Durant plus de quarante ans la question nationale au Québec a été dominée par le Parti québécois. Il faut bien se comprendre cependant, le PQ n’a pas inventé le nationalisme. C’est une situation de domination qui existe depuis la conquête britannique et qui a été intégrée structurellement lors de la confédération canadienne.
Le nationalisme n’est pas par définition nécessairement progressiste. Cela dépend de la situation politique et du rôle qu’il est appelé à jouer comme vecteur de transformation vers une société égalitaire. Or historiquement au Québec l’oppression nationale a toujours été une source de mobilisation sociale contre la domination capitaliste, laquelle apparaît sous le visage d’une domination étrangère.
Cette domination s’est présentée sous différents aspects. Au niveau culturel, médiatique, scolaire, ainsi qu’au niveau économique et social. Pendant de longues années la culture américaine et canadienne anglaise ont inondé nos écrans. Encore récemment la CBC a réalisé un film pseudo historique sur l’histoire du Canada qui ne reflétait nullement les racines historiques du Québec ni celles des nations autochtones. Pendant de longues années aussi, comme le disait Yvon Deschamps, tu travaillais en anglais ou tu chômais en français. Situation encore réelle dans de nombreux secteurs d’activités aujourd’hui.
C’est sur ce sentiment de trop-plein que le PQ s’est construit à l’origine. La nationalisation des ressources électriques amorcée par René Lévesque sous le règne des Libéraux de Jean Lesage, jusque-là sous le contrôle de différents fiefs privés, avait tracé la voie et permis de donner un essor économique important et une certaine fierté nationale.
Cette « Révolution tranquille » achevée par le PQ de René Lévesque, s’est rapidement heurtée à des choix économiques anti sociaux lors de la montée de la période de récession au tournant des années 1980. La lutte de libération nationale n’a jamais pu ainsi prendre son véritable essor. Dans les années qui ont suivi, le PQ s’est construit en tant que parti de gestion de l’État néolibéral avec les conséquences que cela implique en termes de désillusion et d’étouffement des mobilisations quand ce n’est pas carrément d’affrontement comme en 1983 lors des négociations du secteur public.
La perspective souverainiste a été assombrie d’une part par les politiques néolibérales appliquées par le PQ lorsqu’il était au pouvoir et d’autre part par le nationalisme identitaire qui est venu remplacer l’impasse stratégique auquel en était arrivé ce parti qui est devenu finalement le fossoyeur de la perspective qu’il devait défendre au départ. C’est ici qu’il faut faire la distinction entre la déviation qu’est devenu le nationalisme porté par le PQ et la portée de la lutte pour la souveraineté en termes de changement social non seulement au Québec mais dans l’État canadien.
En Catalogne où la politique s’est intensifiée à un niveau incomparable avec le Québec, la question de la lutte pour une réappropriation populaire de la société est cruciale. En effet l’indépendance fiscale des classes moyennes ne suscite aucune sympathie parmi les classes populaires du reste de l’État espagnol mais aussi parmi ceux d’une partie importante de la Catalogne, en particulier des secteurs populaires des quartiers de Barcelone.
Le mouvement indépendantiste catalan et plus précisément la gauche devront en tenir compte d’autant plus que Rajoy accuse la Catalogne de bénéficier de ressources économiques plus élevées que la moyenne espagnole et prétend ainsi que la population catalane veut garder ses richesses pour elle-même et en priver le reste de l’Espagne. La classe ouvrière espagnole se trouve ainsi interpellée à appuyer ceux qui appliquent les règles d’austérité envers elle et à se battre contre son alliée objectif en Catalogne.
La lutte de la population catalane doit par conséquent trouver le chemin qui peut lier sa lutte de libération nationale à une perspective de lutte contre l’austérité imposé à tout l’État espagnol par le gouvernement de Madrid, comme le mouvement des indignés l’avait fait il y a quelques années.
La dynamique des luttes n’est pas linéaire.Le combat pour le changement social et le renversement du vieil État ne débutent pas partout en même temps et se développent plus intensément au sein des nations opprimées par l’État central. Il est essentiel que la classe ouvrière espagnole trouve également le chemin pour appuyer la lutte du peuple catalan contre l’État oppresseur de Mariano Rajoy, il en va de sa propre destinée. Une défaite de la lutte catalane serait une victoire importante non seulement pour le gouvernement de droite de Madrid mais assurerait également une stabilité à l’Union européenne dans sa domination de la classe ouvrière de toute l’Europe, et pourra continuer à s’enrichir par des mesures de plus en plus drastiques d’austérité comme elle l’a fait avec la population grecque il y a deux ans.
C’est aussi le cas du Québec. La lutte pour le contrôle de notre destinée, de nos ressources, de notre environnement, de notre industrie, ne pourra s’accomplir sans remettre en question le contrôle des dominants. Cela ne pourra inévitablement que dépasser les frontières du Québec et interpellera la population laborieuse du reste du Canada à soutenir notre lutte pour la justice sociale contre l’intervention tout autant inévitable de l’État canadien et des institutions financières qui appliqueront la même médecine que celle de la Banque mondiale par rapport à la Grèce ou de Madrid et de l’Union européenne par rapport à la Catalogne. Trudeau n’a-t-il pas dit qu’il n’y avait qu’une seule Espagne unie !
André Frappier