Le Québec solidaire nouveau de l’après fusion avec Option nationale
De parti alternatif de gauche à « pragmatique » parti « progressiste » ?
On avait noté un changement sémantique dans le discours Solidaire lors des négociations menant à la fusion avec Option nationale (ON). Tout en se référant sans cesse à la fondatrice Déclaration de principes, façon élégante de tasser le programme, la direction du parti avait modifié la référence clef de parti de gauche à parti progressiste. On aurait pu croire à une douteuse tactique de négociation. Sauf que ça s’enracine. Dans un communiqué de presse, le Bureau national du parti — autre nouveauté... qui n’existe pas dans les statuts — invite à construire un « pays véritablement progressiste... » [1]. Dans son bilan de fin d’année... parlementaire, le communiqué titre fièrement « un pragmatisme qui bouscule les vieux partis » [2]. Non pas que ce comportement soit nouveau mais l’annoncer à tue-tête, si.
Un observateur futé et averti comme le chroniqueur nationaliste du Devoir Michel David ne s’y est est pas trompé : « Gabriel Nadeau-Dubois (Gouin) demeure un personnage polarisant, mais il n’a pas mis de temps à imprimer sa marque sur Québec solidaire, dont il tente de recentrer le discours tout en ménageant ses « purs et durs ». Dans le dossier de la fusion avec Option nationale, QS a fait preuve d’un pragmatisme qu’on ne lui connaissait pas. » [3] Il semble que finalement Gabriel Nadeau-Dubois — « J’ai pris de la maturité » disait-il à Tout-le-monde-en-parle — ait tiré une leçon pragmatique du Printemps érable de 2012 dont il était le porte-parole principal : renoncer à la gratuité scolaire pour réclamer le statu quo afin de rallier les deux associations modérées aurait été la bonne stratégie. Bilan apparemment conforme au sens commun mais qui ignore la dialectique de la mobilisation élevant rapidement la prise de conscience. C’est la mobilisation de la CLASSE qui a rallié les deux autres associations malgré leurs directions contraintes à suivre le courant. Revendiquer la gratuité scolaire, un acquis de la gauche étudiante que même Jacques Parizeau, chef de file du camp indépendantiste lors du référendum de 1995, a appuyé au cours de la lutte, aurait encore plus mobilisé la base de la CLASSE et donc encore plus entraîné les autres et par là renforcer les soudures du front uni étudiant. Et que dire de l’attraction d’une telle revendication alternative, loin du statu quo néolibéral, pour inviter au dépassement de la lutte étudiante vers la grève sociale.
Le grand argument du pragmatisme — « des propositions concrètes qui ont un impact concret pour les travailleuses et travailleurs » — réduit la politique du parti au social-libéralisme, c’est-à-dire à la réforme du capitalisme néolibéral sans cesse plus inégalitaire et entraînant la civilisation dans le maelstrom de la crise climatique. Ce réformisme, étant donné les actuels rapports de force qui ne sont pas ceux des trente glorieuses (1945-1975), se réduit à des gains marginaux lesquels sont l’équivalent d’une aspirine pour soulager une amputation austéritaire à froid et une chirurgie extractive sans anesthésie. Le mieux que l’on puisse en dire est que cette politique surfe sur les mouvements d’opinion du moment ou parfois sur des luttes en cours afin de les traduire dans l’institution parlementaire. Ce que le PQ sait aussi faire plus sporadiquement, plus tièdement et plus contradictoirement comme par exemple pour le salaire minimum à 15$ et pour le rejet des hydrocarbures. D’où l’attirance de la direction Solidaire vers l’alliance nationaliste malgré son triple rejet par les congrès du parti. Ne restait plus que la porte étroite de la fusion avec Option nationale rendue franchissable pour les membres Solidaire par le discours de ce petit parti purzédur de dénonciation de l’oppression nationale, eu égard en particulier à l’histoire et à la langue, un point faible de Québec solidaire.
Je ne reviens pas sur le processus très peu démocratique de cette fusion s’apparentant davantage à un fait accompli à prendre ou à laisser et pavant la voie à l’indépendantisme de droite basé sur l’insertion d’un Québec extractiviste et concurrentiel dans le marché global et oublieux de ses opprimées [4]. Pointer du doigt que la « réédition », la « réimpression » et le « développement » du « Livre qui fait dire oui » prévu dans « l’entente de principe » signifierait un chamboulement de son contenu au point d’en changer l’orientation droitière est se moquer d’Option nationale, jouer à cache-cache avec le parti et est contraire au discours du nouveau Québec solidaire tel que relaté plus haut. Le contenu de certains chapitres, particulièrement ceux cruciaux concernant l’économie et l’environnement, devraient être réécrits. La mainmise financière surtout hors Québec, complètement passée sous silence — drôle d’indépendantistes ! — devrait trouver une place centrale. Les thématiques du racisme et du sexisme, totalement absentes, devraient être introduites ; la question du droit à l’autodétermination autochtone et inuit, y compris le droit de se détacher du Québec, franchement abordée ; celle de la justice sociale très effacée, passablement renforcée entre autre en ce qui a trait aux services publics.
En définitive, il faudrait dire non au « Livre qui fait dire oui » afin de sauver la lutte de libération nationale du naufrage par sa déconnexion d’avec la lutte d’émancipation sociale [5]. Ce qui reviendrait à renverser l’« entente de principe ». Toute cette affaire de fusion avec un parti à la marge de la marge est somme toute une opération boostée de recentrage programmatique pour gagner une poignée de votes ce qui jusqu’ici ne s’annonce pas. Ne reste plus qu’à faire appel à « une mobilisation volontariste de tous les membres et sympathisant-e-s » [6]— leur faisant ainsi porter par avance le fardeau de l’échec — pour faire oublier et même cacher la raison d’être de toute cette mise en scène : « Le livre qui fait dire oui » n’a jamais été invoqué ni par la direction du parti ni par son flanc gauche. Pendant ce temps a été relégué aux oubliettes médiatiques le débat raté sur la plateforme électorale lors du congrès. D’où la mauvaise humeur des congressistes qui se rendaient compte qu’on leur retirait très consciemment le contrôle du message par une longueur démentielle et sans aucune priorisation de la proposition de plateforme et par un ordre du jour arrangé qui envoyait aux poubelles la discussion de ses chapitres stratégiques.
Si la base militante du parti ne réagit pas à cette dérive qui s’amorce en réclamant un sérieux coup de barre à gauche, entre autre par un retour à la radicalité écologique du congrès du printemps 2016, c’est la péquisation de Québec solidaire qui s’installera à petit feu. C’est une telle radicalité qu’a accueillie dans l’enthousiasme le dernier congrès en applaudissant la délégation de la CUP, l’anticapitaliste parti indépendantiste de la Catalogne. Celui-ci prône « [l]a création d’une puissance financière propre (banque centrale catalane et banque publique) [...], [l]e contrôle des secteurs stratégiques tels que l’énergie, les communications et les transports [...] l’expropriation sans compensation pour des raisons d’intérêt général de tout le parc des habitations vides appartenant aux banques et grands propriétaires... » [7]. Loin de se limiter aux urnes, la CUP est impliquée queue par dessus tête dans les
« comités de de la République » qui ont sauvé le référendum du 1er octobre de la répression et qui ont assuré le succès des blocages du 3 octobre.
Marc Bonhomme, 14 décembre 2017
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