Depuis la guerre des 33 jours entre la résistance libanaise et Israël, le Liban répercute les secousses géopolitiques de la région. À Beyrouth, sur la place des Martyrs et la place Ryad-as-Sulh, la mobilisation est continue. Des dizaines de milliers de partisans du Hezbollah, du Courant patriotique libre (CPL, chrétien) du général Michel Aoun, mais aussi de la mouvance de gauche, nationaliste arabe et nassérienne, se donnent rendez-vous, dans une forme de réappropriation populaire, jeune et multiconfessionnelle, d’un centre-ville appartenant pour l’essentiel aux sociétés de la richissime famille Hariri. Le 10 décembre, une nouvelle manifestation a envahi les rues de Beyrouth, à l’appel de l’opposition, aussi massive que celle du 1er décembre, qui avait rassemblé plus d’un million de personnes. De nouvelles formes de mobilisation pourraient être utilisées si une solution politique n’est pas trouvée, allant du blocage institutionnel et économique à la démission de l’ensemble des députés, chrétiens et chiites, de l’opposition.
À l’origine, la revendication de l’opposition est d’obtenir le tiers de blocage dans le gouvernement pro-occidental, élu en 2005, dans l’attente de nouvelles élections. Mais, dans la confrontation présente, les positions tendent à se radicaliser, et les manifestants demandent une démission pure et simple du gouvernement Siniora, ainsi que la tenue de nouvelles élections. Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a souligné, le 7 décembre, dans une allocution retransmise en direct aux manifestants, que si le gouvernement persiste dans son refus du tiers de blocage, l’opposition fera « tomber le gouvernement », et « formera un cabinet transitoire qui appellera à des élections législatives anticipées ». « Nous refusons toute tutelle, qu’elle soit celle de l’Occidental, de l’ami ou du frère », a-t-il précisé, dans une réponse à peine voilée à ceux qui accusent l’opposition d’être manipulée par la Syrie ou l’Iran, soulignant également que l’opposition ferait tout pour éviter les risques de guerre civile confessionnelle : « Nous ne nous laisserons pas entraîner dans une guerre civile, même si vous tuez 1 000 d’entre nous. » Hassan Nasrallah entendait répondre aux provocations violentes de la majorité gouvernementale, qui ont abouti à la mort du jeune chiite Ali Ahmad Mahmoud, lors d’un affrontement, le 2 décembre, entre sunnites et chiites, dans le quartier de Qasqas.
De son côté, la gauche adopte deux attitudes. Des organisations comme le Mouvement du peuple, de Najah Wakim, et des intellectuels de gauche et nationalistes regroupés autour du quotidien Al-Akhbar prennent fait et cause pour le mouvement, tandis que le Parti communiste libanais (PCL) lui accorde un soutien critique, demandant au Hezbollah et à Aoun de clarifier leurs programmes sur la déconfessionnalisation du système libanais. Si elle estime encore « insuffisantes » les revendications du Hezbollah et de Aoun, Marie Nassif Debs, membre du bureau politique du PCL, estime néanmoins que le Hezbollah s’est « engagé dans une dynamique positive » depuis qu’il a décidé d’entrer en confrontation avec le gouvernement, fait totalement nouveau pour un parti qui se concentrait auparavant sur la résistance au sud Liban, et qui avait tendance à négliger les questions politiques internes. La situation, en effet, est totalement nouvelle et les gouvernements arabes, comme les gouvernements occidentaux, redoutent avant tout qu’après la victoire de la résistance libanaise de juillet-août - qui avait déjà modifié la donne régionale -, un gouvernement pro-occidental ne soit renversé par la rue, ce qui constituerait un séisme dans la région et menacerait profondément les régimes en place.