité de Bourguiba et Ben Ali, qui abolit les objectifs de la révolution.
2) La Haute instance de la révolution est une instance fantoche.
3) Le Conseil national de défense de la révolution (CNPR) est un contre-pouvoir face au gouvernement provisoire. Il doit être maintenu.
4) Les grèves et les sit-in organisés pour défendre les demandes de la population sont légitimes.
5) La police politique doit être abolie. Les gens liés à Ben Ali doivent être jugés.
6) La présence des anciens RCDistes dans les nouveaux partis politiques (doit être interdite ?),
7) Les comités locaux et régionaux doivent être maintenus.
À bas le gouvernement Essebsi ! Avançons contre la haute instance ! Nous sommes du côté du peuple, des jeunes, contre l’oppression, le sionisme".
(Traduction de participants, recueillie dans le jours ayant suivi la conférence de Nabeul)
En ce qui le concerne, Houki Chaker écrit :
"Lors de leur congrès organisé à Nabeul par les comités et les conseils régionaux et locaux qui ont regroupé 140 représentants, et avec le concours et la participation du CNPR, il a été proclamé le refus de ses membres à toute collaboration avec l’ISROR tout en appelant les différents représentants locaux dans cette instance de se retirer, sinon ils sont jugés comme des arrivistes ayant trahi les principes de la révolution du 14 janvier.
Le Congrès soutiendra tous les sit-in, il insiste sur la dissolution de la police politique et appelle à juger le chef de l’Etat déchu, de réformer la justice et d’assainir l’administration des figures de la tyrannie et la corruption".
Notes :
1. Issu de l’ex-Parti communiste tunisien et futur Massar, Ettajid n’est naturellement pas membre du Front du 14. Ce parti, qui ne se réclame plus du marxisme depuis 1993 mais du centre gauche, est membre du gouvernement Ghannouchi.
2. Ne font pas partie du CNPR, le parti du centre PDP (futur Joumhouri) et Ettajid (ex-Parti communiste tunisien et futur Massar) qui participent tous deux au gouvernement.
3. Ce qui suscite l’ironie mordante du Parti Ettajid (ex-PCT), qui participe au gouvernement, à l’encontre des membres du CNPR « cherchant à obtenir une légitimité qui leur serait octroyée par une instance à laquelle ils ont préalablement ôté toute légitimité. Eux qui prétendent détenir la légitimité révolutionnaire, veulent que le Président provisoire qui n’a, à leurs yeux, aucune légitimité, les intronise en vertu d’un décret-loi qui lui a délégué par un parlement dont ils ont demandé la dissolution ». (Houki Chaker 2011)
4. Voir la note 2 dans le premier texte de ce dossier. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article41785
5. Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique (HIROR).
6. Essebsi a été notamment ministre de l’Intérieur en 1965-1969, ministre de la Défense en 1969-1970, ambassadeur en 1970-1971, ministre des Affaires étrangères en 1981-1986, à nouveau ambassadeur en 1987, Président de la Chambre des députés en 1990-1991. Il est resté député RCD jusqu’en 1994.
7. Il s’agit des Watad (Patriotes démocrates d’origine marxiste-léniniste) du MOUPAD de Chokri Belaïd et du PTPD (dirigé à l’époque par Abderrazak Amami et Mohamed Jmour).
8. Hormis le MOUPAD et le PTPD, les autres partis appartenant au Front du 14 janvier confirment, dans un communiqué du 16 mars, leur pleine adhésion au CNPR. Ils y rappellent « à ceux qui s’opposent à ce conseil, prétextant qu’il serait illégitime (car non émanant d’un vote populaire), que la seule légitimité qui existe aujourd’hui est celle de la révolution ». (Houki Chaker 2011)
9. Notamment Chokri Belaïd (MOUPAD), le 17 mars lors de la première séance de la Haute instance, puis le 22 mars (Bras et Gobe 2017).