10 janvier : « Le Monde », Nouvelle poussée de fièvre sociale en Tunisie
Un homme est mort lors de heurts avec la police à l’occasion de manifestations contre l’austérité. Plus de 200 personnes ont été arrêtées dans tout le pays.
Par Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)
La Tunisie est entrée dans une phase de turbulences sociales. Dans plusieurs villes du pays et dans certains quartiers de Tunis, des heurts ont opposé manifestants et forces de l’ordre, mardi 9 janvier, pour la deuxième journée consécutive.
Un homme a été tué lundi à Tebourba, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, en marge d’un rassemblement contre la vie chère, alors que grandit une grogne générale contre le budget d’austérité adopté fin 2017. Et selon le porte-parole du ministère de l’intérieur, Khlifa Chibani, plus de 200 personnes ont été arrêtées dans tout le pays et près de 50 policiers ont été blessés lors des affrontements.
Les manifestations, émaillées dans certains cas de scènes de pillage de magasins, surviennent dans un contexte social dégradé, où le rebond de l’inflation – 6,4 % en glissement annuel – ajoute aux effets délétères d’un taux de chômage de 15 % (30 % pour la catégorie des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur).
Sept ans après la révolution de 2011, qui avait renversé la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali, la stagnation socio-économique est l’envers du décor d’une transition démocratique qui avait valu à la Tunisie un certain prestige à l’étranger.
L’agitation sociale, notamment dans les régions de l’intérieur – historiquement défavorisées par rapport au littoral –, est récurrente, comme l’avaient illustré les poussées de fièvre de janvier 2016 ou du printemps 2017.
La rapidité de la contagion de ces derniers jours présente toutefois un caractère nouveau. Les troubles ont touché quasiment simultanément des quartiers de Tunis – Ettadhamen, Al-Ouardia – des localités proches de la capitale (Tebourba), des gouvernorats de l’intérieur (Kasserine, Sidi Bouzid, Gafsa) et même des villes du littoral (Gabès, Nabeul). La police a procédé à plusieurs dizaines d’arrestations.
Volatilité politique
Ces secousses mettent rudement sous pression le gouvernement de Youssef Chahed, nommé en août 2016, dont la marge de manœuvre s’avère limitée. Sur le plan politique, le premier ministre n’est que mollement soutenu par son parti, Nidaa Tounès, la formation dite « moderniste » alliée aux islamistes d’Ennahda dans la coalition gouvernementale. M. Chahed, placé à la tête du gouvernement par le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, a irrité nombre de ses amis en raison des ambitions présidentielles qui lui sont prêtées.
En quête de nouveaux soutiens, il a noué une relation de travail privilégiée avec l’Union générale du travail tunisien (UGTT), le principal syndicat du pays. Ce lien ne lui est toutefois guère utile pour apaiser l’actuelle tension sociale, car nombre de protestataires ne sont affiliés à aucune organisation syndicale.
La perspective des élections municipales prévues en mai, premier scrutin local depuis 2011, devrait ajouter à la volatilité du paysage politique en attisant de nouvelles concurrences, y compris au sein de la coalition gouvernementale.
M. Chahed voit en outre sa latitude bornée par des indicateurs financiers au rouge. Alors que dérivent le déficit budgétaire (6,1 % du PIB) et la dette publique, qui frôle les 70 % du PIB, le gouvernement s’est résolu à aggraver la ponction fiscale, en particulier en relevant la TVA. Ajouté à l’inflation nourrie par la dépréciation du dinar, qui a perdu le quart de sa valeur par rapport à l’euro en deux ans, ce relèvement de la fiscalité indirecte s’est révélé socialement périlleux en pesant lourdement sur le pouvoir d’achat.
10 janvier : « Libération » - Protestations en Tunisie, un « ras-le-bol généralisé »
Plus de 200 personnes ont été arrêtées et des dizaines blessées lors d’une nouvelle nuit de troubles à travers la Tunisie, alimentés par une grogne sociale persistante et de récentes mesures d’austérité.
Par Hala Kodmani
Protestations en Tunisie : un « ras-le-bol généralisé »
« Janvier doit être considéré comme un mois d’été en Tunisie tant les rues s’échauffent. » Le commentaire d’un internaute à propos des manifestations qui s’étendent depuis quelques jours à travers le pays rappelle irrésistiblement le début de l’année 2011. Faisant écho au célèbre mot d’ordre du « Printemps arabe » parti de Tunisie, « le peuple veut la chute du régime », les manifestants ont scandé cette fois « le peuple veut la chute du budget ».
Sept ans après la chute du régime de Ben Ali, la contestation lancée la semaine dernière vise très précisément la hausse des prix et un budget d’austérité entré en vigueur le 1er janvier, prévoyant des augmentations d’impôts. Elle a dégénéré en émeutes dans la nuit de lundi à mardi, notamment à Tunis et à Tebourba, à l’ouest de la capitale, où des heurts ont éclaté après la mort d’un homme durant une manifestation. Plus de 200 personnes ont été arrêtées et des dizaines blessées lors d’une nouvelle nuit de troubles à travers la Tunisie, alimentés par une grogne sociale persistante.
« Aucune lumière au bout du tunnel »
« C’est l’expression du ras-le-bol généralisé de la jeunesse, des étudiants, des chômeurs face à leur marginalisation en raison de la mauvaise gestion des ressources du pays », explique Henda Chennaoui, l’une des porte-parole de la campagne « Fech Nestannew » (« Qu’est-ce qu’on attend ? » en dialecte tunisien), qui a appelé à la protestation depuis le 3 janvier.
La militante tunisoise de 34 ans, journaliste indépendante, jointe par téléphone, rappelle que des manifestations se produisent tous les ans depuis 2011 pour célébrer l’anniversaire de la révolution du jasmin.
Si le mouvement a pris une telle ampleur cette année c’est parce que la majorité de la population est touchée par la crise économique, l’augmentation des prix et la chute continue du pouvoir d’achat. « Les gens ne voient aucune lumière au bout du tunnel et les promesses ne se concrétisent pas depuis sept ans », affirme Henda Chennaoui en insistant sur « le caractère pacifique d’un mouvement citoyen qui traduit l’impatience des jeunes Tunisiens d’avoir leur part de démocratie ».
Les contestataires réclament une révision de la loi de finances, qui a augmenté la TVA et créé différentes autres taxes, ainsi qu’une meilleure couverture sociale pour les familles en difficulté et un plan de lutte contre la corruption.
La « campagne » est totalement indépendante des partis politiques, assurent les militants de Fech Nestannew, même si l’opposition soutient les revendications de la société civile.
L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le puissant syndicat, n’a pas pris officiellement position puisque, en tant qu’acteur du dialogue national, il est le partenaire du gouvernement. Mais des sections et certains militants locaux ont adhéré à la protestation. Reconnaissant la légitimité des revendications de nombreux jeunes sans emploi, la centrale a appelé à « protester de manière pacifique pour ne pas être utilisé par des parties qui ne veulent pas le bien de notre expérience démocratique naissante. »
« Rien à perdre »
Face à cette nouvelle mobilisation des jeunes Tunisiens, « le gouvernement est revenu à ses vieux réflexes de traiter les manifestants de terroristes et de pilleurs », juge Henda Chennaoui. Les batailles font rage sur les réseaux sociaux massivement suivis par les Tunisiens. Aux campagnes de protestation, le ministère de l’Intérieur a répondu par un hashtag : « Ne détruis pas ton pays, la Tunisie a besoin de toi. »
Pouvoir et contestataires s’accusent mutuellement des débordements de violence et des pillages des deux derniers jours. « Le terrorisme véritable est celui qui affame la population », dit un protestataire sur les réseaux sociaux.
« On n’a rien à perdre », répète Henda Chennaoui, comme les autres jeunes manifestants tunisiens, alors que les militants de la campagne « Fech Nestannew » ont appelé à manifester massivement vendredi à travers tout le pays.
Mise à jour du 11 janvier
11 janvier : En Tunisie, la contestation populaire ne diminue pas
Des heurts ont éclaté mercredi soir entre manifestants et policiers dans plusieurs villes, au troisième jour de manifestations alimentées par l’austérité.
Au troisième jour d’une contestation alimentée par des mesures d’austérité, la tension ne diminue pas en Tunisie. De nouveaux heurts ont éclaté dans la soirée du mercredi 10 janvier entre manifestants et policiers dans plusieurs villes.
Depuis lundi, des troubles sociaux ont été enregistrés dans le pays, sept ans après le début du « printemps arabe » avec une révolution qui réclamait travailet dignité et avait fait tomber le dictateur Zine El-Abidine Ben Ali.
Déjà la semaine dernière, des manifestations pacifiques sporadiques avaient dénoncé la hausse des prix et un budget d’austérité prévoyant entre autres des augmentations d’impôts.
– A Siliana, au nord-ouest du pays, des jeunes ont jeté mercredi soir des pierres et des cocktails Molotov sur des agents sécuritaires et tenté de s’introduire dans un tribunal dans le centre de cette ville. La police a riposté par des tirs de lacrymogènes.
– Des échauffourées ont de nouveau eu lieu à Kasserine, dans le centre défavorisé du pays où des jeunes de moins de 20 ans tentaient de bloquer les routes avec des pneus en feu et jetaient des pierres sur des agents sécuritaires.
– Plusieurs dizaines de manifestants sont aussi descendus dans la rue à Tebourba, à 30 km à l’ouest de Tunis où a été enterré, mardi, l’homme mort lors de heurts dans la nuit de lundi. La police a riposté par des tirs massifs de lacrymogènes.
– Selon des médias locaux, des scènes similaires ont eu lieu dans des quartiers près de la capitale - 237 personnes arrêtées
Lors d’une visite mercredi à El-Battan, près de Tebourba, le premier ministre, Youssef Chahed, a condamné les actes de « vandalisme » qui, selon lui, « servent les intérêts des réseaux de corruption pour affaiblir l’Etat ». Il a accusé le Front populaire, un parti de gauche opposé au budget.
Dans la nuit de mardi à mercredi, 49 policiers ont été blessés, 237 personnes arrêtées et des fourrières ont été attaquées, a rapporté le ministère de l’intérieur en accusant des casseurs d’avoir été payés par des meneurs politiques. Aucun bilan d’éventuels blessés parmi les protestataires n’a pu êtreobtenu auprès des autorités.
L’armée a été déployée autour de banques, bureaux de poste et autres bâtiments gouvernementaux sensibles dans les principales villes du pays, a fait savoir le ministère de la défense.
Si la Tunisie, unique pays rescapé du printemps arabe, est parvenue jusque-là à faire avancer sa transition démocratique, elle reste engluée dans la morosité économique et sociale.
11 janvier : La contestation alimentée par les mesures d’austérité ne cesse pas
http://www.rfi.fr/afrique/20180111-tunisie-manifestation-hausse-prix-social-austerite-inflation-chomage
En Tunisie, les manifestations contre la hausse des prix et l’austérité ne faiblissent pas. Ces protestations ont lieu dans tout le pays. Elles visent en particulier la nouvelle loi de finances, qui vient s’ajouter à une inflation de plus de 6% en 2017 et à un taux de chômage qui dépasse les 15%. Et cette nuit, pour la troisième nuit consécutive, les manifestations ont dégénéré en affrontements.
Jets de pierre et cocktails Molotov côté manifestants, gaz lacrymogènes côté forces de l’ordre. Plusieurs manifestations, qui avaient débuté pacifiquement dans l’après-midi ont tourné aux affrontements violents pendant la nuit, notamment à Tebourba, à une trentaine de kilomètres de Tunis. C’est dans cette ville qu’un homme de 43 ans a trouvé la mort lundi lors des manifestations.
Dans la cité Ibn Khaldoun, un quartier de Tunis, des affrontements ont duré une partie de la nuit. Youssef habite près du centre commercial que des jeunes avaient pris pour cible, avant d’être repoussés par la police : « Hier quand je suis rentré chez moi le soir, j’ai commencé à pleurer à cause des gaz lacrymogènes ». Fatma, elle, ne cache pas ses craintes face à ces regains de violence : « La situation actuelle de notre pays ne supporte pas une deuxième révolution. Cela fait peur. Il y a des risques, car la sécurité est en péril dans notre pays ». Ahmed est resté tard dans la rue pour dire sa colère de voir son niveau de vie fondre d’année en année : « Le niveau de vie en Tunisie, c’est trop cher. C’est une catastrophe. Il y a deux niveaux, les riches et les pauvres. Il n’y a pas de moyenne classe ».
Le ministère de l’Intérieur a annoncé que 70 policiers avaient blessés lors des heurts. Des pillages de supermarchés ont été signalés, ainsi que l’attaque d’un poste de police à Thala dans le centre du pays. Et, face à cette situation les autorités réagissent très fermement. 565 personnes ont déjà été arrêtées. L’armée a été déployée autour de bâtiments gouvernementaux sensibles dans les grandes villes du pays.
Les protestations ne devraient pas faiblir
Le Premier ministre, Youssef Chahed, a déclaré que la loi serait appliquée fermement contre les casseurs. Les bâtiments publics, les magasins généraux, postes de police sont clairement des cibles de ces manifestants casseurs nocturnes.
Il a également accusé des partis de gauche et des réseaux mafieux d’être derrière les violences.
Le mouvement Fech Nestannew (Qu’est-ce qu’on attend), un réseau de jeunes activistes à l’origine des manifestations, a pourtant appelé à manifester pacifiquement.
Par ailleurs plusieurs militants ont fait remarquer que les déclarations du gouvernement étaient très semblables aux arguments utilisés à l’époque de la révolution par le régime de Ben Ali pour discréditer les protestataires. Alors, y aura-t-il une nouvelle révolution ? Certains observateurs s’interrogent. La situation économique et sociale, qui était au cœur des revendications en 2011, ne s’est pas améliorée, bien au contraire. Le taux de chômage est aujourd’hui de plus de 15% en Tunisie. L’inflation a atteint 6,4% l’an dernier et la nouvelle loi de Finances est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Pourtant Amin, comme nombre d’habitants, est persuadé que les rassemblements violents sont attisés par des responsables politiques ou économiques : « Il y a des gens qui aimeraient voir un petit peu un petit chaos dans ce pays franchement. Je vous donne juste pour la petite remarque, on a quand même la loi de finances qui est tombée le 30, et le 31 au soir, ça a commencé. Donc cela ne peut pas être aussi spontané que ça, honnêtement ».
Difficile de prédire l’avenir
Mais il est difficile de prédire l’avenir : ce n’est pas la première fois qu’on assiste à de telles flambées de colère. Traditionnellement, le mois de janvier est celui des mouvements sociaux en Tunisie. Et les protestations ne devraient pas faiblir dans les prochains jours : une importante manifestation est prévue vendredi 12 janvier à Tunis. Une autre doit avoir lieu dimanche, le 14 janvier, jour du septième anniversaire de la révolution, à l’appel notamment de l’UGTT, la principale centrale syndicale du pays. Chaque année aussi, depuis quatre ans maintenant, la grogne s’amplifie à l’approche de l’anniversaire de la révolution du Jasmin dont nous fêterons la septième édition dimanche prochain.
11 janvier : La Tunisie, au bord de l’implosion ?
Alors que les manifestations de protestation contre la vie chère se multiplient dans le pays, le spectre de la révolution de 2011 n’est pas bien loin.
http://afrique.lepoint.fr/actualites/la-tunisie-au-bord-de-l-implosion-11-01-2018-2185867_2365.php
Depuis la chute de Ben Ali, il y a sept ans, et la période de transition démocratique qui a suivi, la Tunisie vit au rythme de mobilisations sociales et de grèves. Le mois de janvier est traditionnellement une période de mobilisation sociale en Tunisie, où le contexte est particulièrement tendu cette année en raison de hausses de prix, et des élections municipales – les premières de l’après-révolution – prévues en mai.
Mais depuis lundi 8 janvier, la question sociale est revenue comme un boomerang. À l’origine des mouvements : une campagne appelée Fech Nestannew (Qu’est-ce qu’on attend ?). Et le risque qu’elles débouchent sur une crise politique est bien réel.
Comment expliquer cette colère de la population ?
La nouvelle loi de finances votée en décembre et appliquée depuis le 1er janvier augmente la TVA d’un point et ajoute de nouvelles taxes sur plusieurs catégories de produits. L’inflation y atteint des records. Officiellement 6,4 % en 2017.
Le taux de chômage est quand à lui de 15,3 % sans compter la récente chute du dinar. Pour le gouvernement, ce budget d’austérité est nécessaire alors que le pays est en difficulté financière. Une situation intenable qui ne fait qu’augmenter la pression sur la population. Les pillages et autres lynchages se multiplient alors que la violence secoue le pays.
Qu’est-ce qui va vraiment changer pour le quotidien des Tunisiens ?
Plusieurs produits et biens de consommation sont concernés par une hausse des prix entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2018 :
hausse du chocolat et des biscuits de 8 %,
alcools + 28 %,
parfums et produits de beauté + 26 %,
montres + 51 %,
voitures de + 4,3 % à + 12 %...
Le gasoil a augmenté de 2,85 %.
L’UGTT a estimé par exemple que la hausse des prix de nombreux produits est « artificielle et frauduleuse », telle la hausse du prix du sucre, appelant le gouvernement à honorer ses engagements et s’abstenant de relever les prix des produits de première nécessité conformément à l’accord gouvernemental en vigueur avec l’UGTT.
Qui mènent les contestations ?
Le mouvement de contestation contre la hausse des prix a été lancé en début d’année par la campagne « Fech Nestannew ». Ses militants ont appelé à un nouveau rassemblement vendredi. Ils réclament une révision de la loi de finances 2018.
À côté, la puissante centrale syndicale UGTT a quant à elle appelé à un rassemblement dimanche 14 janvier à Tunis, date du 7e anniversaire de la chute du régime de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali en 2011. Ils sont d’ores et déjà rejoints par le Front populaire, le parti Al-Jomhouri, l’Union générale de étudiants de Tunisie, le Parti des patriotes démocrates unifié (PPDU), le Forum national progressiste, l’Union des diplômés chômeurs, la campagne « Mouch Ala Kifek », l’Association Khadra de défense des ressources naturelles, l’Association Horra, l’Association Moussawat et le parti Mouvement du travail.
Comment réagissent les autorités ?
Le gouvernement s’est jusque-là montré ferme, condamnant le « vandalisme » et accusant les manifestants d’être manipulés par l’opposition. La Tunisie est sous état d’urgence depuis plus de deux ans - une mesure prise après une série d’attaques djihadistes – et les forces de l’ordre disposent de pouvoirs d’exception. « Afin d’améliorer le pouvoir d’achat des citoyens », le syndicat patronal Utica a annoncé avoir avancé la date des soldes de 10 jours, au 20 janvier, en consultation avec le ministère du Commerce.
Comment ces contestations peuvent-elles se traduire sur le plan politique ?
Enfin ces contestations sont l’illustration parfaite du manque de confiance des Tunisiens en leur classe politique. Avec d’un côté une coalition gouvernementale qui n’arrive pas à se mettre d’accord, et une opposition complètement atone, qui ne peut plus mobiliser comme elle l’a fait par le passé. Tout simplement parce qu’elle ne propose plus d’alternative en plus d’avoir voté en grande majorité (Front populaire et Attayyar démocratique) la loi de Finances 2018, au nom d’un intérêt national, qui semble ne pas passer.
Quel est le bilan après une semaine de manifestations ?
Des heurts ont eu lieu pour une troisième nuit consécutive entre forces de l’ordre et jeunes dans plusieurs villes de Tunisie, où plus de 600 personnes ont été arrêtées depuis lundi, a indiqué jeudi le ministère de l’Intérieur. Depuis lundi, les troubles se déroulent essentiellement le soir et la nuit. Quelques manifestations pacifiques ont par ailleurs lieu de jour.
Jeudi midi, plusieurs dizaines de chômeurs se sont rassemblés dans le centre de Sidi Bouzid, ville pauvre du centre du pays d’où était parti le soulèvement de fin 2010, selon un correspondant de l’AFP.
Les pillages et émeutes nocturnes ont obligé l’armée à se déployer autour de nombreuses banques, sièges des impôts et autres bâtiments sensibles. Cela porte à plus de 600 le nombre de personnes interpellées depuis lundi. Mardi, 237 personnes avaient déjà été arrêtées, et 44 la veille, selon la même source.
Comment réagit la communauté internationale ?
À mesure que les manifestations se propagent avec violences, quelques pays commencent à donner des consignes à leurs citoyens installés sur place. « En ce début d’année, et depuis quelques jours, la Tunisie connaît, dans différents centres urbains, des mouvements sociaux qui sont susceptibles d’avoir des répercussions indirectes sur des tiers : occupation, voire blocage, des axes de circulation, groupes qui s’en prennent à des commerces ou à des bâtiments publics », avertissent l’ambassade et le consulat général de France par mail. Tout comme le gouvernement canadien, qui a émis une alerte pour prévenir des risques de troubles dans plusieurs villes de Tunisie.
13 janvier : le pouvoir cherche à reprendre la main face à la grogne sociale
A Tunis, le gouvernement a annoncé des mesures en faveur des familles modestes dans l’espoir de désamorcer l’agitation sociale contre la vie chère.
Le gouvernement tunisien a annoncé samedi 13 janvier une série de mesures, dont l’augmentation des allocations sociales, après une semaine de contestations marquées par des heurts et à la veille du septième anniversaire de la révolution.
Selon ce plan d’action, l’allocation sociale en faveur des familles nécessiteuses passe de 150 dinars (50 euros) à 180 et 210 dinars (60 et 70 euros) en fonction du nombre d’enfants, soit une augmentation d’au moins 20 %, a indiqué à la presse le ministre des affaires sociales, Mohamed Trabelsi.
Selon une source gouvernementale, le plan prévoit également que l’Etat puisse se porter garant pour 500 000 familles aux revenus instables afin qu’elles puissent obtenir un prêt auprès de la banque pour se loger.
Ce plan aide les familles nécessiteuses à « l’acquisition d’un logement adéquat », a assuré M. Trabelsi. Il « garantit une couverture médicale pour tous les Tunisiens sans exception », a-t-il également soutenu, sans plus de développements.
La procédure « va toucher plus de 120 000 bénéficiaires [pour] un coût dépassant 70 millions de dinars (23,5 millions d’euros) », a-t-il souligné.
Une source gouvernementale a précisé que ces mesures seraient appliquées dès cette année.
Reprendre la main
L’exécutif tunisien s’efforce de reprendre la main à la veille du 7e anniversaire de la chute de la dictature de Ben Ali, qui offrira l’occasion aux animateurs du mouvement social contre la vie chère de redescendre dans la rue.
Depuis le 8 janvier, la Tunisie est en proie à une vigoureuse agitation ciblant l’augmentation du coût de la vie, conséquence d’une loi de finances ayant programmé une hausse de la fiscalité indirecte afin d’enrayer la dérive des déficits publics.
En fin de semaine, la violence qui avait émaillé certains attroupements nocturnes, à Tunis comme dans certaines localités de l’arrière-pays, a connu un net reflux.
Mais la pression de la rue continuera néanmoins de se faire sentir, comme devraient l’illustrer dimanche les rassemblements auxquels se joindra l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui était jusqu’à présent resté en marge du mouvement.
Réunion à Carthage
Samedi, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a réuni à Carthage, banlieue située au nord de Tunis, les partenaires (partis politiques, syndicats…) de l’« accord de Carthage ». Ce document, signé sous son égide à l’été 2016, avait pour but d’élargir le consensus autour de l’action gouvernementale.
La relation entre le premier ministre tunisien Youssef Chahed et M. Essebsi est malaisée, tout comme est conflictuel son lien avec le parti dominant la coalition gouvernementale, Nidaa Tounès, dirigé par Hafedh Caïd Essebsi, le propre fils du chef de l’Etat.
Selon plusieurs observateurs, Nidaa Tounès pourrait tenter de profiterde l’occasion pour chercher à mettre sous tutelle M. Chahed, ce dernier étant parvenu jusqu’à présent à conserver son autonomie d’action par rapport à ce parti dont il est issu.
Le président de la République, qui est cœur du jeu politique tunisien, va donc essayer de remettre en ordre de bataille son camp – il est le fondateur de Nidaa Tounès – tout en conservant une relation de travail fonctionnelle avec les autres partis membres de la coalition gouvernementale, au premier rang desquels le parti islamiste Ennahda.
La force de M. Chahed tient toutefois dans sa relative popularité. De larges factions de l’opinion publique ont soutenu la campagne anticorruption lancée au printemps 2017. Certains proches du chef du gouvernement vont même jusqu’à sous-entendre que l’agitation sociale actuelle est orchestrée en coulisse par des réseaux mafieux, affaiblis par l’offensive gouvernementale. « Il est clair que le gouvernement est ciblé à cause de sa guerre contre la corruption », avance une source gouvernementale.
Nous tenons à l’actuelle stabilité politique
Dans les dernières semaines, M. Chahed a dû faire montre d’une plus grande modestie dans l’affichage de ses ambitions politiques ; ce qui semble avoir détendu sa relation avec le chef de l’Etat – lequel n’a pas exclu de se présenter à sa propre succession, en 2019.
Mais la tension reste vive avec Nidaa Tounès. Dans ce jeu de rivalités, Nidaa Tounès a pu compter sur le soutien passif du parti islamiste Ennahda, son principal allié au sein de la coalition au pouvoir.
Ennemis irréductibles entre 2011 et 2014, les deux formations se sont spectaculairement réconciliées à partir de 2014 sur la base d’un projet de cogérance du pays.
Cette entente cordiale est toutefois sous pression, en raison notamment de l’affaiblissement continu de Nidaa Tounès, plongé dans la crise interne depuis la conquête du parti par Hafedh Caïd Essebsi, le fils du président.
En outre, la réconciliation avec les islamistes a été mal comprise par la base électorale du parti.
Afin de remobiliser ses troupes dans la perspective des élections municipales prévues en mai, Nidaa Tounès affiche désormais la volonté de prendre ses distances avec Ennahda. Mais la coalition gouvernementale étant maintenue entre les deux formations, il n’est pas sûr que cette nouvelle option tactique fasse la différence et permette à Nidaa Tounès de reconquérir le terrain perdu.
Un contexte politique qui met en difficulté le chef du gouvernement, confronté à sa plus grave crise depuis sa nomination, en septembre 2016. M. Chahed doit louvoyer entre une rue en colère et les faux amis de son camp.
Il a pu compter jusqu’à présent sur la compréhension de l’UGTT avec laquelle il a établi une relation de travail fructueuse. « Il a bénéficié de notre soutien silencieux », admet un cadre de l’Union générale tunisienne du travail, qui souligne la chute du nombre de grèves ces derniers mois, indicatrice de la bonne volonté du syndicat. « Les adversaires de Chahed veulent déstabiliser le gouvernement, ajoute-t-il. Mais nous tenons à l’actuelle stabilité politique. »
L’UGTT devrait entrer en lice ces prochains jours sur le front social, mais pour mieux l’encadrer. Comme souvent dans l’histoire de la Tunisie contemporaine, le jeu de bascule de l’UGTT se révèle souvent déterminant pour conforter ou fragiliser le pouvoir.