Politiques publiques. Selon le gouvernement, la France ferait face à une pression migratoire insoutenable. Elle ne saurait donc accueillir les réfugiés menacés dans leur pays qu’à condition d’être « intraitable » – pour reprendre les termes d’Emmanuel Macron – envers ceux qui ne relèveraient pas du droit d’asile. C’est par conséquent au nom même de l’exigence d’hospitalité que la France devrait conduire une politique migratoire d’une brutalité sans précédent depuis la seconde guerre mondiale.
PRÉTENDRE QUE LA FRANCE EST MENACÉE PAR UNE VAGUE MIGRATOIRE À LAQUELLE ELLE N’AURAIT PAS LES MOYENS ÉCONOMIQUES DE FAIRE FACE RELÈVE DU PUR MENSONGE
Ce discours ne résiste cependant pas un instant à l’analyse. Selon le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, « il y a 95 000 demandes d’asile par an, c’est-à-dire une grande ville chaque année. Si nous accueillions tout le monde, nous ne pourrions pas le faire dans de bonnes conditions ». Pour bien comprendre de quoi l’on parle, notons que la France comptait 4 réfugiés pour 1 000 habitants en 2015, contre 8 en Suisse, 15 en Suède, 24 en Turquie et 209 au Liban. Et, selon Gérard Collomb, elle serait incapable d’accueillir décemment 1,5 réfugié par an pour 1 000 habitants, soit l’équivalent du public à un concert au Stade de France ?
Prétendre que la France est menacée par une vague migratoire à laquelle elle n’aurait pas les moyens économiques de faire face relève du pur mensonge. Quant à la distinction entre les « bons » migrants (qui relèvent du droit d’asile) et les autres (qu’il faut refouler implacablement), elle n’est pas, et de loin, aussi évidente que le gouvernement le prétend.
Car la convention de Genève sur les réfugiés laisse une part d’appréciation notable aux pays d’accueil. Ainsi, l’Allemagne a accordé en 2015 le droit d’asile à toutes les personnes venant de Syrie, tandis que la France ne l’a accordé qu’à 60 % d’entre elles, les autres n’ayant droit au mieux qu’à une protection subsidiaire (ouvrant droit à un titre de séjour d’un an).
Perception erronée
En revanche, il est avéré que les habitants des pays riches en général, et de la France en particulier, ont une perception erronée de l’ampleur de l’immigration, qui explique en partie leurs attitudes sur ces questions. Trois économistes ont analysé les résultats d’une enquête du Transatlantic Trends Survey menée en 2010 et 2014 auprès de 19 000 habitants de treize pays, dont la France [1].
LES PERSONNES INFORMÉES SUR LES CARACTÉRISTIQUES RÉELLES DES IMMIGRÉS ONT UNE ATTITUDE PLUS FAVORABLE À LEUR ÉGARD
Avant de répondre à une série de questions sur l’immigration, la moitié des personnes interrogées (choisies au hasard) étaient informées de la proportion d’immigrés dans leur pays. Résultat : les personnes informées des chiffres exacts ont une opinion nettement plus favorable à l’égard de l’immigration. Dans le cas de la France, la proportion de personnes considérant qu’il y a trop d’immigrés est presque deux fois plus faible (17 %) parmi les personnes informées que parmi les autres (32 %).
Les chercheurs ont confirmé ce résultat par deux expériences complémentaires menées aux Etats-Unis : les personnes informées sur les caractéristiques réelles des immigrés ont une attitude plus favorable à leur égard et sont davantage favorables à une augmentation de l’immigration. Il est intéressant de noter que ces résultats persistent dans le temps, et qu’ils sont particulièrement forts parmi les personnes se considérant de droite.
Au lieu de reprendre à son compte un discours anxiogène qui a remplacé le sens de l’accueil par un égoïsme timoré, le président de la République pourrait faire un effort de pédagogie et expliquer que la France peut, que la France doit, accueillir tous ceux qui frappent à sa porte. Là serait le véritable courage.
Le Front national est à son plus bas, l’opposition politique inexistante, et l’économie retrouve une certaine vigueur : l’occasion est inespérée de revenir sur trente années de propagation du discours de l’extrême droite. Et de résoudre la seule question qui vaille : comment accueillir au mieux les réfugiés – tous les réfugiés – qui demandent notre hospitalité ?
Thibault Gajdos (Chercheur au CNRS)