Il a suffi d’un seul vote pour adopter vingt et un amendements à la Constitution chinoise, les premiers proposés depuis 2004. Parmi eux, la suppression de la limite des deux mandats pour le président, cause depuis deux semaines d’un torrent de commentaires critiques en Occident. L’affaire a été vite conclue lors de leur soumission, dimanche 11 mars, à l’Assemblée nationale populaire, le Parlement chinois : deux voix contre, trois abstentions et un vote invalidé sur les 2 964 députés présents dans l’immense amphithéâtre du Palais du peuple à Pékin.
Les députés « ordinaires », c’est-à-dire des membres du parti pour la plupart mais aussi quelques personnalités cooptées, comme le cinéaste Jia Zhangke, avaient pris place sur les fauteuils de l’amphithéâtre. Leur faisaient face, juchés sur la scène, les quelque 200 membres du comité central du Parti communiste chinois (PCC) et de son bureau politique, eux aussi appelés à glisser leur bulletin grand format dans une urne rouge.
Le président chinois et secrétaire général du parti, Xi Jinping, le fit sous les applaudissements de la salle. Dehors, le très stalinien Palais du peuple était barricadé par un labyrinthe de barrières et de contrôles surveillé par des militaires en faction, extincteur à portée de main, et tout ce que la République populaire semble compter d’agents de sécurité.
Malaise
Sur les réseaux sociaux, une consternation diffuse, que remplace de plus en plus une résignation ironique, a accueilli cette quasi-unanimité attendue. De rares dissidents, comme le militant Hu Jia, que la police politique a emmené faire du tourisme en province le temps de la session parlementaire, s’aventurent à des actes de bravoure : sur Twitter, l’ancien prisonnier politique s’est montré, dimanche, sur un chemin de campagne, brandissant une feuille de papier sur laquelle est écrit : « Je suis contre ».
La rapidité du processus, entre l’annonce des amendements le 25 février et leur approbation, a encore accru le malaise : tout au long de ces deux dernières semaines, la presse officielle a mis en avant la « totale adéquation » entre les « aspirations profondes du peuple chinois » et les propositions faites à l’Assemblée.
L’amendement permettant au secrétaire général Xi Jinping de rester aussi longtemps qu’il le souhaite à la tête du pays aurait été étudié après « l’appel spontané » de quelques délégués avant le XIXe congrès du PCC, en octobre 2017. Puis des discussions avaient été organisées, toutes menant à l’évidence : la gouvernance de Xi Jinping était la plus qualifiée pour permettre à la Chine de « réaliser son grand rêve de renaissance ».
Rien, en revanche, sur les questions brûlantes qui titillent le reste du monde – Francis Fukuyama, le théoricien de la « fin de l’histoire », allant jusqu’à fustiger dans une tribune pour le Washington Post le syndrome du « mauvais empereur » qui guette le régime, désormais qu’il s’affranchit des règles qui garantissaient depuis 1978 une succession ordonnée au sommet tous les dix ans. Et « rendaient son système politique autoritaire si différent de pratiquement toutes les autres dictatures » du monde, rappelle-t-il.
« Cela rappelle la bande des quatre »
Ce déni officiel face à des questions pour le moins légitimes présage mal « des efforts de la Chine pour se créer une image de grande puissance responsable », notait ainsi, samedi 10 mars, l’éditorialiste du South China Morning Post de Hongkong, le Chinois Wang Xiangwei. Il renforce « les inquiétudes du reste du monde face à la consolidation de son pouvoir par Xi Jinping et la direction future de la Chine ». Et contribue à faire planer un petit air de fin de Révolution culturelle : « Cela rappelle la dernière période, la bande des quatre ! » – ces hauts dirigeants radicaux accusés d’avoir traîné la Chine dans le chaos et arrêtés peu après la mort de Mao –, s’indigne une Chinoise proche des milieux intellectuels.
Lors d’un incident révélateur du degré de paranoïa qui règne à Pékin, la correspondante de Radio France internationale (RFI), Heike Schmidt, a été interrogée par la police, vendredi, pour avoir réalisé devant un centre commercial un micro-trottoir sur l’allongement des mandats de Xi Jinping, et elle a été forcée d’effacer ses bandes.
La possibilité désormais pour M. Xi de rester au-delà de 2023, lorsque se terminera son deuxième mandat, et l’inscription de sa « pensée » dans la Constitution nourrissent une dynamique de culte de la personnalité de moins en moins rationnelle : le chef du parti de la province à forte population tibétaine du Qinghai, Wang Guosheng, est allé mercredi jusqu’à affirmer devant les journalistes chinois que « les gens ordinaires dans les territoires d’élevage voient le secrétaire général Xi Jinping comme un Bodhisattva », c’est-à-dire un être « en état d’éveil » pour les bouddhistes.
Enfin, le coup d’Etat constitutionnel verrouille la grande entreprise de sécurisation du PCC engagée par M. Xi à son arrivée à la tête du parti en 2012 : l’un des nouveaux amendements inscrit dans le marbre, à l’article 1er, le « rôle dirigeant du parti comme la caractéristique la plus fondamentale du socialisme aux couleurs chinoises », un rôle autrefois simplement évoqué dans le préambule de la Constitution.
Garant de l’ordre
Sauveur d’un PCC qu’il estimait en perdition, M. Xi n’a cessé au cours de ces cinq dernières années de le remettre au centre du jeu, pour en faire le garant de l’ordre et de la discipline dans la grande quête de puissance et de richesse où il a lancé la Chine – à l’inverse de Mao Zedong, qui n’hésitait pas à l’affaiblir dans sa course à la révolution permanente.
Ces amendements « sont d’une importance historique pour assurer la prospérité et une sécurité durable à la fois pour le parti et le pays », a ainsi déclaré l’agence Xinhua dans son premier communiqué suivant l’annonce du vote.
Surtout, ils chassent les dernières ambiguïtés qui faisaient de la Constitution chinoise une arme pour ceux qui défendent les valeurs universelles et en appelaient aux libertés fondamentales que celle-ci prétendait défendre.
« Les valeurs libérales dans la Constitution chinoise avaient permis le développement d’un activisme constitutionnaliste en Chine, explique la sinologue Chloé Froissart, qui travaille sur les formes de participation politique dans le pays. Or, cette mobilisation autour de la Constitution a été progressivement marginalisée depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. » Pour Mme Froissart, la question des valeurs universelles reste la bête noire des conservateurs chinois, « et c’est cela qui fait peur ».
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)