Les « nouvelles routes de la soie » chinoises n’avancent pas comme sur du velours. La grande initiative diplomatique du président Xi Jinping se traduit essentiellement par des projets d’infrastructures construits et souvent financés par la Chine dans des pays amis. L’objectif est pour Pékin à la fois d’étendre son influence et d’écouler ses surplus industriels, notamment d’acier et de ciment. Mais, coup sur coup, le Népal et le Pakistan ont annulé des projets chinois de barrages sur leur territoire.
Ce double revers démontre que les méthodes de Pékin suscitent des résistances. C’est sur son compte Twitter que le vice-premier ministre népalais, Kamal Thapa, a annoncé, lundi 13 novembre, que son gouvernement abandonnait un projet de barrage à 2,5 milliards de dollars que devait construire un groupe chinois : « Lors du conseil des ministres, il a été conclu que l’accord passé avec le Gezhouba Group pour le projet hydroélectrique de Budhi Gandaki avait été adopté sans réflexion, et comportait des irrégularités. Il a été rejeté sur les recommandations d’une commission parlementaire. » Cette commission a notamment critiqué le manque de transparence lors de l’attribution du marché. Il n’y avait pas eu d’appel d’offres. Situé à 80 kilomètres de Katmandou, le barrage devait fournir 1 200 mégawatts d’électricité à un pays où les coupures de courant sont monnaie courante.
Dans le cas du Pakistan, la mesure est moins radicale. Le pays a décidé de poursuivre le projet de barrage de Diamer-Bhasha, de 4 500 mégawatts, qui sera bien construit par une entreprise chinoise. Mais Islamabad se passera de la Chine pour le financer, prenant en charge les 14 milliards de dollars nécessaires. Le Pakistan a demandé à la Chine d’exclure le barrage du « corridor économique sino-pakistanais », la déclinaison locale des « nouvelles routes de la soie ». Le projet n’était « pas faisable et contre nos intérêts », a déclaré le directeur de l’Autorité pour le développement de l’eau et de l’énergie, Muzammil Hussain, à la chaîne pakistanaise Express News le 16 novembre. La Chine exigeait en effet la propriété du barrage, la maîtrise de sa maintenance et l’obtention de droits sur un autre barrage en cas de défaut de paiement (nantissement).
« Respecter les populations »
Il ne s’agit pas, cependant, du premier avertissement pour Pékin : de plus en plus de ces projets, qui vont des barrages aux lignes de trains à grande vitesse, sont contestés localement. En Birmanie, la construction du barrage de Myitsone par un groupe chinois aurait dû commencer en 2011. Mais la population s’oppose à cet ouvrage, dont 90 % de la production électrique devait alimenter la Chine. Après de multiples reports, son avenir est compromis.
« Les autorités centrales chinoises sont conscientes depuis plusieurs années que la concrétisation de certains projets d’infrastructures par les entreprises chinoises pose parfois problème au niveau local. Elles ont adopté des mesures incitant les investisseurs chinois à mieux respecter les populations et l’environnement, mais leur bonne prise en compte par les entreprises est encore assez inégale », explique Sébastien Colin, géographe et chercheur au Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC) à Hongkong.
Les soucis de la Chine s’expliquent aussi par la rivalité avec son puissant voisin indien. Le barrage pakistanais est en effet situé au Cachemire, dans des zones revendiquées par l’Inde. Malgré de nombreuses tentatives depuis une quinzaine d’années, Islamabad n’a jamais trouvé les fonds nécessaires auprès de la Banque mondiale ou de la Banque asiatique de développement, qui craignent de se trouver mêlées au conflit. La Chine, soucieuse d’asseoir sa présence dans la région face à l’Inde, a au contraire sauté sur l’occasion. Une bonne partie du « corridor économique sino-pakistanais » traverse des zones disputées.
Sujet sensible
Au Népal aussi, la Chine avance ses pions grâce à sa diplomatie du béton. « L’Inde a la main sur les ressources en eau népalaises depuis longtemps, et elle ne tient pas à ce que la Chine vienne la concurrencer dans ce secteur. Il se peut donc que ce nouvel échec soit le résultat d’une intervention indienne auprès de Katmandou », avance M. Colin.
De fait, la remise en cause du projet fait suite à un changement de majorité parlementaire, en juin. Les communistes alliés aux maoïstes pro-chinois ont cédé le pouvoir au Parti du congrès népalais, plus favorable à l’Inde. Les communistes népalais ont d’ailleurs promis de mener à bien le projet de barrage chinois s’ils revenaient au pouvoir lors des élections qui se tiennent entre le 26 novembre et le 7 décembre.
De son côté, la Chine n’a pas réagi officiellement. Le sujet y est sensible. Sur cinq chercheurs contactés par Le Monde, aucun n’a souhaité s’exprimer. L’un d’eux a même indiqué avoir regretté d’avoir accordé un précédent entretien sur le sujet, et précisé qu’il ne pouvait pas parler tant qu’aucune réaction officielle n’était publiée.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)