Cet accident est venu mettre en lumière une fois de plus – car ce n’est pas la première fois que des mineurs périssent dans des trous de mines artisanaux qui manquent de toute infrastructure de sécurité et de protection – les conditions précaires dans lesquels les mineurs extraient le charbon depuis que la société de charbonnage a fermé en 1998. C’est d’ailleurs une ville où existaient jusqu’à la fin des années 1990 de fortes traditions syndicales.
La population, fortement affectée depuis cette époque par le chômage et déjà remontée contre la hausse récente des montants des factures d’eau et d’électricité, ainsi que contre l’abandon des anciens mineurs souffrant de silicose, s’est immédiatement mobilisée. Elle a empêché que les autorités procèdent à l’enterrement à la va-vite des deux corps et exprime son exaspération devant l’absence de politiques publiques de reconversion de l’activité économique de la ville par des mobilisations qui se succèdent depuis la date du 22 décembre 2017.
Les forces de répression ont tenté dans un premier temps d’éteindre le mouvement par la matraque, mais elles ont reculé, craignant que ne se cristallise à Jerada un nouveau « hirak » (mouvement), à l’image de celui qui prévaut à Al Hoceima, dans le Rif, depuis maintenant 14 mois, sans que l’état de siège ni les arrestations et condamnations par centaines ne parviennent à l’éteindre . Les manifestants de Jerada ont d’ailleurs mis la revendication de la libération des prisonniers du Rif en tête du cahier revendicatif qu’ils ont élaboré depuis le début de cette mobilisation qui ne faiblit pas, plus de 15 jours maintenant après l’accident. Le vendredi 29 décembre une grève générale a paralysé cette ville de plus de 40 000 habitants, les commerçants ont baissé leurs rideaux et des milliers de manifestants sont sortis dans les rues, tandis que les habitants de villages voisins se joignaient à la mobilisation, marquant ainsi une extension du mouvement.
Le gouvernement a alors dépêché une délégation ministérielle, avec à sa tête le Ministre de l’énergie et des mines, afin de tenter de désamorcer le mouvement en lui proposant de vagues promesses. Mais cela n’a pas suffi à calmer les manifestants.
Ce dimanche 7 janvier 2018, malgré le froid et la pluie, des milliers de manifestants ont à nouveau envahi les rues, organisant un bruyant concert de casseroles. Une façon d’avertir les autorités qu’ils ne se contenteront pas de vagues promesses, mais exigent des propositions concrètes, dûment actées dans des PV. Aux revendications concernant l’emploi, la baisse des tarifs d’eau et d’électricité, le renforcement des infrastructures sanitaires et médicales, s’ajoute maintenant la revendication de transparence et du principe de réddition des comptes, et une remise en cause du modèle économique en vigueur au profit d’un modèle alternatif à élaborer avec les habitants.
On voit donc qu’au-delà de l’émotion provoquée par la mort de deux jeunes mineurs, c’est un processus en profondeur qui est en train de se mettre en route à Jerada, profondément inspiré par le Hirak du Rif, mais trouvant ses propres formes de lutte, d’organisation, ses propres slogans et ses propres revendications.
Après la mort du poissonnier d’Al Hoceima, le drame des femmes mortes piétinées, dans la province d’Essaouira, lors d’une distribution de paniers de nourriture, les mobilisations de Zagora, ville restée sans eau du fait de l’accaparement des terres et de l’eau par les centrales solaires, le business touristique et l’agrobusiness, c’est maintenant au tour de Jerada de se soulever. Les manifestants ont appelé leur mouvement « Hirak », reprenant le terme utilisé à Al Hoceima, montrant par là la continuité des luttes qui éclatent dans différentes régions du Maroc.
Alors qu’une poignée de Marocains concentrent en leurs mains les richesses du pays, qu’un paradis fiscal s’est installé au cœur de Casablanca et que les investisseurs marocains partent à l’assaut du continent africain, à la recherche de nouvelles niches de profit, la population marocaine marginalisée et paupérisée, exprime maintenant au grand jour ses souffrances et son exaspération. Et indique clairement aux autorités qu’elle ne se contentera plus de promesses et de mesures cosmétiques. Les problèmes sont structurels et seuls des changements structurels peuvent permettre de répondre aux aspirations du peuple.
Nora Al Manzal