Donald Trump abrogeait, mardi 15 août, par décret présidentiel, la réglementation prise en 2015 par son prédécesseur pour encadrer la construction d’infrastructures en zones inondables. Moins de deux semaines plus tard, l’ouragan Harvey noyait le Texas sous des précipitations diluviennes. Déjà, la collision des deux événements alimente, outre-Atlantique, une ironie acerbe sur la guerre déclarée par le président aux régulations environnementales. Le désastre en cours sera-t-il celui qui fera changer de posture la nouvelle administration sur la question climatique ?
S’il est impossible d’imputer un événement météorologique isolé au réchauffement en cours, Harvey apparaît néanmoins comme une concrétisation du risque climatique. « Il y a certains facteurs liés au changement climatique dont nous pouvons dire, avec un haut niveau de confiance, qu’ils aggravent les inondations », a déclaré le climatologue américain, Michael Mann, chercheur à l’université de Pennsylvanie.
D’abord, en l’état des connaissances, l’augmentation tendancielle des températures de l’atmosphère et de l’océan contribue à accroître la fréquence des cyclones tropicaux de catégories 4 et 5. « Ensuite, l’élévation du niveau de la mer due au changement climatique a été de plus de 15 centimètres au cours des dernières décennies, ajoute M. Mann. Ce qui implique que l’onde de tempête a été plus haute qu’elle ne l’aurait été, d’où plus d’inondations et de destructions. »
Exposition à une pollution majeure
L’« onde de tempête » est cette brusque montée de l’océan provoquée par les basses pressions et le vent : une part des inondations tient à cette brutale entrée de la mer à l’intérieur des terres. « La submersion dévastatrice que connaît Houston est due à cette combinaison entre inondations côtières et fortes précipitations », ajoute le chercheur. Or l’augmentation de l’intensité des pluies est également favorisée par la chaleur stockée dans les océans, qui favorise l’accumulation d’humidité dans l’atmosphère.
La vulnérabilité de l’Est des Etats-Unis au changement climatique se lit dans l’accumulation récente de catastrophes majeures. De Katrina en 2005 à Harvey en 2017 en passant par Sandy en 2012 et Ike en 2008, quatre ouragans exceptionnels ont frappé, en à peine plus d’une décennie, les côtes américaines de l’Atlantique nord. Les dommages économiques sont de plus en plus importants.
Ainsi, les trois ouragans les plus coûteux de l’histoire des Etats-Unis se sont tous produits en moins d’une décennie. Selon les estimations de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), Katrina arrive en tête avec 108 milliards de dollars, devant Sandy (75 milliards de dollars) et Ike (37 milliards de dollars).
Harvey, qui a frappé le cœur battant des industries pétrolière et pétrochimique américaines – où sont concentrées un grand nombre d’infrastructures de raffinage, de traitement et d’acheminement de produits pétroliers –, pourrait s’avérer la plus coûteuse de toutes les catastrophes météorologiques de l’histoire des Etats-Unis. Une fois les eaux retirées, c’est ensuite à une pollution majeure de leur environnement que les régions touchées seront exposées.
Stéphane Foucart
* LE MONDE | 28.08.2017 à 11h01 :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/08/28/le-rechauffement-climatique-rend-l-est-des-etats-unis-extremement-vulnerable_5177466_3244.html
241 cyclones en seize ans dans l’Atlantique Nord et le golfe du Mexique
La région du golfe du Mexique, actuellement touchée par la tempête Harvey, est une zone fréquemment affectée par des phénomènes météorologiques violents.
Trombes d’eau, vents, inondations et au moins trois morts : la tempête Harvey frappe durement, depuis samedi 26 août, l’Etat du Texas et sa capitale, Houston, quatrième ville des Etats-Unis. Avec des vents à 215 km/h samedi quand l’ouragan a touché la côte texane, et les 600 mm de pluies tombés sur Houston lors du week-end — il en tombe 900 mm en moyenne à Bordeaux en une année entière —, les dégâts provoqués sont d’ores et déjà évalués à plusieurs milliards de dollars, selon le gouverneur de l’Etat, Greg Abbott.
La tempête qui s’abat sur le Texas a un impact « jamais vu », selon le service de météorologie américain (National Weather Service). Le golfe du Mexique et le nord de l’Atlantique sont des régions très propices à ces phénomènes météorologiques extrêmes. Le Centre national des cyclones y a compté 241 ouragans ou tempêtes tropicales entre le 1er janvier 2000 et décembre 2016.
Seize ans de cyclones dans le golfe du Mexique et l’Atlantique
Cette carte présente 241 tempêtes et cyclones détectés par le Centre national des cyclones (NHC) états-uniens de 2000 à 2016. Si toute la trace du cyclone n’apparaît pas, c’est que le NHC n’a pas diffusé ou enregistré cette partie du passage. C’est le cas du cyclone Katrina qui a ravagé la Nouvelle-Orléans en août 2005 ou de Matthew en septembre et octobre 2016.
[Carte interactive non reproduite ici.]
Sources : Centre national des cyclones (NHC), Centre national pour l’information environnementale (NOAA)
Parmi les cyclones les plus meurtriers :
• Katrina (cat. 5) avait fait 1 836 morts en août 2005,
• Sandy (cat. 3) avait tué 210 personnes en octobre 2012,
• Ike (cat. 4) avait fait 195 victimes et 26 disparus en septembre 2008,
• Irène (cat. 3) avait provoqué la mort de 55 personnes en août 2011,
• Allison (tempête tropicale) avait fait 41 victimes en juin 2001.
Pierre Breteau
* LE MONDE | 07.10.2016 à 16h53 • Mis à jour le 29.08.2017 à 13h51 :
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/10/07/ouragan-matthew-241-cyclones-en-seize-ans-dans-l-atlantique-nord-et-le-golfe-du-mexique_5010109_4355770.html
Texas : « La situation avec Harvey est totalement inédite »
Olivier Proust, prévisionniste à Météo France, explique l’intensité des précipitations du phénomène Harvey et sa stagnation au-dessus des côtes texanes.
La quatrième ville des Etats-Unis – Houston – sous les eaux, au moins trois morts causées par la tempête et les inondations, et 12 000 soldats de la garde républicaine mobilisés : l’ouragan Harvey dévaste le Texas depuis qu’il a touché terre en quittant le golfe du Mexique, samedi 26 août. Prévisionniste à Météo France, Olivier Proust décrit cet épisode hors normes et juge que le réchauffement climatique joue le rôle d’« additif » à la puissance des tempêtes.
Rémi Barroux – Comment expliquez-vous que Harvey soit positionné sur la côte texane et semble ne guère bouger ?
Olivier Proust – Un ouragan se développe au-dessus des eaux chaudes des mers tropicales et se dirige la plupart du temps selon une direction donnée par les vents, en général dans les flux d’est des alizés. Un cyclone, qui mesure quelque 1 000 kilomètres de diamètre en moyenne, progresse et se dirige selon son environnement météo, c’est-à dire la distribution des vents, les températures et les pressions à une plus large échelle. Par exemple, les courants-jets d’altitude influent sur le cours du cyclone.
Harvey, qui évolue vers l’ouest comme la plupart des cyclones classiques, est né à la mi-août d’une onde tropicale en Afrique de l’Ouest, et nous avons suivi son évolution depuis le début. Cette onde s’est propagée – elle ne s’est pas vraiment renforcée – en traversant l’Atlantique pour arriver sur le sud de l’arc antillais, puis a longé les côtes vénézuéliennes, devenant tempête tropicale. Arrivée sur le golfe du Mexique, celle-ci s’est brusquement intensifiée au-dessus des eaux chaudes, avec un environnement météorologique propice, notamment un faible cisaillement, c’est-à-dire une faible variation de la force des vents et de leur direction avec l’altitude.
Concrètement, qu’est ce qui empêche la progression de la tempête ?
L’explication d’un phénomène de cette ampleur inédite reste évidemment à compléter. Mais on peut déjà retenir que Harvey, qui est arrivé sur les côtes texanes en « ouragan majeur », avec donc déjà des phénomènes intenses, s’est retrouvé bloqué par une vaste barrière anticyclonique positionnée sur l’ouest du continent, qui agit comme une muraille, avec des vents très faibles tant en basse couche qu’en altitude.
Bien que revenu au stade de tempête tropicale après son « atterrissage », Harvey s’est quasiment immobilisé par ce manque de vents à grande échelle, tout en restant alimenté par les eaux du golfe du Mexique, ce qui explique les précipitations intenses et continues : il a un carburant, les eaux chaudes du golfe, mais, sans courant pour le diriger, il stagne et déverse ses trombes d’eau.
N’est-il pas paradoxal de voir un ouragan, avec ses précipitations et ses vents violents, immobilisé par manque de vents ?
Cela peut apparaître comme un paradoxe, mais c’est une question d’échelle : il faut distinguer le phénomène cyclonique, qui produit des vents extrêmement violents, et l’environnement à plus grande échelle qui conduit le cyclone. Dans le cas d’Harvey, pour faire simple, aucun courant directeur ne le commande et il reste sur les côtes texanes.
Cela peut-il durer encore longtemps ?
La situation générale de cet environnement météorologique du cyclone, redevenu tempête tropicale, va changer dans les prochains jours. Harvey va repartir vers le nord-est, vers la basse vallée du Mississipi touchant la Louisiane et, dans une moindre mesure, l’Oklahoma.
Cette situation est-elle exceptionnelle ou a-t-on déjà constaté un tel phénomène de stagnation ?
En 2001, par exemple, la tempête tropicale Allison est elle aussi arrivée sur le Texas où elle a stagné, avant de remonter vers le nord puis de redescendre à nouveau. Mais, comme elle était à l’intérieur des terres, Allison s’est retrouvée « affamée », ne pouvant s’alimenter au-dessus des eaux chaudes du golfe du Mexique. Cette tempête Allison, en raison de sa trajectoire ondulante, est un évènement majeur au Texas, particulièrement dévastateur par rapport à l’intensité du phénomène en soi. Mais la situation avec Harvey est réellement inédite, par l’intensité et les cumuls de pluie dans la durée du fait de cette alimentation continuelle.
Existe-t-il, selon vous, un lien direct avec le réchauffement climatique ?
Le lien avec le réchauffement climatique n’est pas directement fait à l’occasion de cette tempête. En revanche, s’il ne faut pas forcément s’attendre à davantage de phénomènes cycloniques dans le futur, les cyclones devraient être potentiellement plus puissants, notamment au niveau des précipitations. Avec le réchauffement, c’est un peu comme si on ajoutait un additif dans le carburant : cela accélère et amplifie les phénomènes.
Propos recueillis par Rémi Barroux
* LE MONDE | 29.08.2017 à 16h57 • Mis à jour le 29.08.2017 à 17h54 :
http://www.lemonde.fr/climat/article/2017/08/29/ouragan-au-texas-la-situation-avec-harvey-est-totalement-inedite_5178103_1652612.html