Les critiques sur l’incurie supposée de l’Etat face au climat d’insécurité à Saint-Martin se sont multipliées sur les réseaux sociaux après le passage de l’ouragan Irma, mercredi 6 septembre. L’extrême droite, notamment, a violemment attaqué le gouvernement à ce sujet :
« Regardez du côté hollandais, il n’y a pas d’émeutes, de pillages, les mesures anticipatrices ont été prises », a affirmé en écho le député proche du Front national du Gard, Gilbert Collard, sur BFM TV dimanche.
En réalité, le problème des inégalités et de l’insécurité à Saint-Martin n’est pas un problème nouveau : « On est, à Saint-Martin, dans un territoire isolé, peu administré parce que les services administratifs d’Etat sont à renforcer », expliquait la ministre des outre-mer, Annick Girardin, lundi 11 septembre sur l’antenne de France Inter.
« Saint-Martin, c’est un territoire où il y avait énormément de violences, où il y avait beaucoup, déjà, de délinquance. Saint-Martin avait des difficultés économiques, on avait déjà un territoire (…) fragile. »
Dans un rapport de 2016, l’Insee faisait le portrait d’un territoire qu’il qualifiait pudiquement de « terre de contrastes » : l’île de 90 km2 est marquée par un éloignement géographique de la métropole, mais aussi de ses plus proches voisines comme la Guadeloupe, à 240 kilomètres.
Une mono-industrie touristique
Après avoir cultivé tabac, coton et canne à sucre, Saint-Martin s’est tourné dans les dernières décennies vers une économie quasi exclusivement vouée au tourisme (plus de quatre emplois sur cinq en dépendent). Mais le secteur perd des emplois depuis quelques années.
Sa proximité – et la concurrence – avec la partie néerlandaise, Sint Maarten (qui abrite la majeure partie des infrastructures et jouit d’une réglementation plus avantageuse), ont encouragé les Saint-Martinois à faire le choix d’une plus grande autonomie vis-à-vis de Paris. En 2007, le département d’outre-mer (rattaché à la Guadeloupe) a opté pour le statut de collectivité d’outre-mer. Résultat, l’île a désormais plus de compétences (elle cumule celles d’une commune, d’un département et d’une région), mais aussi plus de dépenses… Par contre, elle a toujours autant de chômage et de précarité.
Un habitant sur cinq touche le RSA
Le niveau de vie est sous le coup d’une précarité marquée : en 2012, six habitants sur dix étaient allocataires d’une prestation de la Caisse d’allocations familiales (CAF). Parmi ces allocations, le revenu de solidarité active (RSA) permet à 21 % de la population de survivre. A titre de comparaison, ce taux est de 7 % en Ile-de-France, une des régions qui concentrent le plus de précarité en France. Autres indicateurs inquiétants : ils ne sont que 40 % des ménages à avoir l’eau chaude chez eux et près de 30 % des logements sont en situation de surpeuplement.
Quant au niveau d’activité, seule la moitié des adultes déclare occuper un emploi (contre 64 % en métropole) ; chez les moins de 24 ans, cette proportion tombe à 19 %. Un tiers de 15-24 ans n’est ni en emploi ni en formation. Pas étonnant dans ces conditions que la population saint-martinoise diminue depuis la fin des années 2000, en raison notamment des départs des natifs de Saint-Martin.
Une intégration problématique
Pour ceux qui arrivent dans l’île, l’intégration reste problématique. Du fait des arrivées massives des années 1980, répondant au besoin de main-d’œuvre (boom immobilier touristique lié aux lois successives de défiscalisation), la proportion d’immigrés atteint plus de 50 % chez les 40-59 ans.
De manière générale, note l’Insee, les « étrangers » sont surreprésentés dans toutes les classes d’âges entre 30 et 74 ans. Dans l’ensemble, un tiers de la population saint-martinoise est immigrée, contre 4 % en Guadeloupe et 9 % en métropole.
Saint-Martin : plus d’un tiers des immigrés viennent d’Haïti
Répartition (en %) des immigrés selon leur lieu de naissance, en 2012
[Graphique non reproduit ici.]
Autre problème : le niveau d’éducation est beaucoup plus faible qu’en métropole : moins d’un quart des 18-24 ans sont scolarisés alors que c’est plus de la moitié en France métropolitaine. Un déséquilibre qui devient très net parmi les immigrés : 70 % d’entre eux ne possèdent aucun diplôme, 80 % chez les Haïtiens.
Une criminalité inquiétante
Le nombre de vols ou d’actes de violence enregistrés par la police et la gendarmerie rapporté à la population était globalement plus élevé à Saint-Martin que dans les autres territoires ultramarins ou en métropole, en particulier les vols avec armes, selon les statistiques du ministère de l’intérieur.
Saint-Martin, une île plus violente que ses voisines d’outre-mer
Délinquance enregistrée par les forces de l’ordre (gendarmerie et police) outre-mer en 2015
[Graphique non reproduit ici.]
« Saint-Martin apparaît comme un territoire hors norme avec 124 vols avec armes pour 35 000 habitants (soit 3,5 pour 1 000). A titre de comparaison, dans aucun département de métropole l’intensité des vols avec armes ne dépasse 0,6 fait pour 1 000 habitants », note le ministère.
En cause, le port d’arme illégal, une particularité que soulignait l’Inspection générale de l’administration en 2014. La préfecture de la Guadeloupe a lancé une opération permettant aux personnes détenant illégalement des armes d’aller les déposer dans les commissariats et gendarmeries, « avec l’engagement que les procureurs de la République ne les poursuivront pas ». Le bilan, de l’aveu même de la préfecture, a été mitigé : 200 armes seulement ont été remises aux autorités en 2016.
« La situation géographique de Saint-Martin au sein de l’arc antillais, sur les axes d’approvisionnement de l’Amérique du Nord et de l’Europe, en fait un lieu propice aux trafics tels que celui des stupéfiants. Le trafic de stupéfiants s’accompagne en outre d’activités de blanchiment de capitaux », ajoutait un rapport parlementaire de 2005. C’est dans ce « territoire fragile », dévasté par l’ouragan, que le président français, Emmanuel Macron, s’est rendu mardi.
Mathilde Damgé