« Une dénucléarisation complète de la péninsule » ainsi que la tenue cette année de négociations en vue d’un traité de paix mettant fin à la guerre de Corée (1950-1953) sont les principaux engagements pris par les dirigeants des deux Corées vendredi 27 avril. Ils se sont rencontrés à Panmunjom, au milieu de la zone démilitarisée qui les sépare, stigmate d’un des conflits les plus meurtriers du XXe siècle, suspendu par un simple armistice.
Afin de ménager les susceptibilités, la garde d’honneur convoquée pour l’événement était vêtue de tenues de l’armée royale d’avant la colonisation japonaise (1910-1945) et la division de la péninsule par les vainqueurs américains et soviétiques de la guerre du Pacifique.
Ce troisième sommet entre les deux pays, grand spectacle d’une journée parfaitement chorégraphié et fortement médiatisé, a offert l’image de dirigeants – accompagnés de leurs épouses – détendus et chaleureux. Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et le président du Sud Moon Jae-in se sont longuement entretenus, allant jusqu’à s’isoler une demi-heure en tête à tête sur une petite terrasse de bois bleue, loin de leurs conseillers et de leurs services de sécurité.
Actes symboliques
La déclaration signée à l’issue de cette rencontre s’en tient à de grands objectifs, sans entrer dans les détails ni indiquer les étapes pour les réaliser ou un calendrier. Mais la cordialité affichée n’en donne pas moins un élan décisif à la paix. L’ordonnateur du sommet, M. Moon, chercherait-il à contraindre le président américain à reprendre ce registre pacifique lors de sa rencontre prévue fin mai ou début juin avec M. Kim ?
Conclue après une année marquée dans les deux Corées par la crainte d’une nouvelle guerre, la déclaration de Panmunjom renforce la dynamique d’apaisement observée dans la péninsule depuis le début de l’année – enclenchée par l’invitation au dialogue lancée par Kim Jong-un dans son discours du 1er janvier, mais formulée dès l’été 2017 par Moon Jae-in. Elle fut accueillie avec soulagement par la population. Le sommet a été retransmis en direct à la télévision au Sud, où il a suscité une vive émotion, mais en différé au Nord, où la presse du 28 avril mentionnait la dénucléarisation.
Par des actes symboliques comme le petit ballet des deux dirigeants franchissant à tour de rôle, comme s’ils s’en jouaient, la ligne de démarcation matérialisée au sol par une barre de béton, la troisième rencontre intercoréenne a pris un tour historique : au-delà de décennies d’hostilité et des enjeux géopolitiques contemporains, les deux Corées ont indiqué au reste du monde qu’elles sont une.
« Nous sommes les acteurs de l’histoire. Nous devons assumer une mission que personne ne peut accomplir pour nous », a déclaré Kim Jong-un au cours du dîner, avant son retour à Pyongyang, se faisant l’écho des déclarations de M. Moon avant son élection en mai 2017 : « Les problèmes de la Corée doivent être traités par la Corée. »
Le chemin sera long avant que les engagements se concrétisent. « Une dénucléarisation de toute la péninsule » en particulier – « objectif commun » de Pyongyang et de Séoul selon le communiqué – sera le dossier le plus litigieux. Les Etats-Unis exigent en effet une dénucléarisation unilatérale de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) ; Pyongyang et désormais Séoul parlent d’une dénucléarisation de « toute la péninsule » – ce qui pourrait impliquer de mettre aussi fin à la protection nucléaire de la Corée du Sud par Washington.
« Il n’y aura plus de guerre dans la péninsule coréenne », ont promis les deux dirigeants, et pour l’instant tout le monde se félicite des espoirs de résolution pacifique.
« Les Etats-Unis et leur grand peuple devraient être fiers de ce qui se passe en Corée », a tweeté Donald Trump, qui, à l’automne 2017 encore, jugeait que M. Moon perdait son temps à vouloir dialoguer avec le Nord. Pékin a qualifié ce sommet de « développement positif en vue de la réconciliation et de la coopération intercoréenne ». Le Japon, de son côté, arc-bouté sur sa politique de fermeté face à la Corée du Nord, attend des « mesures concrètes ».
Afin d’établir une paix durable dans la péninsule, Pyongyang et Séoul se déclarent prêts à un désarmement progressif et appellent à des rencontres au plus haut niveau entre les signataires (Chine, Etats-Unis et Corée du Nord) de l’armistice qui, en 1953, a mis fin à trois années de combats sans avoir jamais été suivi d’un traité de paix, laissant les deux Corées techniquement en état de guerre, situation qualifiée vendredi d’« anormale ».
Remise en état d’infrastructures
La déclaration prévoit également une reprise des réunions des familles séparées par la guerre le 15 août, jour anniversaire de l’indépendance de la Corée à la suite de l’occupation japonaise, ainsi que la mise en œuvre des principaux projets (48 au total) décidés lors du sommet de 2007 – dont le développement d’une ligne de fret et l’établissement d’une zone de paix en mer Jaune, théâtre de plusieurs incidents depuis la fin des années 1990. Projets qui n’ont jamais été amorcés en raison de l’arrivée au pouvoir à Séoul, l’année suivante, du président conservateur Lee Myung-bak. Cette coopération devrait commencer par la remise en état d’infrastructures dont le réseau ferroviaire : reprendra-t-elle sans attendre des progrès en matière de dénucléarisation ?
L’atmosphère de ce dernier sommet intercoréen tranche avec le premier, en 2000, lorsque le président Kim Dae-jung s’était rendu à Pyongyang. Sa rencontre avec Kim Jong-il (1942-2011) marqua un tournant dans les relations entre les deux pays : il contribua à modifier le regard de la population du Sud par une meilleure connaissance de la réalité au Nord. Mais la personnalité réservée des deux dirigeants et l’époque – la RPDC se dégageait à peine d’une dramatique famine – n’autorisaient pas l’atmosphère chaleureuse de ce vendredi.
La politique de rapprochement entre le Sud et le Nord (1998-2008) fut certes un ballon d’oxygène pour un pays aux abois qui poursuivait ses ambitions nucléaires, mais elle n’en indiquait pas moins la volonté des deux Corées de prendre en main leur destin, longtemps asservi aux intérêts des grandes puissances. Volonté que Kim Jong-un et Moon Jae-in ont réaffirmée à Panmunjom avec encore plus de vigueur.
Philippe Pons (Tokyo, correspondant) et Philippe Mesmer (Séoul, envoyé spécial)
* LE MONDE | 28.04.2018 à 06h44 • Mis à jour le 28.04.2018 à 09h45 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/04/28/le-sommet-de-panmunjom-volonte-affirmee-des-deux-corees-de-reprendre-leur-destin-en-main_5291856_3216.html
Kim Jong-un précise les conditions de fermeture de son site d’essais nucléaires
Le dirigeant nord-coréen a déclaré vendredi à son homologue sud-coréen : « Si nous mettons fin à la guerre et que finalement on nous promet qu’il n’y aura pas d’invasion, pourquoi vivrions-nous avec des armes nucléaires ? »
Le leadeur de la Corée du Nord, Kim Jong-un, a promis de dénucléariser son pays à l’issue du sommet entre les deux Corées, le 27 avril.
À quel point Kim Jong-un est-il prêt à abandonner les activités nucléaires de son pays ? Le dirigeant nord-coréen a en tout cas expliqué à son homologue sud-coréen, Moon Jae-in, que Pyongyang allait procéder au mois de mai à la fermeture de son principal site d’essais nucléaires, sous les yeux du monde extérieur. Cette annonce a été faite lors de la rencontre, vendredi, des dirigeants des deux Corées, qui se sont engagés sur la voie de la réconciliation de leurs pays, toujours théoriquement en guerre depuis soixante-cinq ans.
Le porte-parole de la présidence sud-coréenne, Yoon Young-chan, a donné des détails, dimanche 29 avril, sur les discussions tenues au cours de la rencontre entre les deux dirigeants : « M. Kim a dit, au cours du sommet avec le président Moon, qu’il procéderait à la fermeture du site [nord-coréen d’essais nucléaires] en mai et qu’il allait bientôt inviter des experts de Corée du Sud et des Etats-Unis ainsi que des journalistes pour révéler le processus à la communauté internationale de manière transparente ».
« Pas d’invasion »
Lors du sommet, Kim Jong-Un a également balayé l’idée que le site en question (le centre d’essais nucléaires souterrains de Punggye-ri) soit hors d’usage, comme l’ont suggéré certains experts, après le dernier test atomique, en septembre : « Certains racontent qu’on ferme un site d’essais qui est déjà inutilisable, mais, comme ils le constateront lors de leur visite, il y a deux tunnels supplémentaires encore plus grands (…) et ils sont en bon état », a déclaré le dirigeant nord-coréen au président sud-coréen, toujours selon le porte-parole Yoon Young-chan.
On ignore si Kim Jong-un procédera à cette fermeture en présence de spécialistes américains avant ou après son sommet avec Donald Trump, prévu dans les semaines à venir. La question du rôle des Etats-Unis, et de ses rapports avec la Corée du Nord, a toutefois été importante lors de la rencontre entre Kim Jong-un et Moon Jae-in vendredi, selon les détails fournis par la présidence sud-coréenne dimanche. « M. Kim a déclaré : “Les Etats-Unis nous trouvent repoussants, mais une fois que nous parlerons, ils se rendront compte que je ne suis pas quelqu’un qui va tirer une arme nucléaire sur le Sud ou viser les Etats-Unis.” »
Il a ajouté au cours de la discussion : « Si nous nous voyons souvent [avec Washington], si nous construisons la confiance, mettons fin à la guerre et finalement qu’on nous promet qu’il n’y aura pas d’invasion, pourquoi vivrions-nous avec des armes nucléaires ? ».
Le sommet avec Donald Trump au cœur des enjeux
Donald Trump s’est entretenu sur ces sujets samedi 28 avril avec son homologue Moon Jae-in et lui a « dit que c’était une bonne nouvelle non seulement pour les deux Corées, mais aussi pour le monde entier, que les deux dirigeants aient réaffirmé leur engagement pour une dénucléarisation complète de la péninsule », selon le porte-parole de la présidence sud-coréenne.
M. Trump et M. Moon ont convenu qu’il était nécessaire que le sommet entre les Etats-Unis et la Corée du Nord soit organisé rapidement. Ils ont aussi échangé leurs points de vue sur deux ou trois lieux possibles, d’après la présidence sud-coréenne. Les médias américains évoquent la Mongolie et Singapour comme lieux possibles de cette rencontre, qui est largement mise en avant par Donald Trump dans ses interventions publiques.
Le président américain a ainsi commenté, lors d’un déplacement dans l’Etat du Michigan samedi 28 avril : « Cela va être un rendez-vous très important, la dénucléarisation de la péninsule coréenne ». « Vous vous rappelez ce qu’ils disaient ? “Il va nous plonger dans une guerre nucléaire”. Non, la force va nous préserver de la guerre nucléaire, elle ne va pas nous y plonger ! », a déclaré le président américain, qui se dit « impatient » de s’entretenir avec Kim Jong-un selon Séoul. Mais Donald Trump a aussi prévenu que le sommet pourrait tourner court : « Ce qui arrivera arrivera. Je peux y aller. Ça peut ne pas marcher ». Dans ce cas, « je pars », a-t-il déclaré samedi.
« Un pion majeur »
Le Nord a déjà invité des spécialistes étrangers sur son principal site nucléaire, à Yongbyon, en 2008 quand il avait détruit une tour de refroidissement vétuste, rappelle Hong Ming, analyste à l’Institut Corée pour l’unification nationale, qui juge la situation plus prometteuse aujourd’hui.
« Il y a une grande différence entre faire sauter une tour de refroidissement et démanteler son unique site de tests nucléaires, le seul en état de fonctionnement, si Kim dit vrai », observe l’expert, pour qui Kim Jong-un « abandonne par avance un pion majeur qu’il aurait pu conserver pour la rencontre avec Trump ». « Vu qu’il ne s’agit que d’un geste de conciliation avant la rencontre, celle-ci est susceptible de produire quelque chose de plus concret, y compris l’éventail d’armes et installations nucléaires à démanteler et un calendrier spécifique pour ce faire. »
Le Monde.fr avec AFP et Reuters
* Le Monde.fr | 29.04.2018 à 05h03 • Mis à jour le 29.04.2018 à 12h27 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/04/29/coree-du-nord-kim-jong-un-promet-de-denucleariser-en-mai_5292115_3216.html