La lutte anticorruption, qui fut l’arme de la consolidation de son pouvoir par le numéro un chinois Xi Jinping, va désormais être chapeautée par une nouvelle institution, la Commission nationale de supervision. Celle-ci élargit les compétences de la police anticorruption du Parti communiste chinois (PCC) à l’ensemble des fonctionnaires chinois et non plus seulement aux seuls cadres du parti. Son nouveau directeur, Yang Xiaodu, un proche de Xi Jinping venu de Shanghaï, a été élu dimanche 18 mars par l’Assemblée nationale populaire (ANP).
Tout employé d’une entité d’Etat à un poste de management – des écoles aux hôpitaux, en passant par les médias, les tribunaux ou les sociétés publiques – pourra désormais faire l’objet d’une enquête par cette institution placée au-dessus de la justice de droit commun et de la Cour suprême dans la Constitution du pays, selon une série d’amendements à la Loi fondamentale adoptés le 11 mars.
Il s’agit, pour les observateurs du système de gouvernance chinois, de formaliser une pratique qui restait critiquée en Chine pour son caractère extralégal. Et de verrouiller encore davantage le pouvoir du PCC sur la société. La Commission centrale d’inspection disciplinaire (CCDI), la police anti-corruption interne du parti, a puni, sous Xi Jinping, 1,5 million de cadres. « C’est le mécanisme qui va permettre à Xi Jinping et à son équipe de diriger la bureaucratie, en se mettant d’un seul coup aux manettes de toutes les institutions formelles de l’Etat », analyse Nicholas Bequelin, directeur d’Amnesty International pour l’Asie de l’Est.
« Pas de contrepoids significatifs »
Des commissions de supervision seront créées au niveau local. La nouvelle forme de détention instituée, appelée liuzhi (« rétention »), se rapproche de celle qui existait pour les seuls membres du parti, le shuanggui (« double assignation », de lieu et de temps). Elle signifie que « quiconque travaille directement ou indirectement pour le gouvernement pourra être détenu, interrogé, forcé de se confesser ou exproprié sans véritable processus légal ni moyen de recours en cas d’abus par les enquêteurs », poursuit M. Bequelin. « Il n’y a pas de contrepoids significatif au pouvoir des nouvelles commissions de supervision, juste des règles très vagues obligeant leurs membres à respecter les procédures. Les personnes en détention n’auront pas accès à un avocat et leurs familles ne seront pas prévenues dans les vingt-quatre heures si les interrogateurs jugent simplement que cela peut nuire à l’enquête. »
Yang Xiaodu, le nouveau directeur de la super-agence, est, depuis 2016, ministre de la supervision, une fonction gouvernementale sans pouvoir réel, mais aussi secrétaire adjoint du parti au sein de la commission disciplinaire. Cette dernière ne disparaît pas : la Commission nationale de supervision va en fait se greffer sur la CCDI, qui reste son principal département et lui imposera des directives internes.
« XI JINPING A DIRIGÉ TOUTE SON ÉNERGIE À REFONDRE LE DROIT POUR EN FAIRE UN INSTRUMENT DE POUVOIR », EVA PILS, CHERCHEUSE
Les députés de l’ANP devraient approuver mardi 20 mars, sans grand suspense, la nouvelle loi définissant les compétences de cette nouvelle commission. Lors de déclarations faites au début de la session parlementaire, avant que ses nouvelles fonctions soient rendues publiques, Yang Xiaodu avait expliqué que la nouvelle institution verrait le nombre de ses « cibles » potentielles augmenter de 200 %. « Le travail à faire est énorme », a-t-il affirmé.
Un chef de l’antenne locale de la CCDI de la province du Hubei (centre) a, lui, évoqué la nécessité de construire « 30 % de nouvelles salles d’interrogatoires en plus » et de « les mettre à niveau » pour la plus grande variété de suspects attendus, notamment en les dotant de matériel d’enregistrement audio et vidéo en conformité avec la nouvelle loi. Le nouveau système pourrait être bientôt testé par une campagne anti-mafia annoncée tambour battant par le régime ces derniers mois.
Texte taillé sur mesure
Pour la chercheuse Eva Pils, spécialiste du droit en Chine au King’s College de Londres, l’ensemble des amendements apportés le 11 mars à la Constitution chinoise, dont la levée de la restriction à deux mandats présidentiels mais aussi ce nouveau droit dérogatoire pour la fonction publique, est totalement contraire à l’idée que la loi et la Constitution puissent contraindre le pouvoir. « Xi Jinping a dirigé toute son énergie à refondre le droit pour en faire un instrument de pouvoir », relève-t-elle. « La nouvelle commission de supervision accentue encore la fusion de l’Etat et du parti, en validant désormais dans la Constitution une forme d’enquête qui, du point de vue des droits de l’homme et du constitutionnalisme, n’a aucun des garde-fous nécessaires », poursuit-elle.
La Constitution telle qu’elle existait auparavant, même si elle n’était pas respectée en Chine, pouvait être « symboliquement brandie par les juristes constitutionnalistes, les défenseurs des droits et les intellectuels libéraux pour tenter de limiter les abus de pouvoir », souligne Mme Pils. Pour la première fois en Chine, le président, réélu samedi 17 mars à la tête du pays avec 100 % des votes des députés, a prêté serment le poing droit levé et la main gauche posée sur la Constitution, un texte taillé sur mesure.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)