L’affrontement avec Macron et son gouvernement était annoncé depuis les élections de mai et juin dernier.
Chacun savait que son programme comprendrait une remise en cause rapide et profonde du Droit du travail, et de la protection sociale, tout en poursuivant une politique de répression contre le mouvement social et d’atteinte aux droits démocratiques, visant en premier lieu les classes populaires racisées.
Dès début avril, un mois avant l’élection, interviewé par le Journal du Dimanche, il annonçait clairement les attaques qu’il comptait mener et la volonté de passer par ordonnances, c’est-à-dire sans passer par le débat parlementaire. Tirant les leçons du discrédit des principaux partis institutionnels, il avait aussi compris que ce discrédit ne s’effacerait pas comme une ardoise après les élections et qu’il subirait lui aussi rapidement les effets. Tout cela le poussait à des mécanismes de décisions aussi rapides qu’antidémocratiques.
Aussi, au-delà d’une communication médiatique soignée sur les thèmes de la nouveauté, du changement, de la jeunesse, il associe les thèses libertariennes à l’utilisation exacerbée des armes de l’Etat fort contenues dans les mécanismes de la Ve République.
Cette course pour faire rattraper à la France son « retard » vis-à-vis des autres pays européens ne pourra pourtant pas faire l’économie d’un affrontement social de grande ampleur. Le 12 septembre a été le premier coup de canon qui va être suivi de beaucoup d’autres.
La riposte aura, malgré tout, mis du temps à se mettre en place. Si Macron avait clairement annoncé la couleur, le mouvement syndical, et même le mouvement social dans son ensemble, a été lent à réagir. Pendant la campagne électorale, et surtout pendant l’entre deux tours présidentiel, une partie de celui-ci adhérait à l’image médiatique de Macron, candidat jeune et démocrate à même de faire avancer la société française dans son ensemble, de rompre avec les vieux dirigeants poussiéreux et surtout représentant la démocratie face à Marine Le Pen. Indépendamment des consignes de vote adoptées à la veille du second tour, cette bienveillance envers un candidat ultralibéral a laissée bien seule pendant plusieurs semaines l’aile radicale du mouvement social et syndical qui mobilisait environ 2000 militants dès le 22 avril, veille du 1er tour, derrière le rassemblement du « 1er tour social » , puis du « Front Social » rassemblant des sections CGT et Sud Solidaires combatives, la CNT, plusieurs collectifs contre les violences policières, Droit Devant, Droit au logement et le NPA.
Puis le 8 mai, à l’appel du Front social autour des mêmes équipes et surtout le 19 juin, des structures de rassemblement unitaire du mouvement social et syndical se mirent sur pied localement pour appeler à manifester dans une trentaine de villes du pays, avec le soutien syndical national de Solidaires. Il aura fallu attendre le 27 juin, presque deux mois après l’élection de Macron, veille des départs en congés, pour que, enfin, la CGT sorte un communiqué appelant nationalement à une journée de grève et de manifestation contre le projet d’ordonnances le 12 septembre.
Cet appel tardif de la Confédération, alors que de nombreuses structures CGT avaient commencé depuis plusieurs semaines à mobiliser contre le gouvernement et sa politique de casse sociale est aussi à comprendre dans un cadre où, à part Solidaires, les autres organisations syndicales avaient accepté de se mouler dans le cadre d’un « dialogue social » avec le gouvernement durant l’été. Dialogue d’un nouveau genre, se limitant à une série de rencontres bilatérales, sans que les délégations syndicales ne puissent avoir en main les projets complets, méthodes dignes des directions RH des grands groupes. Dialogue d’un nouveau genre puisqu’il ne s’agissait en aucun cas de négociations, Macron et son gouvernement ne voulant pas plus négocier avec les directions syndicales que débattre avec les députés. Mais c’est bien au nom de ce dialogue social que FO, partie prenante il y a un an du front syndical contre la loi El Khomri a refusé de se joindre à l’appel de la CGT, auquel a répondu tout de suite positivement Solidaires. De même la CGC, fort critique contre les ordonnances, a refusé de se joindre à la mobilisation, tout comme la CFDT et la CFTC. Il aura fallu attendre le 4 septembre pour que, sous la pression, la FSU sorte un communiqué d’appel au 12.
On voit donc que cette mobilisation qui représente un très grand enjeu a démarré dans des conditions encore plus catastrophique que celle contre la loi El Khomri, il y 18 mois.
Elle fut donc essentiellement tirée en avant et structuré par le travail réalisé par les intersyndicales locales et les collectifs locaux Front social. Cette action unitaire aura permis dans de nombreuses villes et départements de rassembler des syndicats FO, voire CFDT. D’ailleurs, plus de la moitié des UD Force ouvrière et sept fédérations avaient appelé à participer à la journée du 12.
Car cette frilosité des directions est en réel décalage avec une très large conscience parmi les salariés du caractère toxique des ordonnances et de tout le train d’attaques sociales qui se profile derrière. D’ailleurs tous les sondages récents témoignent du rejet majoritaire de la méthode des ordonnances et du contenu d’attaques contre les syndicats et les droits des travailleurs.
Ce n’est évidemment pas un hasard si le premier volet d’attaques touche principalement (mais pas exclusivement !) deux domaines :
– les règles de négociations, les instances de représentation du personnel, en gros les moyens d’action des syndicats ;
– les dispositions du Code du Travail protégeant les salariés du privé victimes de licenciements.
Le but est évidemment de dissocier les militants syndicaux du gros des salariés et de ne pas frapper frontalement le secteur public. Il n’empêche que tous les trains d’attaques qui suivent touchent tout azimut, et même plus spécifiquement les fonctionnaires avec 10 milliards d’économies sur les budgets de l’Etat, la suppression de 100000 fonctionnaires et le gel du point d’indice (permettant le calcul du traitement des fonctionnaires, déjà bloqué depuis de nombreuses années).
La journée du 12 septembre aura aussi subi une campagne de discréditation médiatique fort bien orchestrée par des médias nationaux aux ordres du MEDEF. La journée de grève était présentée comme le fait d’une direction confédérale CGT jusqu’au boutiste et totalement isolée. De plus elle fut présentée aussi comme une journée essentiellement politique, en en faisant le pendant de la montée nationale de la France insoumise le 23 septembre, très largement annoncée dans les médias. L’argumentation simple était donc que cette mobilisation n’avait aucune légitimité, puisque minoritaire dans le mouvement syndical et faisant pendant à une manifestation politique lancé par un ex-candidat ne voulant pas reconnaître sa défaite. Les mêmes médias insistant très lourdement sur le fait que les projets de Macron avaient été plébiscités lors de son élection présidentielle….oubliant de préciser que, au mieux, 18,2% des électeurs avaient voté pour lui lors du 1er tour, le 23 avril, 30% d’entre eux ayant déclaré soutenir son programme.
Les mêmes médias ont aussi cherché à discréditer le résultat de la mobilisation (des manifestations dans 180 villes, 4000 appels à la grève, 220000 manifestants selon le gouvernement, près de 500000 selon la CGT et Solidaires) au regard de la forte mobilisation de 2016 contre la loi El Khomri.
Pourtant les chiffres annoncés, tant par la police que par le gouvernement étaient quasi identiques qu’en 2016, avec des comptes-rendus de presse bien plus flatteurs…
Pour parachever cette bataille de communication, Macron aura choisi, sûrement par hasard, la date précise du 12 septembre pour se rendre dans l’ile de Saint Martin, dévastée le 6 septembre par un violent cyclone. Voyage évidemment ultramédiatisé dans des journaux télévisés opposants le président qui sur le terrain se préoccupe des populations et à ceux qui refusent de faire avancer la société en s’arc-boutant sur les rigidités du Code et les privilèges patronaux.
Cette bataille médiatique peut paraître futile, mais Macron depuis plusieurs mois se bat contre son manque de crédibilité parmi la population. Malgré un matraquage audiovisuel et un look à la Obama, Macron présente dans les sondages les plus mauvais chiffres de confiance enregistrés à ce stade du mandat (battant même François Hollande…).
Ce discrédit n’est évidemment pas remis en cause par les petites phrase insultantes envers les salariés, les pauvres, qui parsèment ses discours comme autant de perles (« ceux qui ne sont rien et ceux qui ont réussis », « les fainéants »,…).
La question qui est posée après le 12 est la capacité ou non du mouvement social de construire une mobilisation permettant de mettre en échec la politique de Macron. Les ordonnances attaquant le Code du travail évidemment mais aussi tout le dispositif d’attaque contre le salaire socialisé, le système de protection sociale et les emplois et les rémunérations du secteur public.
Cela suppose évidemment pour le mouvement syndical d’assumer consciemment cette convergence nécessaire public/privé.
Le calendrier d’ores et déjà annoncé n’est pas le plus favorable à cette convergence. Alors que Macron et Philippe vont faire adopter le texte des ordonnances par le Conseil des Ministres le 22 septembre, une nouvelle journée de mobilisation et de grève est organisée le 21 septembre par les syndicats ayant appelé au 12. A partir du 25, les fédérations transports CGT et FO appellent les chauffeurs routiers à une grève reconductible avec des actions de blocage, notamment des dépôts pétroliers. Cela semble aller dans le bon sens pour construire un réel rapport de force. Par contre, les neuf fédérations de fonctionnaires (CGT, FO, FSU, Solidaires, CFDT, UNSA, CFTC, CGC et Autonomes) appellent, elles, le 10 octobre sur les revendications spécifiques des fonctionnaires. Si ce front unanime n’a jamais été vu depuis dix ans, il se veut totalement indépendant du calendrier interprofessionnel…Encore une fois, la possibilité d’un mouvement de grève de plusieurs secteurs clefs au niveau national, liés à des mobilisations et des manifestations va dépendre essentiellement de l’aile combative du mouvement syndical et des intersyndicales locales.
De plus, il est fondamental que la convergence se fasse aussi avec les luttes contre la politique d’attaques contre les libertés démocratiques et de violences policières impunies, de luttes de la jeunesse scolarisée contre la baisse des APL et les processus de sélection universitaire. Ce sont globalement toutes celles et tous ceux qui luttent contre les attaques du gouvernement qui doivent trouver les moyens de se rejoindre en un mouvement commun.
De même, cette convergence concerne aussi les organisations et mouvement politiques qui se déclarent en opposition avec le gouvernement.
La France insoumise et Jean Luc Mélenchon prétendent représenter eux seuls l’opposition politique à Macron, voulant bâillonner et soumettre toute autre parole. Cette méthode, qui vise essentiellement à préparer les prochains échéances électorales (essentiellement les élections européennes de 2019 et les municipales de 2020), ne se préoccupe guère de participer à la construction d’un rapport de force social et politique dans la rue, les quartiers et les entreprises. Ainsi, dans la préparation de la montée nationale de la FI le 23 septembre à Paris, Mélenchon et son mouvement n’ont comme souci unitaire que de proposer à chacun de les rejoindre. Cette posture impose d’autant plus que localement et nationalement se construise là aussi une démarche unitaire de rassemblement et d’action des forces politiques opposées à la politique du gouvernement. C’est d’ailleurs le message que font passer les porte-paroles du NPA depuis plusieurs semaines.
Léon Crémieux