Avis de tempête pour la maison mère d’Hainan Airlines : le groupe chinois actionnaire de la Deutsche Bank et des Hôtels Hilton, peine à rembourser ses dettes. Pour honorer des échéances à court terme, HNA chercherait à vendre de toute urgence des actifs pour 6 milliards de dollars (5 milliards d’euros), rapportait le Wall Street Journal dans son édition du 18 décembre. Parti de l’aviation et du tourisme, le groupe installé dans le sud de la Chine, fonctionne aujourd’hui plus comme un fonds d’investissement, présent à travers des secteurs aussi variés que l’hôtellerie, la logistique, la finance, le stockage de pétrole ou le cloud computing. Depuis 2015, HNA a enchaîné les investissements à l’étranger pour un total de 40 milliards de dollars, amassant une dette totale de 100 milliards de dollars, pour 178 milliards d’actifs au total, d’après le groupe. Au point de s’attirer les foudres de Pékin, qui a rappelé à l’ordre plusieurs groupes chinois en juin dernier.
Vendredi 15 décembre, la banque chinoise Citic exprimait « son inquiétude » dans un communiqué, indiquant que le conglomérat se trouvait face à des « difficultés de liquidités temporaires », parce qu’il devait rembourser des dettes auprès de plusieurs institutions financières en même temps. Fin novembre, l’agence de notation Standards & Poors a abaissé la note d’HNA de B + à B. Pour les filiales de HNA, les taux d’emprunts ont grimpé sur le marché obligataire chinois ces dernières semaines parfois jusqu’à 9 %.
En réaction, plusieurs filiales d’HNA ont annulé des levées de fonds pour échapper aux taux prohibitifs. Tianjin Airlines co. a été la troisième dans ce cas-là mardi 19 décembre. L’entreprise a renoncé à lever un milliard de yuans pour une période de 270 jours. Elle met en cause les « fluctuations du marché », mais affirme que sa situation financière est parfaitement saine. Même défense pour la maison mère, dont le directeur du conseil d’administration Zhao Quan multiplie les interviews pour tenter de rassurer. Mais comme pointe Bloomberg, qui l’a rencontré, les communicants de l’entreprise sont beaucoup moins bavards quand il s’agit de fournir des éléments solides pour prouver les assertions de leur patron.
Interdit de prêts
En juin, HNA avait été rappelé à l’ordre, aux côtés de trois autres groupes qui multipliaient les investissements à plusieurs milliards. Leur tort : avoir multiplié les acquisitions à l’étranger dans l’immobilier, le divertissement, le sport, accumulant une dette faramineuse. A eux quatre, ils avaient dépensé 83 milliards de dollars à l’étranger depuis 2013, dont presque la moitié pour HNA. Pour les autorités chinoises, cet endettement mettait en danger la stabilité financière du pays. Le régulateur bancaire a ordonné aux banques d’Etat qui les financent de mener un audit approfondi de leur solvabilité.
Anbang, un assureur aux pratiques particulièrement agressives, s’est carrément vu interdit de prêts. Son patron a été arrêté début juin. Wanda, le promoteur immobilier qui rêvait de faire de l’ombre à Disney en Chine, a dû vendre une partie de ses actifs et son patron, ex-homme le plus riche de Chine, fait désormais profil bas. Fosun, le propriétaire du club Med, également visé, a aussi réduit la voilure. Mais HNA a continué à investir cette année, annonçant des contrats pour un montant cumulé de 12 milliards de dollars en 2017, d’après Dealogic.
Aujourd’hui, HNA cherche à vendre des actifs d’une valeur de 6 milliards de dollars environ, principalement de l’immobilier à Manhattan, Londres, San Francisco, et un centre de loisirs en Polynésie française, d’après des cabinets de fusion-acquisition interrogés par le Wall Street Journal. Mais le groupe pourrait avoir du mal à récupérer l’argent qu’il a investi, parfois il y a à peine un an. Dans sa précipitation, HNA a souvent surpayé pour emporter la mise, à une époque où la monnaie chinoise baissait et où les grands groupes chinois semblaient pressés de sortir leurs capitaux du pays. Le groupe avait par exemple déboursé 3,5 milliards de dollars pour un terrain situé sur l’emplacement de l’ancien aéroport de Hongkong, soit 88 % de plus qu’une précédente estimation. Depuis, le yuan est reparti à la hausse face au dollar.
Sous pression des régulateurs américains
Dernière ombre au tableau, HNA est dans le collimateur des régulateurs américain et allemand, et européen, qui cherchent à en savoir plus sur ses principaux actionnaires. La maison mère n’étant pas cotée en Bourse contrairement à beaucoup de ses filiales, la liste de ses actionnaires n’était pas connue jusqu’à cette année. Sous la pression des régulateurs et des nombreux partenaires du groupe, HNA a tenté de clarifier les choses en juillet, révélant une liste de quinze actionnaires et l’existence d’une fondation installée à New York, qui détient 30 % du groupe.
Mais sans vraiment convaincre : la structure du conglomérat implique un réseau de filiales particulièrement complexe, et la fondation créée en décembre 2016 n’a pour l’instant aucune activité. En septembre, Goldman Sachs et Bank of America Merrill Lynch ont mis fin à leur collaboration avec une filiale faute d’éclaircissements au sujet de ses principaux actionnaires. HSBC aurait aussi des « inquiétudes » quant au groupe d’après le New York Times, alors qu’un cadre de la banque chinoise Bank of Communication a confié au Monde que le sujet était particulièrement « sensible ».
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)