Le centenaire de la Commune de Paris, en mai 1971 à Paris, fut marqué par un grand défilé où l’énergie toute proche de Mai 68 flottait dans l’air du printemps parisien devant le cimetière du Père-Lachaise et son Mur des Fédérés. C’était la célébration d’un événement fondateur mais conclu par une défaite. Le souvenir du massacre des Communards par les Versaillais et la bourgeoisie parisienne donnait certes toute sa gravité à ce centenaire ; il était pourtant empreint d’une espérance joyeuse pour la jeunesse qui marchait ce jour-là.
Le centenaire de la Révolution russe se présente tout autrement. Octobre 1917, au contraire de la Commune de Paris, fut pourtant une victoire, prolongée dans celle, éclatante, remportée contre l’encerclement contre-révolutionnaire de toutes les grandes puissances de l’époque. Mais après les ravages du stalinisme, il y eut l’implosion de l’Union soviétique sans que cet effondrement brutal ne ravive la mémoire d’Octobre. Pas de défilé, et aujourd’hui l’air du temps commence à être un peu lourd, après une dizaine d’années de crise et de rouleau compresseur d’un capitalisme sans frontières. Ce centenaire est l’occasion d’une propagande sur la nocivité ou l’inutilité de cette révolution qui déboucha sur une dictature, à moins qu’elle n’en soit l’instrument dès sa naissance par un coup d’État...
Nous prenons ici le parti de défendre la Révolution russe comme un grand événement dans l’histoire de l’émancipation des peuples, un moment rare où les classes dominantes perdent la maîtrise qui leur semblait donnée pour les siècles à venir et où les masses populaires bousculent tout pour prendre leur destin en mains. À la question historique et théorique décisive : « Fallait-il prendre le pouvoir dans les conditions précises d’Octobre 1917 ? » nous sommes toujours convaincus que la réponse est oui. L’élan de cette mobilisation avant, pendant et après Octobre 1917, l’enthousiasme qu’il a suscité et la secousse qu’il a provoquée dans le monde entier montrent l’ampleur de cette révolution. « Ce n’est pas bien sûr une apologie aveugle, mais une critique approfondie et réfléchie qui seule permet d’exploiter tous ces trésors d’expériences et d’enseignements ». « Une révolution prolétarienne exemplaire et parfaite dans un pays isolé, épuisé par la guerre mondiale, écrasé par l’impérialisme, trahi par le prolétariat international, serait un miracle. Ce qui importe, c’est de distinguer dans la politique des bolchéviks l’essentiel de l’accessoire, la substance du fortuit », écrivait Rosa Luxemburg dans ses notes de prison sur la Révolution russe.
Face à une bourgeoisie russe louvoyant à tous les stades de la mobilisation révolutionnaire pour ne pas mettre fin à la guerre, ne pas donner la terre aux paysans, ne rien changer aux dures conditions de vie des ouvriers, les bolchéviks ont misé sur l’organisation indépendante du mouvement par les soviets, ont accompagné l’approfondissement de ce mouvement en lui indiquant des objectifs qui l’éloignaient de toute conciliation, jusqu’au renversement du gouvernement par l’insurrection donnant « tout le pouvoir aux soviets ». Mais ce qui était (ou pouvait sembler) accessoire dans la courte période qui suivit la révolution est par la suite apparu plus essentiel ou, en tout cas, fut présenté comme tel non seulement par les adversaires de la révolution mais par ses principaux acteurs, dans les années vingt.
Les circonstances expliquent une série d’erreurs ou de déviations : une révolution prolétarienne dans un océan paysan, une guerre civile d’une cruauté insensée, l’épuisement des forces productives et de toute la société, l’isolement international, l’histoire du pays et son absence de traditions démocratiques. Mais ces circonstances n’expliquent pas tout. Les bolchéviks et dans leur direction les plus éminents d’entre eux, Lénine et Trotsky, ont fait de nécessité vertu et ont transformé les mesures d’exception de la guerre en lois et règles de fonctionnement de l’État et de la société. Les oppositions et la vie démocratique du pays ont progressivement (mais rapidement, en quelques années) été étouffées. Il faut donc réévaluer la politique impulsée dans ce domaine par Lénine et Trotsky – et ce dans les premières années de la Révolution. Car c’est sur ce terreau que la contre-révolution stalinienne, une fois la révolution « glacée » (comme disait Saint-Just de la Révolution française) a pu en finir avec ce qui restait encore de l’héritage vivant d’Octobre.
Pour nous cette démarche s’inscrit délibérément dans la continuité des réflexions critiques de Rosa Luxemburg, dès les premiers mois suivant la prise du pouvoir (Notes sur la Révolution russe, nombreuses éditions), de la défense par Ernest Mandel de la « légitimité de la Révolution russe » (Octobre 1917 : coup d’État ou révolution sociale, cahiers de l’IIRF d’Amsterdam, 1992) et du bilan critique de Daniel Bensaïd en 1997 (Questions d’Octobre, sur le site Daniel Bensaïd).
Il nous semble aujourd’hui important de formaliser et systématiser ce bilan critique, plus que ne l’avaient fait Mandel et Bensaïd. La toile de fond de cette réflexion reste cependant la même : la révolution russe est la première révolution prolétarienne victorieuse de l’histoire. Ce qu’elle a accompli reste une inspiration vivante ; dans ce cadre, l’action des hommes et des femmes qui en eurent l’audace mérite un examen critique, par respect pour leurs accomplissements et par volonté d’en tirer les meilleures leçons possibles. Toute révolution devra se coltiner ces questions, comme l’indique déjà l’acuité de la sensibilité démocratique dans toutes les mobilisations d’une certaine ampleur.
Révolution et insurrection
Coup d’État ? L’insurrection fut à la fois l’aboutissement de la révolution initiée en février et le point de départ d’une nouvelle situation révolutionnaire. En tous cas, sûrement pas un coup d’État ! Préparée et discutée au grand jour, l’insurrection fut le point culminant d’un processus de radicalisation des masses et de leur représentation dans les soviets qui, par à coups en fonction des événements qui secouaient la Russie, donna la majorité à ceux qui préconisaient la prise du pouvoir par les soviets. L’insurrection d’Octobre n’est pas une opération concoctée par des cercles politico-militaires sans intervention ou à l’insu des masses. De ce point de vue, la référence à Blanqui n’est pas plus juste que la caractérisation de « coup d’État ».
Cela n’alla pas sans difficultés et soubresauts, y compris au sein du Parti bolchévique. Mais quand les conditions furent réunies, à la fin septembre, un débat plus pointu émergea.
Lénine, qui avait déjà dû batailler dur pour arracher un accord sur la perspective de la prise du pouvoir, se méfiait des tergiversations qui, à ses yeux, n’avaient pour fonction que de retarder l’échéance. Il préconise donc d’aller vite et exige qu’on lance les régiments et bataillons acquis aux bolchéviks dans la flotte et les troupes de Finlande à l’assaut du Palais d’hiver pour renverser le gouvernement provisoire de Kerenski. Il s’adresse à la direction du parti sans ambiguïté : « Les bolchéviks doivent prendre le pouvoir ». Résistant à ses injonctions de plus en plus pressantes, Trotsky insiste pour que l’insurrection, c’est-à-dire la prise du pouvoir émane de la légalité soviétique. Il a fait en sorte que le soviet de Petrograd dont il devenu président se dote d’un Comité militaire révolutionnaire (CMR) auquel répondent les soviets de soldats qui représentent une armée en pleine effervescence révolutionnaire. Et c’est le CMR qui organise l’insurrection dans la nuit du 25 au 26 octobre (6-7 novembre dans notre calendrier).
La divergence entre Lénine et Trotsky renvoie à une question plus substantielle que le simple caractère « technique » de l’insurrection sur la nécessité de laquelle ils étaient en accord. Toute organisation insurrectionnelle exige évidemment des préparatifs militaires spécifiques et des secrets d’ordre conspiratif. Ce qui sera fait avec une parfaite maîtrise par le CMR dirigé par les bolchéviks avec Trotsky à sa tête. Les centres névralgiques du pouvoir (postes, communications, casernes) seront rapidement investis par les bataillons révolutionnaires. La prise du Palais d’hiver où siège le gouvernement provisoire sera, on le sait, un peu plus lente car moins bien organisée.
Cet épisode, en quelque sorte le tout premier du nouveau pouvoir, est assez révélateur de problèmes qui s’aggraveront plus tard avec les terribles difficultés de la guerre civile.
Lénine voit les soviets comme une machine de destruction du tsarisme, de son État, de toutes ses institutions, et comme l’instrument de la mobilisation des masses contre le tsarisme puis contre le gouvernement provisoire. De ce point de vue, les soviets étaient aussi un organisme de front unique pour abattre le pouvoir en place. D’où les mots d’ordre de Lénine pour « tout le pouvoir aux soviets » et l’injonction aux menchéviks et socialistes-révolutionnaires de constituer un gouvernement de rupture avec la bourgeoisie, appuyé sur les soviets. Dans cette situation révolutionnaire, précédant la conquête du pouvoir, avec un parti bolchévik minoritaire, la démocratie soviétique, avec toutes ses composantes (courants, partis, syndicats) avait toute sa place. Mais confronté aux problèmes tactiques et stratégiques de prise du pouvoir (qui prend le pouvoir ?), Lénine relègue l’auto-organisation au second plan et ne se fie qu’à la direction militaire bolchévique. Les soviets ne sont plus conçus comme le vrai lieu de pouvoir mais comme l’instrument, voire la « couverture » du pouvoir bolchévique.
Trotsky a une autre approche. Son rôle dans la révolution de 1905 à la tête du soviet de Saint- Saint-Pétersbourg, son image unitaire dans le mouvement révolutionnaire russe, le conduit à donner une place plus centrale à l’auto-organisation populaire, d’où son insistance sur la prise du pouvoir par le CMR. La force de la dynamique soviétique, mais surtout Trotsky et les principaux dirigeants bolchéviques ont contraint Lénine à passer par le CMR et le soviet pour diriger l’insurrection. Au cœur même de l’insurrection s’exprime ce problème crucial : qui prend, qui a le pouvoir ? Les soviets ou le Parti ? La question d’un certain substitutisme (du Parti par rapport aux organes révolutionnaires) est ainsi posée d’emblée.
Le paradoxe de « L’État et la révolution »
Quelques mois avant ces journées d’Octobre, Lénine est contraint à la clandestinité par la répression qui suit les journées de juillet. Dans sa retraite forcée, il revient aux textes de Marx et d’Engels, notamment sur la Commune de Paris. En août 1917, il achève « l’État et la révolution ». Ce texte capital est une charge contre le pape allemand de la social-démocratie (Karl Kautsky) et ses cardinaux en Allemagne et en Russie. Par un retour aux sources, il trouve une formulation souvent frappante de la nécessité de détruire la vieille machine bureaucratique et militaire de l’État pour construire un nouveau gouvernement, une nouvelle administration et une nouvelle armée dont la visée est de transformer de fond en comble la société, et la fonction de dépérir dès l’instant de leur création. Suivant et citant Marx, Lénine voit dans la Commune « la forme politique enfin trouvée » de cette entreprise révolutionnaire.
« La Commune est la forme « enfin trouvée » par la révolution prolétarienne, qui permet de réaliser l’émancipation économique du Travail. »
« La Commune est la première tentative faite par la révolution prolétarienne pour briser la machine d’État bourgeoise ; elle est la forme politique « enfin trouvée » par quoi l’on peut et l’on doit remplacer ce qui a été brisé. »
Et Lénine conclut que « les révolutions russes de 1905 et 1917, dans un cadre différent et dans d’autres conditions, continuent l’œuvre de la Commune et confirment la géniale analyse historique de Marx ».
Le paradoxe est que ce texte, produit trois mois avant la prise du pouvoir, s’il démolit efficacement les pseudo « théories marxistes orthodoxes » de l’époque justifiant pour les sociaux-démocrates allemands ou les menchéviks russes de se couler dans le moule de l’État bourgeois, ne dit pas un mot des questions spécifiques de la démocratie et de la représentation politique pour un régime de transition entre le capitalisme et le socialisme. Faisant sienne la profession de foi d’Engels dans l’Anti-Dühring (« le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses et à la direction des opérations de production »), « L’État et la révolution » balaie avec force les vieilleries réformistes d’adaptation à la société bourgeoise et son État répressif ; par contre rien n’y est dit du débat politique proprement dit ou du pluralisme d’opinions et de courants organisés pour les défendre. Bref, la politique en tant que telle n’y est pas traitée, comme si elle aussi devait dépérir dès la révolution.
Le paradoxe est donc que le souffle révolutionnaire authentique qui parcourt cette brochure semble à la fois décalé de la réalité des luttes politiques intenses qui se déroulent alors en Russie (et au sein même des partis ouvriers) et de celle qui va s’ouvrir après la prise du pouvoir.
Mais ce que Lénine va laisser en blanc quant à la démocratie socialiste que la révolution doit mettre à l’ordre du jour, sous le feu des circonstances et des décisions (étrangères à l’argumentation clé de « L’État et la révolution »), va bientôt se charger d’un autre contenu, vraiment différent.
Cette impasse a une double source : l’absence de traditions politiques démocratiques, mêmes parlementaires, dans la vieille Russie combinée à la conception dominante dans la deuxième Internationale d’une social-démocratie expression organique de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier – le mouvement syndical étant même conçu comme une organisation subordonnée au parti. Les tendances existaient mais au sein d’un seul et même parti : la social-démocratie. Le multipartisme, au sein du mouvement ouvrier, ne faisait pas partie de la culture de l’époque : une seule classe, un seul syndicat, un seul parti. Pourtant, les luttes de tendances et de fractions étaient des plus vives, en particulier en Russie, y compris dans le parti bolchévique de mars à octobre 1917. Les choses vont changer progressivement après la conquête du pouvoir.
Le tournant des années vingt et l’asphyxie démocratique
Les difficultés extrêmes de la situation qui suivit Octobre 17 sont bien connues.
L’économie était largement désorganisée, à la ville comme à la campagne, la classe ouvrière, terriblement affaiblie. L’armée était en grande partie décomposée par la mobilisation des soldats. L’administration, plus que réticente envers le pouvoir des soviets, faisait tout ce qu’elle pouvait pour ne rien faire. Rapidement la situation prit un tour dramatique.
Terminer la guerre sans entraver le développement de la révolution tant attendue en Allemagne et en Europe fut la première question épineuse. Une discussion furieuse déchira à ce propos le Parti bolchévique et même les autres courants présents dans les soviets comme les menchéviks, les socialistes-révolutionnaires, les anarchistes. Ce débat empêcha de conclure vite, comme le souhaitait Lénine qui préconisait avec réalisme d’accepter les exigences allemandes. Quelques mois plus tard, l’armée allemande avançait profondément à l’intérieur de la Russie. Et le traité de Brest-Litovsk, signé en mars 1918, entérinait l’amputation d’un quart du territoire russe et de sa population ainsi que la perte de 70% des ressources agricoles et d’acier. Une véritable saignée qu’une décision plus rapide aurait sans doute pu éviter ou au moins réduire. Mais sitôt signé, ce traité provoque le départ des menchéviks internationalistes et des SR de gauche des organismes soviétiques, pour le dénoncer. Certains secteurs des SR y ajoutent aussi le retour au terrorisme contre des dirigeants bolchéviques (Volodarski est assassiné à Petrograd en juin 18).
Dès la fin de l’année 17, une majorité de la direction avait imposé à Lénine (qui n’en voulait pas) l’entrée des menchéviks dits internationalistes et des SR de gauche (tous deux en dissidence avec le cours conciliateur de leur direction) dans les instances du nouveau gouvernement. Leur présence y fut donc de courte durée. Mais ce climat qu’on a du mal à percevoir aujourd’hui n’est sans doute pas pour rien dans les penchants monolithiques qui s’aiguiseront par la suite. Les tergiversations et l’immaturité manifesté dans le débat autour de la paix coûteront finalement très cher. Et l’inconstance politique des menchéviks et des SR de gauche (ceux de droite partiront vite rejoindre la contre-révolution) n’aideront pas à réduire dès lors toutes les tentations de gouverner seuls. Surtout que la guerre civile et l’intervention étrangère franco-britannique démarreront assez vite à l’automne 18.
Les circonstances ont joué, mais les bolchéviks n’ont pas eu durant toute cette période une politique visant à construire des coalitions traduisant les rapports de forces politiques du pays. Les bolchéviques étaient majoritaires dans les soviets des principales villes. Ce n’était pas le cas à la campagne, où la tradition populiste (narodniki) et les socialistes-révolutionnaires étaient largement majoritaires. De plus subsistaient des courants et sensibilités des partis de la démocratie révolutionnaire, menchéviks, S-R, et anarchistes. La question des alliances ou de coalitions gouvernementales s’est posée dès la prise du pouvoir, malgré la méfiance ou l’opposition de Lénine. Lénine et Trotsky n’ont jamais théorisé le pouvoir d’un parti unique… mais ils n’ont pas eu, une fois le pouvoir conquis, de démarche unitaire, comme on dirait aujourd’hui. Au contraire, Lénine a pu déclarer en mai 1918 : « Maintenant que le pouvoir est conquis, conservé, consolidé entre les mains d’un seul parti.. il ne saurait être question de partager le pouvoir ».
Bien entendu, ceux qui prenaient les armes contre la révolution devaient être combattus, réprimés, condamnés. Mais tous les autres ? Il fallait trouver les moyens et les médiations pour qu’ils puissent prendre leur place au sein du pouvoir soviétique, dés lors qu’ils s’inscrivaient dans le projet révolutionnaire. Ce refus d’une représentation politique pluraliste va non seulement isoler les bolchéviks mais il les conduira à utiliser de plus en plus les méthodes administratives, la répression et enfin la terreur vis-à-vis des autres partis et courants politiques.
La guerre civile et la lutte acharnée contre les armées blanches et étrangères alliées mettront le pays à genoux. L’épreuve est gagnée courant 1920 parce que les forces sociales qui s’affrontaient dans ce combat cruel discernaient parfaitement leurs attaches et leurs intérêts. Les paysans ne voulaient pas rendre leurs terres aux grands propriétaires et les ouvriers refusaient de perdre le contrôle de leur production, même si terres et productions industrielles étaient asphyxiées. Dans cette tourmente, les bolchéviks théoriseront une transition au socialisme identifiée au communisme de guerre. La politique, l’économie et la société devaient être hyper centralisées. Trotsky ne fut pas alors le dernier pour préconiser la militarisation du travail et des syndicats. Lénine refusa heureusement de le suivre sur cette voie.
Une fois la guerre gagnée, la question de la sortie du « communisme de guerre » (avec ses réquisitions à la campagne et ses milices dans les usines pour contraindre à la production) était posée. Un an avant l’adoption de la Nouvelle politique économique (NEP), Trotsky, revenu de ses conceptions hyper-centralistes, proposa de faire ce tournant. Devant la résistance de Lénine et de la majorité de la direction, il faudra attendre mars 1921, encore une fois pour que les problèmes s’aggravent en se posant tous en même temps. Les soulèvements étaient nombreux à la campagne (quelquefois dirigés par des anarchistes comme Makhno en Ukraine), l’atmosphère n’était guère meilleure dans les usines où les soviets se survivaient sur le papier. Le soulèvement des marins de Kronstadt vint compléter le tableau catastrophique. « C’est l’éclair qui a illuminé plus vivement la réalité que tout le reste », dit Lénine au Xe congrès bolchévique qui se tient en même temps.
La conclusion qui en sera tirée ne peut manquer d’induire de sérieuses interrogations.
La NEP était absolument justifiée par la nécessité de remettre l’industrie en marche, y compris avec des investissements étrangers, et de relancer la production agricole en en redonnant la maîtrise à une paysannerie payant l’impôt. Mais la meilleure protection contre les dérives ultérieures de cette NEP (l’enrichissement rapide de certains koulaks, paysans moyens et commerçants) résidait sans doute dans un régime réactivé d’ouverture politique parallèlement à cette ouverture économique. Une NEP politique pour tous les partisans de la révolution, après la victoire sur la contre-révolution interne et externe. Cela aurait stimulé une renaissance de la vie politique, soviétique, syndicale, associative qui aurait trouvé dans la renaissance de ses droits une motivation pour accompagner la réactivation de l’économie et du pays.
Mais c’est le contraire qui fut mis en œuvre. D’abord, par la terrible répression contre les marins et les ouvriers de Kronstadt. Quels que soient les dangers que ces derniers faisaient courir à la révolution en s’insurgeant, la violence de cette répression était injustifiable. Ensuite, par un « processus de répression moléculaire » qui s’étend dans le pays comme le rapporte Boris Souvarine. Enfin par les décisions du Xe congrès bolchévique qui vont étouffer la discussion politique dans le parti et dans le pays. L’interdiction des tendances et fractions au sein du Parti devenu communiste répondait sans doute à la crainte d’un déchirement ou d’une explosion après les crises qui l’avaient traversé. Le remède fut évidemment pire que le mal. De plus, il entérina, hors du Parti et pour toute la société, le monolithisme d’un Parti unique encadré par ces mesures disciplinaires.
A la fin des années vingt, quand Staline et sa bureaucratie nourrie de ces « règles » mettront le Parti en coupe réglée, ils n’auront pas à aller chercher loin pour trouver ces justifications « léninistes », que Lénine mettait en cause à la fin de sa vie et que Trotsky commença trop tard à dénoncer.
Ce bilan critique sur le plan des libertés politiques ne serait pas complet sans considérer la question de la terreur et de son instrument, la Tchéka. Toutes les révolutions ont dû faire face à des entreprises contre-révolutionnaires qui utilisent tous les moyens violents dont elles peuvent disposer. Alors, la riposte s’impose. Dans son « Histoire socialiste de la Révolution française », Jean Jaurès décrivait les choses ainsi : « Quand un pays lutte à la fois contre les factions intérieures et contre le monde, quand la moindre hésitation ou la moindre faute peuvent compromettre pour des siècles peut-être le destin de l’ordre nouveau, ceux qui dirigent cette entreprise immense n’ont pas le temps de rallier les dissidents, de convaincre leurs adversaires. Ils ne peuvent faire une large part à l’esprit de dispute ou à l’esprit de combinaison. Il faut qu’ils abattent, qu’ils agissent et, pour garder intacte leur force d’action, pour ne pas la dissiper, ils demandent à la mort de faire autour d’eux l’unanimité immédiate dont ils ont besoin ».
Le problème devient alors de faire la distinction entre mesures d’exception malheureusement nécessaires et utilisation de telles mesures comme moyen pérenne de gouvernement. Or Lénine n’attend pas longtemps pour s’écrier (en janvier 18) : « Tant que nous n’emploierons pas la terreur contre les spéculateurs en les fusillant sur le champ, rien ne changera ! ». Déclaration intempestive qui conduira le SR de gauche Isaac Steinberg à demander candidement pourquoi il avait été nommé Commissaire du peuple à la Justice. Les dérives en effet furent nombreuses pour ces tchékistes en cuir noir qui se prenaient pour le fer de lance de la révolution, que tous n’avaient pas faite. Un dirigeant bolchévique de la Tchéka, Latsis, écrira froidement dans un ordre de mission : « La question à l’ordre du jour est de savoir à quelle classe sociale ils appartiennent, leur extraction, leur instruction, leur profession. C’est cela qui décide de leur sort ».
L’usage de la terreur a alors été justifié aussi bien en termes de principe (« instrument de la dictature du prolétariat ») que de réaction circonstancielles (« à la guerre comme à la guerre »). La vérité oblige à dire que les protestations contre cet état de fait, et il y en eut beaucoup, furent écartés d’un revers de main comme des scrupules petits-bourgeois. Dans un climat où le pluralisme est méprisé avec sarcasmes au nom de la « lutte de classes », ces dérives n’ont pas manqué de corrompre profondément les idéaux de la révolution et surtout les auteurs de ces agissements. Ils seront facilement enrôlés ensuite dans les troupes de choc du stalinisme.
En croyant certainement sincèrement que cela était rendu nécessaire par les dures circonstances, les dirigeants bolchéviques ne sont pas explicitement revenu là-dessus, ce qui laisse un héritage dont on se passerait bien aujourd’hui. Lénine n’en a jamais fait le bilan critique jusqu’à sa mort. Trotsky attendra longtemps. Les plate-formes de l’Opposition réclament certes la restauration de la liberté de discussion dans le Parti, mais elles sont silencieuses sur les libertés des autres courants.
En 1936, dans « La Révolution trahie », Trotsky écrit à propos des mesures du Xe Congrès de 1921, quinze ans auparavant : « L’interdiction des partis d’opposition entraîna l’interdiction des fractions au sein du Parti bolchévique ; l’interdiction des fractions aboutit à l’interdiction de penser autrement que le chef infaillible. Le monolithisme policier du parti eut pour conséquence l’impunité bureaucratique qui devient à son tour la cause de toutes les variétés de démoralisation et de corruption ».
En 1938, dans le Programme de transition : « La démocratisation des soviets est inconcevable sans la légalisation des partis soviétiques. Les ouvriers et les paysans eux-mêmes, par leurs libres suffrages, montreront quels partis sont soviétiques ». Ce qui suppose implicitement le droit d’existence, de réunion et d’expression pour les organisations et courants politiques qui souhaitent se présenter au suffrage. Et l’organisation d’élections libres. Si tel avait été le cas dans l’Union soviétique de Lénine et Trotsky dans les années vingt, dès la victoire sur les Blancs, il fait peu de doute qu’il y aurait eu des menchéviks, des socialistes-révolutionnaires, des anarchistes et peut-être d’autres forces représentées.
On peut ajouter aussi, que depuis on sait encore mieux que les suffrages populaires peuvent aller à des courants qui ne se réclament pas du socialisme ou pour lesquels le mot n’est qu’un paravent d’une autre camelote. Ce genre de problème avait déjà surgi lors des élections à la Constituante à la fin 17. Il vaut la peine d’y revenir.
La Constituante, les élections et la démocratie socialiste
Contre les accusations de « putschisme » ou de « blanquisme » qui fleurissaient déjà à l’encontre des bolchéviks, Lénine s’était écrié en mai 17 : « Nous ne voulons pas nous emparer du pouvoir, car toute l’expérience des révolutions nous enseigne que seul est solidement établi un pouvoir qui s’appuie sur la majorité de la population ». Cette majorité, dans la classe ouvrière et la paysannerie mais aussi dans une partie de la petite bourgeoisie urbaine, fut effectivement gagnée au fil des mois. Elle s’affirme avec éclat en septembre 17 quand bascule en faveurs des bolchéviks la majorité des soviets dans les principales villes de Russie. Dès lors la question de la prise du pouvoir est ouvertement posée et débattue.
Mais depuis février 17, la lutte contre l’autocratie tsariste avait pris le drapeau de la convocation d’une Constituante, rendue encore plus pressante avec l’abdication de Nicolas Romanoff et la succession des gouvernements provisoires jusqu’au dernier, présidé par Kérenski. Leurs hésitations et indécisions se retranchaient d’ailleurs régulièrement derrière ce futur dominé par l’arrivée, un jour, de la Constituante. Les élections devant y conduire furent régulièrement repoussées en raison des événements. Et dans un pays à l’étendue d’un continent comme la Russie, en pleine guerre mondiale, l’organisation du scrutin prit des mois. Mais finalement cette assemblée fut élue. Elle refléta alors davantage la situation de février-mars que de septembre-octobre 17. « Cet état des choses permet de comprendre à quel point la Constituante était restée en arrière du développement de la lutte politique et des changements réalisés dans le rapport de forces entre les différents partis », commenta Trotsky sur le vif en défendant la décision prise de la disperser.
La composition de l’assemblée élue mérite d’être mentionnée. Les bolchéviks y représentent environ le quart, les menchéviks presque rien (3%), la droite (cadets) 10%, les partis nationaux et musulmans 22% ; finalement le gros bataillon est celui des SR (droite et gauche confondues sur les mêmes listes) avec 41%. Une future alliance, à travers un nouveau scrutin, entre bolchéviks, menchéviks internationalistes et SR de gauche (c’est-à-dire favorables à la révolution) et une partie au moins des courants « nationaux et musulmans » n’apparaît pas comme un pari déraisonnable.
Beaucoup de témoignages de l’époque, même de la part d’adversaires de la révolution, attestent que la dispersion de la Constituante ne suscita pas une grande perturbation. Mais le problème n’est pas là. Les descriptions faites sur le décalage entre la situation russe et le résultat de ces élections prolongées ne sont pas contestables. Ce qui l’est en revanche, c’est l’absence d’alternative présentée par les dirigeants révolutionnaires face à cette impasse démocratique, alors qu’ils avaient eux-mêmes longtemps défendu cette perspective avec la plus grande vigueur.
Tout se passe alors comme s’ils jugeaient désormais superflu, après l’insurrection victorieuse et la prise du pouvoir, toute manifestation électorale générale autre que le renouvellement périodique de la représentation dans les divers soviets. Finalement si cette Constituante s’est révélée en quelque sorte périmée dès son élection, il n’en demeure pas moins que le processus qui l’a porté et a porté la Révolution pendant de longs mois, celui d’une vibrante aspiration démocratique, appelait une réponse institutionnelle – à côté de la représentation soviétique et non contre elle. Le nouveau pouvoir ne l’a pas voulu et a rapidement remisé cette question aux oubliettes.
Par contre Rosa Luxemburg, dans ses Notes sur la Révolution russe, traite la question de manière plus pratique : « Étant donné que l’Assemblée constituante avait été élue longtemps avant le tournant décisif d’Octobre et reflétait dans sa composition l’image du passé périmé et non pas le nouvel état de choses, la conclusion s’imposait d’elle-même qu’il fallait casser cette Constituante surannée, donc mort-née, et prescrire sans tarder de nouvelles élections en vue d’une nouvelle Constituante ! Ils ne pouvaient ni ne voulaient confier le sort de la révolution à une Assemblée qui représentait la Russie de Kérenski, la période d’hésitations et de coalition avec la bourgeoisie. Parfait ! Il ne restait plus, dès lors, qu’à convoquer immédiatement à sa place une assemblée issue de la Russie rénovée et plus avancée.
Au lieu de cela, Trotsky conclut de l’insuffisance particulière de l’Assemblée constituante réunie en octobre à l’inutilité absolue de toute Assemblée constituante, en général et même il va jusqu’à nier la valeur de toute représentation populaire issue d’élections générales en période de révolution. Tout cela ôté, que reste-t-il ? Lénine et Trotsky ont mis à la place des corps représentatifs issus d’élections générales les soviets comme la seule représentation véritable des masses ouvrières. Mais en étouffant la vie politique dans tout le pays, il est fatal que la vie dans les soviets eux-mêmes soit de plus en plus paralysée.
Sans élections générales, sans liberté illimitée de la presse et de réunion, sans lutte libre entre les opinions, la vie se meurt dans toutes les institutions publiques, elle devient une vie apparente, où la bureaucratie reste le seul élément actif. C’est une loi à laquelle nul ne peut se soustraire. La vie publique entre peu à peu en sommeil. L’erreur fondamentale de la théorie de Lénine et Trotsky est précisément que, tout comme Kautsky, ils opposent la démocratie à la dictature. « Dictature ou démocratie », ainsi se pose la question pour les bolchéviks comme pour Kautsky. Ce dernier se prononce bien entendu pour la démocratie, et même pour la démocratie bourgeoise, puisqu’il l’oppose à la transformation socialiste. Lénine et Trotsky se prononcent au contraire pour la dictature d’une poignée de personnes, c’est-à-dire pour la dictature selon le modèle bourgeois. Ce sont là deux pôles opposés, tout aussi éloignés l’un et l’autre de la véritable politique socialiste ».
L’avis de Rosa Luxemburg est lumineux. Mais il serait présomptueux de dire aujourd’hui : « il fallait de nouvelles élections à la Constituante ». Sa dispersion par la force en mars 1918 précède de quelques mois le début de la guerre civile et de la coalition étrangère qui tenta d’étrangler la Révolution. Mais après la victoire, en 1920, la réanimation de la vie démocratique était devenue une nécessité aussi brûlante que la relance de l’économie. Cela passait, on l’a déjà dit, par une renaissance des soviets exsangues via une transfusion massive de libertés retrouvées en leur sein, et aussi par la reconstruction d’un débat démocratique national conduisant à des élections pour un organisme qui devienne le lieu de discussions et de grandes décisions sur des options politiques globales concernant tout le pays. Dès lors, ne pas emprunter cette voie coûta bien plus cher que les risques qui auraient été pris en le faisant.
Le pouvoir : le prendre, le garder, toujours ?
Le risque des risques, c’est en effet de perdre le pouvoir. Au nom de ce risque et explicitement, la dérive a porté une « dictature » (en principe du prolétariat) sans doute inévitable pendant la guerre civile vers une dictature du Parti, et encore d’un Parti largement bridé par rapport à ses propres traditions. Ce risque était l’évidence mordant pendant toute la guerre civile, mais les enjeux y étaient d’une clarté cristalline. Si la guerre a été gagnée après deux années de combats acharnés, c’est bien sûr grâce à la mobilisation de tout le pays derrière les soviets et leur Armée rouge. Mais cette mobilisation est la résultante des défis sociaux qui prolongeaient ceux en jeu dans la révolution elle-même.
L’alternative n’était pas avant Octobre entre prise du pouvoir par les Soviets ou démocratie parlementaire plus ou moins stabilisée. Elle se résumait à révolution jusqu’au bout ou retour en arrière vers une autocratie réinstallée par les comploteurs de la réaction. Dans la guerre des Blancs contre les Rouges, les premiers ont été repoussés et défaits parce qu’ils ne faisaient que réinstaurer, dans les zones où ils ont dominé temporairement, la suprématie des grands propriétaires et des capitalistes, l’autocratie honnie même sans tsar.
Cette composante sociale qu’on tend trop à relativiser dans toutes les discussions sur la politique proprement dite, serait aussi restée déterminante par la suite si l’ouverture politique était venue accompagner les réformes économiques. Il y aurait certes eu un risque que des élections nationales voient les bolchéviks reculer, voire se retrouver minoritaire. Un siècle après, peut-on douter du fait que cette éventualité était moins dangereuse que la catastrophe historique qu’a été la dégénérescence de l’Union soviétique ? Les masses russes étaient certainement épuisées et lasses de la guerre ; elles aspiraient à un changement rapide de leurs conditions de vie. Mais il est loin d’être certain ou même probable qu’elles auraient opté alors pour des forces menaçant de remettre en selle ceux que la révolution avait renversés et que la guerre avait vaincus. Et même si tel avait été le cas, la lutte aurait vite repris pour défendre bec et ongles les conquêtes de la révolution et elle aurait trouvé sa traduction politique, à la première échéance suivante, dans une confiance renouvelée en faveur des artisans du changement social engagé en 1917 par la révolution et les soviets.
« Le socialisme ne peut pas être instauré par une minorité, par le parti. Il ne peut l’être que par des dizaines de millions d’hommes », disait Lénine au IVe congrès pan-russe des soviets. En contradiction flagrante avec cette profession de foi, les décisions des premières années ont conduit à refuser de représenter la réalité des rapports de forces politiques et donc de partager le pouvoir au sein des soviets.
On peut comprendre que ces options apparaissent désormais bien plus clairement que dans la fumée épaisse des batailles d’alors. Les révolutionnaires d’Octobre n’étaient certainement pas conscients des conséquences de leurs choix, contraints et forcés par les circonstances dramatiques du tournant des années vingt. Les conséquences néanmoins se sont dessinées clairement et assez rapidement. Pourtant, durant cette décennie jusqu’aux terribles années trente, les inflexions étaient encore possibles ; elles furent même âprement débattues dans le Parti bolchévique, dans ce qui restait des autres partis et dans toute la société.
Continuité, discontinuité, rupture
Il n’y a pas d’équivalence entre la répression des années 18-24 et la dégénérescence stalinienne ; pas seulement dans la dimension mais dans les ressorts les plus profonds. La répression bolchévique s’inscrivait dans la situation d’exception du choc violent de la guerre civile. La simultanéité du XIe congrès et de Kronstadt marquent un tournant qui va incontestablement favoriser la dégénérescence stalinienne. Mais la situation n’est pas encore stabilisée. Les luttes fractionnelles et les débats au sein du parti montrent une situation qui peut encore évoluer. Certes, il y a des éléments de continuité entre l’époque léniniste et la réaction stalinienne, mais les discontinuités et les ruptures l’emportent largement. À la fin des années vingt et avec la collectivisation forcée de 1928, il y a bien une rupture historique, d’abord dans la défaite de toutes les oppositions, dans la « normalisation » du parti bolchévik, la diffusion d’un pouvoir de répression totalitaire politique et social dans toute la société russe, les déportations puis les liquidations massives.
La politique stalinienne ne s’inscrit plus dans la dynamique révolutionnaire mais dans la défense des intérêts particuliers du centre stalinien et de la bureaucratie avec ses privilèges, base du pouvoir personnel de Staline. C’est aussi une politique réactionnaire sur le plan international. Le pouvoir en place ne défend plus les mêmes intérêts. Le pouvoir de la bureaucratie s’est substitué à celui des ouvriers et paysans, encore représenté dans les soviets et le parti du début des années vingt. C’est au sein même de la révolution que se développe la contre-révolution stalinienne. Elle n’en est pas la résultante, même s’il y a eu des erreurs graves durant la période léniniste ; c’est une contre-révolution violente contre la base politique même du processus révolutionnaire qui lui a finalement permis d’usurper le pouvoir.
Ce n’est que la combinaison fatale de l’asphyxie démocratique, de la lassitude sociale, de la cristallisation bureaucratique et, surtout, d’une purge brutale à grande échelle avec sa formidable répression qui ont permis que la continuité révolutionnaire d’Octobre soit rompue comme elle l’a été. Et maintenant qu’elle l’est, il faut absolument voir clair dans ce qui s’est passé pour que le cours des choses puisse être différent à l’avenir, quand la révolution se remettra à l’écrire.
Charles Michaloux et François Sabado