Xi Jinping s’assure un pouvoir illimité
Le président chinois a fait lever, à la faveur d’un changement constitutionnel, les obstacles à son maintien à la tête de l’Etat-parti au-delà de 2022.
Désigné comme « noyau dirigeant » du Parti communiste chinois (PCC) fin 2016, Xi Jinping a vu, honneur jusqu’alors réservé seulement à Mao, sa « pensée » inscrite dans les statuts du parti lors du 19e congrès d’octobre 2017, qui l’a reconduit pour cinq ans à la tête du parti.
Il avait alors dérogé à l’usage constituant à faire entrer au comité permanent – l’organe suprême de direction du PCC – de possibles successeurs issus de la nouvelle génération de cadres, ce qui interrogeait sur les scénarios possibles en 2022, au terme du quinquennat tout juste entamé.
Car la Constitution limitait jusqu’alors à deux les mandats du président, une fonction occupée en principe par le secrétaire général du parti (M. Xi sera de nouveau désigné président du pays lors de la session parlementaire de mars). C’est cette limite des deux mandats qui disparaît dans la série d’amendements décidée par le Comité central en janvier. L’agence Chine nouvelle n’a publié que dimanche 25 février le texte détaillé des amendements prévus lors du second plénum, pourtant clos il y a plus d’un mois.
« C’est une manière d’assumer directement un changement des règles plutôt que d’interpréter de façon souple les règles existantes. Le seul poste important, celui de secrétaire général du PCC, n’était pas contraint par la limitation des mandats, il aurait donc été tout à fait possible qu’un secrétaire général enchaîne trois mandats, en découplant ce poste de celui de président », note le sinologue Sebastian Veg.
Vraie fausse surprise
L’annonce a fait l’effet d’un choc, feutré, tant l’expression de vues critiques est jugée risquée dans la Chine de Xi Jinping. Sur la messagerie WeChat, des internautes diffusent toutes sortes de plaisanteries. « Mais quelle grande nouvelle ! Est-ce qu’on peut demain prendre un jour de congé ? », dit l’une d’elles. Un autre message montre une image du dessin animé Winnie l’ourson, censuré en Chine depuis que les internautes en ont fait le symbole de Xi Jinping : on y voit l’ourson collé à un pot de miel, avec comme légende : « Si vous aimez quelque chose, collez-vous y. »
Des commentaires relaient des citations d’Hannah Arendt, d’autres font allusion à Yuan Shikai, l’ancien seigneur de guerre qui entreprit de s’autoproclamer empereur en 1915 dans une tentative désastreuse de restaurer l’Empire. Une image sur WeChat montre le portrait de Mao sur la place Tiananmen remplacé par celui de Xi.
C’est moins la vraie fausse surprise d’un troisième mandat pour Xi que l’éventualité d’une « présidence à vie » qui titille l’opinion publique. « La suppression de la limite des deux mandats n’est pas comparable au système du mandat à vie sous Mao. L’Histoire montre que cela ne peut mener qu’au désastre, je ne pense pas que Xi Jinping ira jusque-là », réagit toutefois le politologue chinois Hu Xingdou, interrogé par téléphone.
Super-ministère anticorruption
Un nouveau plénum du Comité central devait ouvrir ce lundi 26 février. Hormis la question des mandats présidentiels, plusieurs dizaines d’articles de la Constitution font l’objet de propositions de révision. L’objectif est de mettre en conformité la Loi fondamentale avec les ambitions de la « nouvelle ère du socialisme à caractéristiques chinoises » proclamée par M. Xi en octobre 2017.
Le PCC va également soumettre à l’Assemblée la création très attendue de la nouvelle Commission nationale de supervision. Ce super-ministère anticorruption va élargir au niveau national les prérogatives de la Commission centrale de discipline interne du PCC, l’arme dont se sont servis M. Xi et ses fidèles pour mener une purge historique dans les rangs du parti unique. Il étend également les pouvoirs de la commission disciplinaire au-delà des membres du parti à tous les fonctionnaires.
L’enjeu, pour Xi Jinping, est de sécuriser la place inamovible du PCC à la tête du pays dans une Constitution, celle de 1982, dont se réclamaient, malgré toute son impotence et ses limites (il n’y a pas de contrôle de constitutionnalité en Chine), les partisans de réformes politiques, aussi bien à l’intérieur du PCC qu’à l’extérieur, les professeurs de droit constitutionnel, les avocats des droits de l’homme ou encore les intellectuels. Cette opposition légaliste espérait faire réellement appliquer les libertés d’expression, mais aussi de rassemblement défendues par la Constitution, et pousser à une plus grande séparation du parti et de l’Etat.
Le rôle dirigeant du PCC n’était ainsi évoqué que dans le préambule de la Constitution actuelle. M. Xi a souhaité lever toutes les ambiguïtés. L’article 1 définit désormais « le rôle dirigeant du parti comme le trait le plus essentiel du socialisme aux couleurs chinoises ».
« Insister sur le rôle dirigeant du PCC »
« Le nouvel article inscrit dans la Constitution est un choix historique qui reflète l’expérience du peuple chinois. Il y avait dans le préambule une déclaration similaire, mais elle avait été mise en question par certains qui sont soutenus et manipulés par des forces extérieures. Il était donc essentiel d’insister sur le rôle dirigeant du parti », confirme le Global Times, organe du PCC, dans un éditorial du 25 février.
« C’est réaffirmer le rôle dirigeant du parti, sans le masquer derrière des artifices juridiques ou des institutions étatiques. Celui-ci doit tout diriger, “aux quatre points cardinaux”, comme l’a annoncé Xi lors du 19e congrès », décrypte le sinologue Jean-Pierre Cabestan, qui publiera en avril Demain la Chine : démocratie ou dictature ?, chez Gallimard.
Le constitutionnalisme à l’occidentale était le premier des « sept dangers » contre lesquels le PCC avait appelé à une « lutte intense » au début du premier mandat de Xi Jinping, en 2013, au côté des « valeurs universelles », ou encore de la « société civile ». Le régime avait alors déployé une répression policière féroce contre ses partisans, tout en faisant défendre par ses porte-plume la supériorité indiscutable du « socialisme aux couleurs chinoises ». M. Xi semble aujourd’hui avoir gagné cette bataille.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
* LE MONDE | 26.02.2018 à 06h48 • Mis à jour le 02.03.2018 à 12h29 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/02/26/le-pcc-autorise-xi-jinping-a-rester-au-dela-de-son-prochain-mandat_5262481_3216.html
« Xi Jinping monte en puissance et se “poutinise” »
L’Assemblée populaire de Chine devrait autoriser le président actuel à renouveler son mandat sans limite. Cela annoncerait un grand bond en arrière de la vie politique du pays, analyse l’universitaire Jean-Pierre Cabestan, dans une tribune au « Monde ».
Lors de sa séance annuelle qui s’ouvre le 5 mars, l’Assemblée populaire nationale (APN) chinoise devrait entériner l’abolition de la limite de deux mandats de cinq ans imposée par la Constitution à la fonction de président de la République. Approuvé par le comité central du Parti communiste chinois (PCC) dans des circonstances qui demeurent obscures et rendues publiques le 25 février, cet amendement constitutionnel permettra à Xi Jinping de se maintenir à la tête de l’Etat aussi longtemps qu’il le souhaite.
Assurément, cette décision consacre une montée en puissance et même une « poutinisation » de Xi à l’œuvre depuis son accession au pouvoir en 2012. Elle permet au numéro un chinois, contrairement à Vladimir Poutine, de continuer de cumuler les trois fonctions suprêmes qu’il occupe aussi longtemps qu’il lui plaît : aucune règle ne limite officiellement le mandat du secrétaire général et de président de la Commission militaire du PCC.
Pour autant, l’on peut s’interroger sur le sens d’une mesure rétrograde qui remet directement en cause l’une des réformes institutionnelles essentielles de Deng Xiaoping introduite après la mort de Mao Zedong, en 1976 : éviter toute instauration d’un pouvoir à vie. Par ailleurs, si elle consolide indéniablement le statut de Xi, celui-ci est-il aussi puissant que ses thuriféraires le laissent entendre ? Pourra-t-il véritablement introduire les réformes qu’il a promises ?
Xi assez fort pour imposer ce changement
Les médias officiels, dont le très nationaliste Global Times, ont rapidement tenté de justifier la suppression de cette limite constitutionnelle. Ils ont d’une part indiqué que cette décision était un gage de stabilité et de puissance, « une clé magique capable d’unifier la société » et de « renforcer sa dignité face à l’Occident » (sic). Ils ont d’autre part assuré de manière assez défensive que cette réforme ne signifiait pas que le poste de président de la République pourrait être occupé par la même personne « à vie ».
Il est clair que cette révision de la Constitution, loin de mieux intégrer la Chine dans le monde du XXIe siècle, la repousse cent ans en arrière, au moment où Yuan Shikai (1859-1916), le président de la nouvelle République de Chine, cherchait à devenir empereur. Mais à la différence de Yuan, Xi pourrait bien réussir son entreprise. Certes, à peine annoncée, cette décision a suscité de multiples critiques et sarcasmes sur la Toile chinoise, qui ont été rapidement censurés. Et au sein du Parti, les choses ne se sont pas passées aussi bien que les partisans de Xi l’auraient espéré, d’où la publication précipitée de la révision constitutionnelle avant que le comité central l’ait formellement approuvée.
Mais, depuis le XIXe congrès tenu en octobre 2017, Xi est assez fort pour imposer ce changement. La grande majorité des 25 membres du nouveau bureau politique lui sont inféodés. Et même si quelques voix dissonantes risquent de se faire entendre lors de la séance de l’APN, Xi peut compter sur son homme lige, Li Zhanshu, qui est destiné à prendre la semaine prochaine la présidence de cette assemblée, pour imposer la célèbre et sacro-sainte discipline du Parti à la plupart des députés lors du vote d’approbation de cette révision constitutionnelle.
Un gain de temps pour les réformes et contre ses ennemis
La véritable question est ce que cette suppression de la limite des dix ans apporte à Xi. Tout d’abord, elle lui procure sécurité : en effet, à travers la campagne contre la corruption, Xi s’est fait beaucoup d’ennemis au sein de la Nomenklatura. Dans ces circonstances, tout départ à la retraite présente pour lui des risques conséquents, qu’il préfère éviter, ou tout au moins repousser, espérant que ses victimes et leurs partisans auront alors physiquement disparu ou auront été définitivement marginalisés.
Ensuite, cette décision lui fournit du temps, celui non seulement pour poursuivre son combat contre les indélicatesses, malheureusement rémanentes, des fonctionnaires du Parti-Etat mais aussi et surtout pour introduire les réformes économiques et institutionnelles qui devraient permettre à la Chine à la fois de réussir sa transition vers un nouveau mode de croissance et de mettre en place un système de gouvernement plus moderne, moins lourd et donc plus efficace, sans pour autant se démocratiser, évidemment.
Ce dernier projet est au cœur des préoccupations de Xi et a constitué le principal thème du 3e plénum du comité central tenu les 26-28 février. Pour ce faire, le chef du PC chinois recourt à des méthodes pour le moins éprouvées et pas forcément convaincantes : renforcer à tous les échelons les pouvoirs du Parti sur les administrations, « rôle dirigeant » qui sera inclus dans le corps de la Constitution, et non plus seulement son préambule, une fois la révision approuvée par l’APN ; et accorder plus d’autonomie aux autorités locales qui appliquent les directives centrales et surtout font allégeance à Xi. Or les collectivités territoriales chinoises jouissent déjà, et ceci depuis la fin des années 1950, d’une large autonomie.
Xi le sait à ses dépens car celle-ci a permis à de nombreux gouvernements locaux de résister aux oukases édictés par le centre depuis 2013, tant pour ce qui concerne le démantèlement des entreprises publiques déficitaires que pour ce qui a trait à l’apurement de leur budget et la suppression des plates-formes semi-publiques (et semi-légales) mises en place pour financer les infrastructures et la construction immobilière.
Le caractère opaque du PCC renforcé
Dans de telles circonstances, Xi peut-il réussir ? Oui, car aucune force crédible au sein du PC n’est en mesure de le défier. Tôt ou tard, les cadres locaux vont devoir se résoudre à obtempérer ; la croissance économique se maintient, certes à un rythme plus raisonnable, et la consommation comme les services progressent ; la modernisation du Parti-Etat se poursuit également ; les nouvelles commissions de contrôle des agents de l’Etat qui seront mises en place prochainement vont y contribuer, même si elles opéreront sous l’étroite direction des puissantes commissions de la discipline du Parti. Et bien que plus critique et distante du pouvoir, fière de son chef ou résignée, la société chinoise laisse au PCC et de plus en plus à Xi le monopole du politique.
Mais plus stable à court terme, le pouvoir et le régime chinois l’est-il à plus long terme ? Cette révision constitutionnelle va à l’encontre de toute esquisse d’institutionnalisation des règles de succession et renforce le caractère opaque, arbitraire, voire mafieux du PC chinois. Comme toutes les sociétés secrètes, le PCC peut renforcer et prolonger le mandat de son « parrain » actuel. Mais il est incapable de garantir toute transmission transparente, sans à-coups, et pacifique, du pouvoir.
Jean-Pierre Cabestan (Professeur à l’université baptiste de Hong Kong.)
Jean-Pierre Cabestan est également l’auteur de Demain la Chine : démocratie ou dictature ?, à paraître en avril 2018 chez Gallimard
E* LE MONDE | 03.03.2018 à 08h00 :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/03/03/xi-jinping-monte-en-puissance-et-se-poutinise_5265111_3232.html