La CGT et l’Union syndicale Solidaires ont appelé, depuis quelques semaines, à une mobilisation la plus massive possible contre la dite réforme du Code du travail dont le contenu a été révélé ce jeudi 31 août. A proclamé le caractère « régressif » des ordonnances la CFE-CGC (Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres) qui, il y a deux jours, appelait à un « mouvement unitaire de réaction au projet gouvernemental ». La CFDT de Laurent Berger, qui a manifesté plus que de la bienveillance durant la « concertation », a dû prendre quelques distances suite à l’exposé du contenu effectif de cette contre-réforme.
La « déception » de la CFDT s’est concentrée sur trois thèmes :
1° Le plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif, qui seront fixés au maximum à trois mois de salaire pour les victimes d’un abus et cela jusqu’à deux ans d’ancienneté. Il n’est pas difficile d’imaginer, lorsque l’on connaît divers exemples européens, que la définition de « l’abus » sera soumise dans le futur à la règle du moins-disant. En outre, le délai de recours aux Prud’hommes pour tout type de licenciement passera de 24 à 12 mois, ce qui était le cas seulement pour les licenciements économiques.
2° La réduction pour les transnationales du périmètre géographique afin d’apprécier la situation financière d’une entreprise qui licencie ou réorganise l’emploi. Il va de soi qu’au travers de multiples mécanismes (prix de transfert de biens intermédiaires entre diverses unités productives, prix des droits de patente, etc.) la situation financière d’une entreprise peut être artificiellement dégradée lorsque le périmètre géographique national (la France) devient le seul critère de définition de la « santé financière » d’un maillon de la chaîne productive.
3° L’introduction dans les entreprises de moins de 20 salarié·e·s – ceci n’est qu’une première étape – d’un mécanisme de référendum. Autrement dit, par exemple, un patron peut « négocier directement avec les salariés » une baisse du pourcentage de compensation pour les heures supplémentaires en soumettant sa proposition à un référendum. Dans de telles entreprises, le rapport de force, dans un contexte de chômage, laisse peu de chances à des salariés opposés à cette mesure de s’exprimer et de stimuler une opposition, une mobilisation, sans risquer de perdre son emploi. Il en va de même pour les salaires, le total des heures sur un an avec flexibilité horaire à la clé, etc. Précédemment, le recours au référendum était le monopole des syndicats minoritaires, c’est-à-dire qui avaient obtenu au moins 30% des suffrages des salariés lors des élections professionnelles qui sont très suivies en France. Un élément souvent négligé par des analystes d’autres pays qui ne mettent l’accent que sur le taux de syndicalisation qui est très bas dans le secteur privé. Dans les entreprises comportant entre 20 et 50 salariés, la négociation sera possible avec un élu du personnel non mandaté, donc pas soutenu par un syndicat.
Enfin, pour ce qui concerne les IRP (Instance représentative du personnel), une instance unique nommée « Comité social et économique » (CSE) remplacera et fusionnera le comité d’entreprise (CE), le CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et les délégués du personnel dans les entreprises de plus de 50 salariés. « Un lieu pour discuter l’économique et le social », a indiqué la ministre du Travail Muriel Pénicaud. Une ombre chinoise, un tripotage. Il suffit de lire la définition des fonctions des CHSCT pour le comprendre : « Constitué dans tous les établissements occupant au moins 50 salariés, le CHSCT a pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salariés ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail. Composé notamment d’une délégation du personnel, le CHSCT dispose d’un certain nombre de moyens pour mener à bien sa mission (information, recours à un expert…) et les représentants du personnel, d’un crédit d’heures et d’une protection contre le licenciement. » La mise sur pied des CSE permettra de dissoudre les fonctions réelles d’un CHSCT dans une unité de « dialogue social » qui désagrégera les modalités de « batailles concrètes » sur des éléments clés pour des formes de contrôle de l’utilisation de la force de travail que pouvait être le CHSCT. Une donnée illustrative suffit : la statistique officielle a enregistré 560 décès sur le lieu de travail en 2015.
Enfin, les dits « CDI – contrats à durée indéterminée – de chantier » ne sont rien d’autre que des anciens contrats à la tâche. La « durée indéterminée » ne signifie ici rien d’autre : jusqu’à la fin du chantier, par exemple la fin du tunnel, du pont, etc. Car leur achèvement est « indéterminé », soit elle n’est pas connue avec « exactitude ». Voilà comment la conversion du vocabulaire devient l’instrument d’une qualification fallacieuse d’une contre-réforme.
Les réticences sélectives de la CFDT ne vont pas en faire un facteur de mobilisation. Ce syndicat le plus nombreux en France n’appelle pas à la journée de lutte du 12 septembre. Quant à Force ouvrière (FO), par la voix de son secrétaire général et patron Jean-Claude Mailly, elle annonce, dans un entretien vidéo diffusé sur le site internet du quotidien économique Les Echos (sic), que FO « a pris la décision à l’unanimité (Bureau confédéral) de ne pas participer » à la mobilisation du 12 septembre. En 2016, FO faisait partie du front syndical contre la précédente réforme, dont l’objectif était déjà « d’assouplir les règles » du Code du travail. Mais de la loi El Khomri (ex-ministre du gouvernement Valls-Hollande), « on n’a jamais pu discuter (…) ici on est dans une situation différente », « il y a eu un vrai dialogue social », estime le leader de FO. Sept heures et quelques minutes de plus pour « négocier », avant d’attendre les résultats – sous forme d’ordonnances – présentées ce jeudi 31 août ! Mailly ajoute : « On part d’un projet ultralibéral, je dis pas qu’il ne l’est plus, mais je raisonne toujours dans les négociations avec trois colonnes : ce qu’on obtient, ce qu’on évite et ce sur quoi on n’est pas d’accord. Et je suis sûr qu’il y aura des éléments dans les trois. »
Berger et Mailly, en « coulisses »
Mailly continue : sur plusieurs sujets, comme le poids des accords d’entreprise vis-à-vis des accords de branche, « le gouvernement a fini par bouger, peut-être insuffisamment, on verra demain (jeudi) », dit-il, satisfait que « la branche (soit) remise en selle sur toute une série de points ». « On a fait notre travail de syndicalistes pragmatiques qui est de dire “on discute point par point” et après on se positionnera à la fin pour dire “où ça va”, “où ça va pas”. » On se croirait dans l’Helvétie syndicale, au sein d’un pays qualifié de « nirvana patronal », selon la formule d’un syndicaliste combatif. La formule magique helvétique se résumant ainsi : « On veut être informé, puis on (qui ? et défini par qui ?) verra… » Or, une fois le momentum passé – qui aurait été favorable pour constituer un front d’opposition actif combiné à des propositions – le rapport de force se modifie et l’appareil syndical est disposé à accepter, de facto, les contre-réformes, malgré les « problèmes (pour qui ?) qui restent à régler ». Il va de soi que durant la période d’examen des « trois colonnes » à la Mailly est diffusée par de nombreux canaux l’idée qu’il n’y a pas d’alternative à opposer au patronat et au gouvernement et qu’il faut valider la « solution du moins pire ». D’ailleurs, selon Les Echos du 31 août, les porte-parole de FO et de la CFDT se sont rejoints sur l’idée selon laquelle « le rapport de force s’est exercé en coulisses », ces lieux secrets dans lesquels certains représentants d’appareil se trouvent à l’aise car ils sont valorisés comme de véritables interlocuteurs des représentants des pouvoirs et non pas comme « des agitateurs préférant la rue ».
Toutefois, Mailly est déjà contesté à l’interne. La Fédération des transports et de la logistique de FO se prononce pour la journée de mobilisation du 12 février. Et elle sera rejointe par d’autres secteurs de FO. Dans un style qui renvoie à ses origines politiques, le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, a qualifié jeudi de « grognons râleurs » des travailleurs et syndicalistes qui, eux, vivront les effets de cette liquidation de droits fondamentaux de protection – limitée, certes – de ceux et celles contraints à vendre leur force de travail. Jean-Claude Mailly de FO et Laurent Berger de la CFDT, eux, se concentrent, « en coulisses », sur la négociation de leurs positions respectives dans les nouveaux CSE.
Dans une mobilisation comme celle prévue le 12 septembre, le timing a toute son importance. Le gouvernement Macron-Philippe n’a-t-il pas déclaré vouloir mener une Blitzkrieg contre le Code du travail ? Dès lors, aussi bien les manifestations organisées par Solidaires devant l’université du Medef – un Medef qui a applaudi Macron, après que son patron, Pierre Gattaz, l’a tancé le 29 août – que l’échéance du 12 septembre intègrent la temporalité de la riposte face à la stratégie de guerre éclair. Il est donc désastreux qu’une force politique, comme la France insoumise (FI) de Mélenchon, appelle – par-dessus les syndicats et avant que se soit tenue la mobilisation du 12 septembre – à une autre initiative pour le 23 septembre. Comme l’explique un militant syndical : « Sur le marché on n’a qu’une main pour distribuer un tract et si on distribue pour le 23 septembre, avant le 12, ça affaiblit la mobilisation unitaire. Et le 23 septembre, en plus, il y a les manifestations du Mouvement de la paix. » Or, le gouvernement Macron-Philippe va utiliser au maximum la division du front syndical, social et politique. Le choix du 23 septembre par la FI relève de l’auto-proclamation où le « nous » est en fait un « je », « moi Mélenchon face à Macron », ce type de « troisième tour politico-social » devrait remplacer le « second tour présidentiel » qui n’a pas eu lieu, le seul qui méritait de l’être : Macron-Mélenchon. Et le tintamarre médiatique, à ce propos, homologue les stratèges en contournement de lignes Maginot.
Nous renvoyons par ailleurs à deux documents d’Union syndicale Solidaires [1], qui qualifie avec précision l’enjeu de ce que les dominants nomment « la transformation de la société française » afin de la rendre « compatible » avec les exigences de « la concurrence interimpérialiste mondialisée », baptisée, sans prétention, « la renaissance de la Grandeur de la France », style LVMH, car il est difficile de vanter les succès d’Areva.
Charles-André Udry