Question 1 : « Par quels moyens les structures actuelles de représentation et de participation de la société (partis, syndicats, associations, etc.) peuvent-ils contribuer à ramener dans le périmètre de l’exercice effectif de la citoyenneté les millions de citoyens qui, partout en Europe, s’en trouvent exclus ? »
Pour permettre à toutes et tous d’exercer leur citoyenneté, il faut leur (re)donner le pouvoir de choisir. Je dis bien de choisir, pas simplement de voter. Or, bien plus encore que par le passé, ce droit démocratique au choix se voit en pratique (et toujours plus en droit) dénié. Dénié par les pouvoirs dont les parlements ont doté l’OMC, par exemple. Dénié encore dans le projet dit de Constitution européenne qui prétend « constitutionnaliser » la dictature de l’économie de marché, et même l’alignement sur l’OTAN !
Ce déni de démocratie répond à des évolutions profondes du capitalisme contemporain, où le thème de la « bonne gouvernance » remplace et efface l’exigence démocratique. Il ne suffira pas de réformettes superficielles pour (re)donner sens et réalité à la citoyenneté. Il faudra imposer à nouveau le droit de choisir, en tous domaines. Opposer à la dictature des actionnaires nos solidarités. Donner la primauté aux besoins, qu’ils soient sociaux, « sociétaux » (droits des femmes, écologiques...) ou politiques. Imaginer, en se nourrissant d’une expérience historique contemporaine et vivante, les formes nouvelles grâce auxquelles le pouvoir de choisir peut s’exercer dans le monde d’aujourd’hui.
Un en mot, il faut, ici aussi, faire surgir de véritables alternatives à l’ordre existant. Dans ce combat démocratique qui doit nous impliquer toutes et tous, la responsabilité propre des syndicats, associations ou partis progressistes est évidemment engagée. Il leur faut pour cela assumer ce qu’a aujourd’hui de profondément radical l’exigence citoyenne : le droit de décider de son avenir.
Question 2 : « Les formations politiques issues des mouvements d’émancipation sociale du XIXe siècle (partis révolutionnaires, communistes, sociaux-démocrates) et de l’écologie politique de la fin du XXe siècle sont-ils encore porteurs de l’espérance d’un changement vers « un autre monde possible » ? Ou bien le mouvement altermondialiste - malgré son hétérogénéité et sa fluidité - constituera-t-il, à moyen terme, le creuset de nouvelles configurations politiques appelées à prendre la relève ? »
« Ou bien » ? La question oppose ici le « vieux » (les partis) au « neuf » (le mouvement altermondialiste). Cela n’a pourtant rien d’évident. Comme il peut être fort trompeur de « dater » ainsi les traditions (« du 19è siècle »).
Les mouvements d’émancipation sociale dont nous parlons ici se sont développés en réponse aux ravages du capitalisme, comme d’ailleurs, dans une large mesure, l’écologie politique à la fin du siècle dernier. Le capitalisme est toujours actuel - on peut même dire qu’il redevient sa propre caricature ! Les illusions d’un dépassement en douceur du capitalisme, si vivaces durant les années 1960, se sont brutalement dissipées sous l’assaut des politiques libérales. L’actualité du capitalisme assure l’actualité de sa critique, notamment marxiste, féministe et écologique.
Les temps n’en ont pas moins changé. Nous pensons que le mouvement altermondialiste représente véritablement une nouvelle « expérience historique fondatrice », qui crée une référence commune pour toute une génération militante, bien différente de celle des années 1960 et 1970. Il y a toute à la fois évolution de société et changement radical de génération. En ce sens, le mouvement altermondialiste est effectivement un « creuset » où s’expérimentent de nouvelles configurations politiques, démocratiques, sociales. Les courants politiques d’hier qui ne sauront intégrer cette nouveauté (et quelques autres) perdront leur potentiel dynamique.
Nous n’opposons donc pas les deux termes de la question. L’expérience contemporaine permet de repenser les pratiques militantes et les alternatives fondamentales ; et il était temps après la nuit stalinienne. Mais les alternatives de demain seront toujours des alternatives à l’ordre capitaliste - ou alors elles ne seront pas. Un dernier point : à la condition (expresse) qu’ils sachent respecter leur indépendance, les partis peuvent contribuer à préserver l’unité des mouvements. Les partis ne sont pas « au-dessus » des mouvements, comme beaucoup pouvaient le penser hier, et ils doivent changer. Mais ils permettent aux choix politiques, aux orientations stratégiques, de s’incarner. Sans leur existence, la politique risquerait fort de diviser les mouvements ; car la question des voies et des moyens qui permettent de changer le (et les) pouvoir(s) dans la société suscitera toujours des réponses diversifiées et souvent divergentes.