Du 16 au 19 novembre 2006 s’est tenue à Beyrouth une rencontre internationale de soutien à la résistance Libanaise. L’idée d’une telle rencontre avait été émise par les forces engagées dans la résistance libanaise et les délégations internationales qui se sont rendues à Beyrouth sous les bombardements israéliens. L’agression israélienne commandée par l’administration américaine avec le but d’« éradiquer » le Hezbollah n’a pas atteint les objectifs souhaités. Au contraire l’ampleur de la résistance armée d’une part et celle non moindre de la population libanaise ont revivifié l’idée même de la résistance dans la région, mais aussi dans le monde.
Ce qui s’exprime par une guerre directe dans la région, s’exprime par une guerre sociale, économique et culturelle dans des environnements politiques pacifiés et la nécessité de faire face est donc commune entre les forces de la résistance au Moyen-Orient et les forces qui luttent contre les ravages de la mondialisation ailleurs. Encore faut-il qu’il y ait des ponts et un dialogue entre certains mouvements qui paraissent au commun comme antinomiques et qui aujourd’hui sont dans la nécessité de construire ensemble.
Si aller à Beyrouth pour rencontrer le Parti Communiste Libanais était tout à fait normal pour un quelconque parti communiste, où un quelconque mouvement de gauche, la normalité peut devenir de l’agacement quand il s’agira de participer à une rencontre organisée par le Hezbollah conjointement avec le Parti Communiste Libanais, et d’autres forces de la gauche libanaise. Voilà l’un des objectifs majeurs de cette rencontre : faire dialoguer des mouvements de gauches internationaux avec des mouvements islamiques engagés dans une lutte de libération.
Sur ce premier objectif, nous ne pouvons que constater le nombre, la diversité des participants et leur enthousiasme dans les séances de travail. Ainsi plus 300 délégué-e-s représentant divers partis de gauches, de mouvement sociaux, d’associations et média, ont fait le déplacement depuis l’Amérique Latine, l’Inde, l’Afrique et plusieurs pays arabes. La séance d’ouverture a permis d’entendre une personne par continent notamment, Mohamed Salim, membre du parlement national indien et du parti communiste indien, Gilberto Lopez du Parti de la Révolution Démocratique mexicain, Victor Nzuzi, agriculteur et syndicaliste congolais, George Isaak porte parole du « mouvements égyptien, « Kefaya » et l’ancien président du parti communiste grec ainsi que Naim Kacem, secrétaire général adjoint du Hezbollah, Khaled Hadada, porte parole du Parti Communiste Libanais, Salim el-Hoss, ancien premier ministre libanais et leader du forum pour l’unité nationale, Najah Wakim leader du Mouvement du Peuple, Ghassan Issa pour le Club Al-Leqaa/Samidoun ainsi que Nahla Chahal qui a coordonné l’événement.
Par la suite, les participants se sont répartis dans les 4 axes de travail : axe Stratégie, axe média, axe juridique, axe de la reconstruction. Les recommandations, qui ont résulté de ces axes, sont présentées dans l’appel final disponible en anglais et en arabe et prochainement en français et en espagnol.
Par ailleurs, les participants ont visité la banlieue sud de Beyrouth, ainsi que le sud libanais où ils ont pu mesurer la réalité destructive de l’agression notamment dans l’une des villes symbole de la résistance, Bint Jbil, où ils ont pu s’entretenir avec des combattants. Enfin, deux soirée artistiques ont eu lieux : la première autour des courts métrages faits pendant la guerre par le collectif des cinéastes, « cinésoumoud . La seconde avec la troupe égyptienne de Samia Jaheen venue spécialement pour l’occasion.
Evidement il y a eu des lacunes parmi lesquelles la faiblesse de la participation de mouvements européens, excepté les grecs qui eux étaient plus d’une quarantaine. Egalement, l’axe stratégie a intéressé une grande majorité des participants ce qui en soit dénote d’un intérêt à confronter les différentes analyses et à clarifier les malentendu et les divergences. Il aurait fallut peut être diviser cet axe en groupe de travail pour permettre un échange accru ou le transformer suffisamment à temps pour permettre un échange entre les libanais et les internationaux, ce qui s’est finalement produit à la demande des participants eux même.
Des identités, une résistance.
C’est devant un auditoire attentif de plus de 400 personnes que s’ouvre, jeudi 16 novembre vers 18h, le meeting politique marquant le début de la rencontre internationale de Beyrouth en solidarité avec la Résistance. Sont présentes les forces politiques libanaises à l’origine de l’invitation : le Parti Communiste Libanais, le Hezbollah, la Tribune de l’unité nationale, le Mouvement du Peuple et le club Al-leqaa ainsi que des représentants des mouvements anti-guerres venus des cinq continents.
La rencontre se déroule pendant trois jours au Palais de l’Unesco, à proximité du quartier de Aïn El Tineh. Les participants, issus principalement du monde associatif, de la gauche politique et des courants islamo-nationalistes ont répondus à un appel lancé par les délégations internationales venues soutenir les libanais durant la ’’guerre des trente-trois jours’’.
Tous les discours et débats sont traduits en quatre langues : le français, l’anglais, l’arabe et l’espagnol.
Une participation composite
Une première chose saute aux yeux : l’hétérogénéité des participants. On retrouve parmi eux les acteurs traditionnels des forums sociaux : réseaux altermondialistes et militants de la gauche anticapitaliste venus d’Europe (principalement de Grèce, de France, d’ Angleterre, mais aussi d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne, de Hollande, de Belgique et des pays Scandinaves), d’Inde (Calcutta), d’Amérique du Sud (Mexique, Argentine, Brésil) ainsi que des délégations plus restreintes d’Amérique du Nord et du Canada.
Le second groupe en terme numérique est composé des acteurs de l’opposition politique au Moyen et Proche-Orient : militants de la gauche libanaise (Parti Communiste Libanais, Groupement Communiste Révolutionnaire...), membres du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine), représentants du mouvement ’’Kifaya’’ égyptien (opposition au gouvernement Moubarak), militants de la gauche Turque, Syrienne, Jordanienne, membres du Hezbollah et des différentes mouvances nationalistes libanaises.
Tous ces militants se retrouvent autour du soutien de la résistance et du mot d’ordre anti-impérialiste. Un hommage est rendu pour réaffirmer le soutien intemporel à la résistance palestinienne.
Les axes de travail
L’objectif affiché de cette rencontre est de constituer un front commun de lutte contre « la logique de guerre et l’hégémonie coloniale ». Concrètement il s’agit de proposer, au termes de la rencontre, une déclaration générale qui constituerait un plan d’action pour les prochaines rencontres internationales (forum social de Nairobi en janvier 2007 et conférence du Caire en mars 2007). Les axes de travail sont au nombre de six : un axe stratégique, un axe dédié à l’élaboration d’un réseau arabe, un axe juridique, un axe relatif aux médias globaux, un axe relatif aux reconstructions et à l’urbanisme ainsi qu’un axe intitulé ’’art et culture de résistance’’.
●L’axe stratégique a consisté en un état des lieux des conflits régionaux et supra-régionaux ainsi que la définition d’un plan d’action pour une résistance commune aux agressions futures. Ont été abordées les questions des alliances (entre mouvements de gauche et islamo-nationalistes), de l’état mondial du mouvement anti-guerre et des outils de lutte contre l’idéologie du « choc des civilisations ».
●L’axe d’élaboration d’un réseau arabe s’est concentré sur les problématiques régionales telles que celle des conflits ethno-confessionnels, facteurs de désintégration sociale (notamment les tentatives d’alimentation du clivage sunnites/chiites) et celle du rôle politique des minorités religieuses et ethniques.
●L’axe juridique rassemblait juristes et néophytes dans le but d’examiner les démarches nécessaires aux poursuites du gouvernement israëlien devant la Cour Pénale Internationale et d’étudier les condition d’organisation d’un tribunal international ’’ad hoc’’ du type Tribunal Russel (chargé de juger les crimes de guerres américains au Vietnam).
●L’axe relatif aux médias globaux avait pour objectif une réappropriation de la communication dans un contexte décrit comme celui d’une désinformation globalisée. L’information utilisé comme outil de guerre par les forces internationales est dénoncée. Les participants ont procédé à un recensement des agents et moyens médiatiques autonomes à même de constituer un espace d’information indépendante. Il fut aussi question de créer un ’’Media Watch’’, observatoire des médias internationaux pour contrer les sources de désinformation de manière citoyenne.
●L’axe ’’reconstruction’’ a regroupé des spécialiste de l’urbanisme dans la perspective de coordonner les différentes études sur le niveau des destructions causées par l’offensive israélienne. Il s’agit, à termes, de lancer un projet de reconstruction des espaces urbains détruits.
●Enfin, l’axe ’’art et culture de résistance’’ s’est déroulé en deux soirées : la première avec projection de courts métrages réalisés par des cinéastes libanais et internationaux sur la guerre de trente-trois jours et la situation en Palestine, suivis de lectures de textes. Un spectacle de musique et de poésie fut présenté par une troupe égyptienne lors de la deuxième soirée, sur le thème ’’Nous sèmerons la terre des germes de la résistance’’ avec des textes de Fouad Haddad.
Visite de Beyrouth sud et du sud Liban
Les deux dernières après-midi furent consacrées à une ’’visite-guidée’’ des zones les plus touchées par les bombardements cet été : les banlieues sud de Beyrouth et les villages du sud Liban.
Départs en bus des participants vers les banlieues sud samedi 18 à 14h du Palais de l’Unesco. Rapidement le paysage change : il y a un contraste criant entre le centre ville riche de Beyrouth et ses banlieues oubliées où cohabitent libanais pauvres à majorité chiite et réfugiés palestiniens.
Le quartier de Haret Hreik est ravagé, durant la nuit du 25 juillet l’armée israélienne y a largué huit bombes de plus de trois tonnes. La cible principale était un immeuble bastion du Hezbollah mais toutes les habitations aux alentours ont été détruites.
Les participants contemplent les décombres silencieusement. Tous avaient pu voir des images de ces dégâts à la télévision mais, mises les unes à coté des autres, ces images forment un paysage de désolation beaucoup plus frappant. Les habitants du quartier interpellent ces ’’touristes de la destruction’’. Ils parlent de tout ce qu’ils ont perdus et de tout ce qui ne sera jamais remplacé. Ils critiquent la lenteur du gouvernement quant à la reconstruction de leur quartier. Qu’on ne s’y méprenne pas, les habitants de Haret Hreik sont plus que jamais gagnés à l’opposition et au Hezbollah, seul à avoir commencé les travaux. Les participants quittent les lieux dans une atmosphère lourde d’interrogations.
Départ pour le sud Liban dimanche 19 novembre vers 11h. Le trajet est long, tous les ponts ont été détruits par les bombardements. Les bus entament des détours par les routes secondaires vers les villes de Saïda et Tyr. Après une escale à Saïda le groupe est conduit dans la zone tristement célèbre des villages de Ayta Chaab, Bint Jbeil et Marroun Er Ras, lieux des confrontations directes entre la résistance libanaise et l’armée israélienne. Là encore il ne reste que des ruines. Les organisateurs appellent les internationaux à la prudence : c’est ici que Tsahal a largué ses bombes à sous-munitions. Il commence à faire nuit, un dialogue se noue entre les habitants et certains participants.
Les villageois racontent avec fierté l’épopée des batailles. Au termes des trente-trois jours de combat l’armée israélienne a, pour la première fois dans l’histoire des conflits avec le Liban, du battre en retraite de l’autre côté de la ligne bleue. Les habitants continuent néanmoins à craindre une nouvelle incursion, et pour cause : cette zone a été occupée pratiquement sans interruptions de 1978 à mai 2000. Les traces de cette occupation, notamment les centres de détentions et d’interrogations israéliens, comme à Bint Jbeil, le camp d’Ansar ou la prison de Khiam, ont été complètement effacées par les bombardements cet été.
Droit des peuples à la résistance
De retour à Beyrouth, la réunion de conclusion démarre par une réaffirmation solennelle du droit des peuples à la résistance contre toute forme d’occupation et d’oppression. La résolution finale insiste sur la nécessité d’unifier les forces en présence - gauches politiques, altermondialisme et islamo-nationalismes - dans un cadre démocratique pour les luttes futures. Le droit à l’autodétermination des peuples doit être compris dans les luttes sociales et inversement. La conférence se termine sur l’annonce de trois journées de mobilisation à l’échelle internationale : le 20 mars contre l’occupation de l’Irak, le 12 juillet pour soutenir la résistance libanaise et le 29 septembre en solidarité avec le peuple palestinien.
Billet : Gauche laïque et mouvements islamo-nationalistes.
Mal comprise par les politistes occidentaux, l’alliance entre la gauche laïque (Parti Communiste Libanais) et un courant islamo-nationaliste (le Hezbollah) a été à l’origine d’une conférence internationale de soutien de la résistance du 16 au 19 novembre à Beyrouth, Liban. C’est l’occasion d’un dialogue noué entre les forces de gauche internationales (communistes, altermondialistes...) et le Hezbollah.
Lors du premier meeting politique le cadre est posé : le représentant du PCL, Khalid Hadada et celui du Hezbollah, Naïm Qassem, saluent d’une même voix la résistance libanaise. C’est dans la lutte contre l’occupation et pour l’autodétermination que leur alliance s’est scellée. Naïm Qassem s’adresse aux internationaux : « Je veux vous rassurer : l’alliance politique que nous composons regroupe des forces très diverses [...] et nous travaillons toujours main dans la main ».
S’il est nécessaire de rassurer les participants, Naïm Qassem en est conscient, c’est que ceux-ci n’ont pas oublié certaines expériences désastreuses à mettre au compte de l’islamisme politique. Mais toutes les expressions de l’Islam politique ne se valent pas. Il y a, dans l’Islam politique comme dans la plupart des courants de pensée, plusieurs écoles. Il est important de distinguer l’intégrisme musulman, représenté notamment par les salafistes (branche fondamentaliste du sunnisme), des autres courants de l’islamisme politique dont le Hamas (sunnite) et le Hezbollah (chiite).
Il suffit de consulter le programme politique de ces deux derniers pour le comprendre : ils sont idéologiquement aussi proche des intégristes musulmans que les sont les démocrates chrétiens des intégristes catholiques ! Et quand le dr. Ali Fayad, proche conseiller de Hassan Nasrallah, prend la parole lors de la conférence internationale de Beyrouth son discours se rapproche plus de celui de Marie-George Buffet que de celui de François Bayrou. Quand il s’agit de présenter les principaux objectifs de son parti Ali Fayad brille : « Nous luttons pour la préservation de la liberté d’expression et d’association. Nous joignons nos forces à ceux qui combattent le capitalisme sauvage incarné par le néolibéralisme, pour la protection de l’économie libanaise des lois du marché et des défis de la mondialisation. Nous réclamons un plus grand rôle de l’Etat dans la protection des classes défavorisées, le développement des services et de la protection sociale » (cité par W. Chahara et F. Domont, Le Hezbollah. Un mouvement islamo-nationaliste, Paris, Fayard, 2004).
Ces positions ne sont pas nouvelles, elles sont le fruit d’une lente évolution depuis 1992. Avec la prise en main du parti par Hassan Nasrallah,le Hezbollah a pris des distances avec les orientations fondamentalistes de la révolution iranienne. Il faut rappeler qu’il a renoncé à la perspective d’un état islamiste et qu’il insiste sur le libre choix en matière de foi et de prescriptions religieuses.
Une fois ces explications faites, il est moins difficile de comprendre ce qui a réuni des acteurs de la gauche laïque et une mouvance de l’Islam politique lors de la conférence internationale de Beyrouth. Cette rencontre marque le début d’une alliance entre ces deux courants jusqu’alors considérés comme opposées. Beaucoup de travail reste à faire. Si certaines divergences subsistent aux termes de la rencontre, les participants auront réussi à souligner trois points de convergence entre les deux courants : la résistance à l’impérialisme, la protection des droits sociaux et la défense des libertés démocratiques.