Darwin Bell
Je me réfère à la narration conventionnelle néomaccarthyste qui est repropagée chaque année à l’occasion de la journée nationale qui porte son nom. Cette imagerie bourgeoise, retouchée et domestiquée, présente King comme un réformiste libéral modéré, qui ne réclamait guère que quelques ajustements concernant les droits civiques de base dans un système étasunien essentiellement bon. Il aurait été un quémandeur loyal, reconnaissant aux dirigeants de la Nation d’avoir finalement opéré de nobles améliorations. Cette année, ça continue…
La commémoration occulte le Dr King qui, tout jeune, étudiait Marx avec sympathie et qui a déclaré dans ses dernières années : « Pour obtenir une égalité réelle, les USA devront adopter une forme modifiée de socialisme ». Ils effacent le King qui a écrit que « la vraie question à affronter », au-delà des questions « superficielles », était la nécessité d’une révolution sociale radicale.
Elle gomme le King qui est allé à la radio canadienne CBC fin 1967 pour dire le peu que la lutte pour l’émancipation des Noirs avait effectivement obtenu, au-delà de quelques progrès fragmentaires dans les Etats du sud des USA. Il y déplorait le blocage de la marche du « progrès limité » que les Noirs et leurs alliés avaient atteint « par une résistance blanche révélant le racisme latent encore profondément enraciné dans la société étatsunienne ».
King expliquait ceci à la CBC : « Au fur et à mesure que notre joie et nos attentes retombaient, les Noirs sont devenus plus fortement conscients que la liberté, notre objectif, était encore loin et que notre situation immédiate était toujours une agonie de privations. Dans la décennie passée, presque rien n’a été fait pour les ghettos au Nord. Toute la législation a visé à remédier aux conditions au Sud et celles-ci n’ont été que partiellement améliorées ». Et au-delà de les considérer comme simplement limités, King estimait que les gains obtenus – durant ce qu’il considérait être la « première phase » de leur lutte pour la libération (1955-65) – étaient dangereux en ce qu’ils « apportaient aux Blancs un sentiment d’achèvement » – une impression grotesque que le soi-disant « problème noir » avait été résolu et qu’il n’y avait donc plus ni base, ni justification pour le militantisme noir ultérieur. Ainsi nota King : « Quand les Noirs ont avancé fermement pour gravir le deuxième échelon de l’échelle, une ferme résistance s’est développée de la part de la communauté blanche… Dans certains secteurs, elle s’est traduite par un rejet poli, dans d’autres par retour de bâton cinglant. Mais dans tous les cas, ce fut une résistance ouverte ».
Un pouvoir blanc toujours raciste et despotique
Expliquant à ses auditeurs et auditrices de la CBC la formidable vague d’émeutes raciales ayant balayé les villes US lors des étés de 1966 et 67, King ne s’est pas excusé pour la violence des Noirs. Il a fait porter la responsabilité des désordres à « la structure du pouvoir blanc… cherchant toujours à garder intacts les murs de la ségrégation et de l’inégalité ». Il trouvait que la cause principale des émeutes était la posture réactionnaire d’une « société blanche ni préparée, ni prête à accepter un changement structurel radical », qui avait « engendré le chaos » en disant aux Noirs, chez qui l’attente de changements substantiels avait été éveillée, « qu’ils devaient s’attendre à rester en permanence inégaux et pauvres ».
King a aussi, pour part, attribué les émeutes à la politique impérialiste de Washington et à sa guerre, faite de meurtres de masse en série, livrée contre le Vietnam. Il a affirmé que l’agression militaire sauvage contre l’Asie du Sud-Est avait détourné des ressources de la « guerre contre la pauvreté » vite déclarée par Lyndon Johnson, mais à peine réellement entreprise. Cette guerre envoyait des Noirs pauvres se faire tuer au front de manière disproportionnée. Elle a en outre développé l’idée que la violence était une réponse raisonnable et même une solution aux problèmes sociaux et politiques.
Les Etasuniens noirs et d’autres sentaient ce que King appelait « la cruelle ironie de voir à la télé des garçons noirs et blancs tuer et mourir ensemble au service d’une Nation qui a été incapable de les asseoir côte à côte dans les mêmes écoles ». « Nous les voyons, solidaires dans la brutalité, en train de brûler les cahuttes d’un village de pauvres en Asie, mais nous nous rendons compte qu’ils ne vivraient jamais dans les mêmes quartiers à Detroit », a-t-il dit à la CBC, ajoutant qu’il « ne pouvait pas rester silencieux face à une manipulation aussi cruelle des pauvres ».
En sus de l’hypocrisie raciale, King a affirmé qu’« une Nation qui continue année après année à dépenser plus d’argent pour la défense militaire que pour ses programmes sociaux va à sa perte sur le plan spirituel ».
Les émeutiers violaient-ils la loi, comme l’affirmaient leurs critiques conservateurs comme libéraux ? Oui, a dit King, mais en ajoutant que les transgressions des émeutiers étaient des « crimes dérivés… nés des crimes bien plus importants des dirigeants politiques de la société blanche » qui « ont créé la discrimination… ont créé les taudis et perpétuent le chômage, l’ignorance et la pauvreté ». En ajoutant encore : « L’homme blanc ne respecte pas la loi dans les ghettos. Jour après jour, il viole les lois sociales pour priver les pauvres de leurs maigres allocations, il viole de manière flagrante les lois et les règlements sur la construction, sa police se moque de la loi, il viole les lois sur l’égalité dans l’emploi et l’éducation et la délivrance de services publics. Les taudis et les ghettos sont fabriqués par le système vicieux de la société blanche ».
Les émeutiers faisaient-ils preuve de violence ? Oui, a dit King, mais en relevant que leur agression avait « pour cible, à un degré très surprenant… la propriété plutôt que les personnes ». Il a observé que « la propriété représente la structure du pouvoir blanc, que les émeutiers [et c’est tout à fait compréhensible] veulent attaquer et détruire ». Contre ceux qui considéraient que la propriété était sacrée, King affirmait que « la propriété a comme objectif de servir la vie et que, quels que soient les droits et le respect dont on l’entoure, ce n’est pas une personne ».
Contre le racisme, la pauvreté et la guerre : que faire ?
Que faire ? King mettait en avant des changements radicaux, prenant à rebrousse-poil un Etat au service des grandes corporations et reflétant son accord avec les militant·e·s de la nouvelle gauche, affirmant que « ce n’est que par un changement structurel que les maux sociaux prévalents peuvent être éliminés, car leurs racines sont dans la nature du système, plutôt que dans des dysfonctionnements de celui-ci ou dans les hommes ». King plaidait pour un programme national d’urgence fournissant soit des emplois correctement payés pour tous, soit un revenu national garanti « d’un niveau permettant une vie décente ». Il appelait aussi à une destruction des taudis et à leur reconstruction par la population même qui y habitait.
Ses propositions, disait-il, visaient davantage que la seule justice raciale. En cherchant à abolir la pauvreté pour tous, y compris pour les Blancs pauvres, il considérait que la « révolte noire » ciblait correctement ce qu’il appelait les « trois maux interconnectés
» du racisme, de l’injustice économique et de la pauvreté (soit le capitalisme), et de la guerre (soit le militarisme et l’impérialisme). La lutte des Noirs, a-t-il dit, avait heureusement « évolué pour devenir plus qu’une simple recherche de déségrégation raciale et d’égalité, pour venir défier un système ayant créé des miracles de production et de technologie, mais ayant échoué à créer la justice ».
« Si l’humanisme est verrouillé hors du système [capitaliste], les Noirs auront révélé son noyau intérieur fait de despotisme et un autre et plus grand combat encore pour la liberté va se développer. Les Etats-Unis sont fondamentalement mis au défi de démontrer qu’ils peuvent abolir non seulement le mal raciste, mais aussi le fléau de la pauvreté et les horreurs de la guerre… » disait King à la CBC, cinq mois avant son assassinat (ou son exécution).
Et il n’y a aucun doute que King parlait du capitalisme quand il se référait au « système » et à son « noyau despotique ». C’est clair quand on s’appuie sur le meilleur de la production académique sur King et notamment sur sa biographie épique, écrite par David Garrow, qui a remporté le Prix Pulitzer : Bearing the Cross : Martin Luther King, Jr., and the Southern Christian Leadership Council (Harper Collins, 1986).
Une stratégie anticapitaliste et révolutionnaire
Aucun auditeur ni aucune auditrice prêtant attention aux propos de King sur la CBC ne pouvait se tromper sur la radicalité de sa perspective et de sa stratégie. « Les démunis de cette nation – les pauvres, tant Blancs que Noirs – vivent dans une société cruellement injuste », a-t-il dit. « Ils doivent organiser une révolution contre cette injustice ».
Une telle révolution exigera « plus qu’une affirmation face à l’ensemble de la société », plus que des « marches dans la rue », a-t-il proclamé, en ajoutant : « Il faut une force qui interrompe le fonctionnement de la société en un point clé ». Cette force utiliserait « la désobéissance civile de masse » afin de « transmuer la rage profonde du ghetto en une force créative et constructive qui disloquera le fonctionnement de la société ».
« L’orage se lève contre la minorité des privilégiés de la terre », a ajouté King et pour faire bonne mesure : « Cette tempête ne s’arrêtera pas, jusqu’à ce qu’on atteigne une juste redistribution des fruits de cette terre… ». La résistance « massive, active, non violente, contre les maux du système moderne » devra être de « portée internationale », reflétant le fait que « les pays pauvres le sont principalement parce que les nations riches occidentales les ont exploités par des formes de colonialisme politique ou économique. Les Etasuniens, en particulier, doivent aider leur nation à se repentir de son impérialisme économique moderne ».
King était un socialiste démocratique, partisan de la désobéissance civile de masse et d’une révolution anti-impérialiste mondiale. Les gardiens du temple de la mémoire nationale ne veulent pas que vous le sachiez quand ils propagent leur doctrine officielle d’un King réformateur libéral modéré. Comme d’ailleurs nos seigneurs et maîtres idéologiques ne veulent pas non plus que l’on sache qu’Albert Einstein a écrit un brillant essai en faveur du socialisme dans le premier numéro de la vénérable Monthly Review marxiste, ou que Helen Keller était partisane de la révolution russe.
La menace envers l’image bourgeoise officielle de King vient de ses conférences sur la CBC et de beaucoup d’autres choses qu’il a dites ou écrites durant les trois dernières années de sa vie. Cette menace n’émane pas seulement du fait que ces paroles montrent cette icône prétendue du réformisme modéré comme un opposant du système du profit et de son empire, partisan d’un socialisme démocratique. Elle vient aussi de la clarté avec laquelle King analysait le caractère partiel et incomplet du progrès obtenu face à l’injustice raciale et de classe qui s’est pratiquement arrêté au milieu des années 70, du fait d’une riposte blanche qui était déjà en train de se manifester au milieu des années 60 (avant l’émergence des Black Panthers, que les historiens libéraux aiment à présenter comme la cause de la dérive à droite en matière raciale sous Reagan et Nixon) et du fait d’une guerre des classes conduite du haut vers le bas, qui a commencé sous Carter et explosé sous Reagan.
Un naufrage spirituel impérialiste qui dure
Le « naufrage spirituel » imposé par le militarisme US a continué, Washington ayant tué directement ou indirectement des millions de gens en Amérique centrale, en Amérique du Sud, en Afrique, des musulman·e·s, des Arabes et des Asiatiques, de nombreuses manières différentes depuis le Vietnam. Responsable d’environ 40% des dépenses militaires au niveau mondial, les USA ont maintenu leur budget de « défense » impérialiste durant la Guerre froide pour soutenir leur empire mondial sans équivalent historique (avec au moins 800 bases militaires réparties dans plus de 80 pays étrangers et des troupes ou autres personnels militaires dans environ 160 pays ou territoires étrangers), même si un quasi-record de 45 millions d’Etasunien·ne·s restent sous le « seuil de pauvreté » officiel, notoirement inadéquat. Un nombre disproportionné des pauvres du pays sont Noirs ou Latinos.
Il est évident que le baron de l’immobilier raciste et suprémaciste blanc Donald Trump se livrait à un exercice hypocrite en articulant des mots aimables sur King en janvier. Mais qu’en est-il de son prédécesseur, Barack Obama, premier président noir ? Il est ironique qu’Obama ait eu un buste de King dans le bureau ovale pour surveiller sa trahison régulière des idéaux de paix et de justice du leader martyrisé. Conforme à la précoce description qu’a donnée en 1996 le Dr Adolph Reed Jr. du futur président comme « avocat d’Harvard raffiné aux diplômes impeccables, ouvert aux politiques néolibérales », Obama a constamment soutenu les intérêts de la finance et des grandes entreprises (dont les représentant·e·s ont envahi et dominé son administration, ses campagnes et ses caisses de campagne), avant et contre les politiques qui auraient porté des programmes sérieux pour mettre fin à la pauvreté, redistribuer la richesse (sauvagement reconcentrée depuis l’époque de Dr aux Etats-Unis), des frais de bourses et une assurance santé universelle, contraindre le capital, et sauver une écologie vivable face à l’approche de nombreux points critiques qui mènent droit à la catastrophe.
Ainsi, une supportrice d’Obama, Ezra Klein en est venue fin 2012 à se plaindre qu’un président « dont la plateforme consiste en la loi de Romney sur l’assurance santé, les politiques environnementales de Newt Gingrich, les coupes dans les impôts financées par le déficit de John McCain, le sauvetage de la faillite des banques et des entreprises de George W. Bush, et un mélange des taux d’imposition de Bush et Clinton » soit toujours dénoncé comme « gauchiste ».
Obama, pire que Cheney-Bush
Obama s’est opposé à des appels pour tout programme spécial ou toute prise en compte sérieuse au niveau fédéral des violentes inégalités raciales nationales, si considérables désormais qu’à la fin de sa présidence, le médian du salaire d’un ménage blanc était 20 fois supérieur à celui d’un ménage noir, et 18 fois supérieur à celui d’un ménage hispanique. Il a fait ceci alors que son arrivée à la Maison-Blanche avait profondément renforcé le sentiment de l’Amérique blanche que le racisme était fini, appelant à mettre fin à la promotion des Noirs et générant un backlash blanc qui a encore péjoré la situation des Afro-américain·e·s les moins privilégiés.
Obama a bien fait comprendre, dans une mesure à laquelle aucun président blanc n’aurait pu prétendre, que ce que Dr King appelait, en 1963, la promesse impayée ou « le chèque en bois » offert à l’Amérique noire resterait non encaissé. Ceci est bien tristement conforme à l’affirmation grotesque d’Obama durant sa campagne de 2007 (lors d’une commémoration de la marche conduite par King pour le droit de vote en 1965 à Selma), selon laquelle les Noirs auraient déjà accompli 90% du chemin vers l’égalité aux Etats-Unis.
Complétant le dernier volet du « triple mal », Obama – l’autoproclamé bourreau-en-chef des forces spéciales en charge de la liste globale des « exécutions antiterroristes » – a accepté et étendu le vaste système criminel d’espionnage et de meurtre au plan mondial hérité de Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, et George W. Bush. Il a diminué l’effort raté de Bush dans les guerres de terrain pour augmenter le rôle des forces spéciales n’ayant de comptes à rendre à personne et des attaques de drones dans l’esprit de son modèle d’impérialisme fringant et téméraire John F. Kennedy. Le programme de drones d’Obama, comme le notait Noam Chomsky en 2015, était « la campagne terroriste la plus extrême des temps modernes ». Elle « visait des personnes suspectées de peut-être avoir l’intention de nous blesser un jour, et tout individu ayant la malchance de se trouver dans les environs ».
En menant sa guerre aérienne en Libye, meurtrière et désastreuse, déstabilisant la région et détruisant le pays, Obama (au contraire de la précédente invasion de Bush en Irak) ne s’est même pas soucié de chercher l’approbation du Congrès. « Cela devrait être un scandale », écrivit Stansfield Smith en 2017 dans Counterpunch, « que des libéraux de gauche décrivent Trump comme une menace nouvelle, un va-t-en-guerre – mais pas Obama qui est le premier président à avoir été en guerre chaque jour de ses huit ans de présidence, qui a mené sept guerres, qui a lâché trois bombes par heure, 24 heures par jour, en 2016 ». Comme l’affirmait Alan Nairn à Amy Goodman de Democracy Now au début de 2010, Obama a gardé la machine géante de l’impérialisme national réglée « sur la fonction tuer ».
Pendant ce temps, Obama a largement dépassé le régime Cheney-Bush quand il a été question de réprimer les protestataires antiguerre, sans oublier de mentionner ceux et celles qui se sont opposés au règne du 1% – écrasés par une campagne fédérale coordonnée en automne 2011. « Comme des journalistes de tout bord l’ont fait remarquer », notait Glenn Greenwald début 2014, « l’administration Obama est bien plus agressive et vindicative quand il s’agit de punir les lanceurs d’alerte que toutes les autres administrations de l’histoire américaine, y compris celle de Nixon ».
Une planète en feu qui fonce vers la catastrophe
De plus, et pour fortement aggraver la situation, Obama a contribué à garder la planète en feu. Comme le notait Stansfield Smith deux jours avant l’affreuse intronisation de Trump :
« Obama, qui dit avoir reconnu la menace que fait peser le changement climatique sur l’humanité, a investi au moins 34 milliards pour promouvoir des projets d’énergies fossiles dans d’autres pays. C’est trois fois ce que George W. Bush a dépensé en deux mandats, presque le double de Ronald Reagan, George W. Bush et Bill Clinton réunis… Obama a financé 70 projets d’énergies fossiles à l’étranger. Quand ils seront terminés, ils relâcheront 164 millions de tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère chaque année – à peu près le même débit que les 95 centrales de charbon actuelles dans l’Ohio, la Pennsylvanie et l’Oklahoma. Il a financé deux centrales de gaz naturel sur une île dans la grande barrière de corail, ainsi que deux des plus grandes mines de charbon de la planète… De plus, sous Obama, les USA ont inversé la baisse de la production de pétrole américaine, continue depuis 1971. Le pays pompait 5,1 millions de barils par jour quand Obama est devenu président. En avril 2016, ce chiffre atteignait 8,9 millions de barils par jour. Une hausse de 74 % ».
Comme Obama l’a fièrement annoncé en 2012, dans le film This Changes Everything :
« Pendant les trois dernières années, j’ai ordonné à mon administration d’ouvrir des millions d’hectares à l’exploration du gaz et du pétrole au sein de 23 états différents. Nous ouvrons jusqu’à 75 % de nos ressources potentielles en pétrole offshore. Nous avons quadruplé le nombre de plateformes pétrolières pour atteindre un record. Nous avons ajouté assez de pipelines d’essence et de gaz pour faire le tour de la terre et même plus. Donc, nous creusons maintenant partout ».
Peut-être que la lugubre présidence néolibérale d’Obama – une étape clef vers l’atrocité de Trump – a été au moins une leçon de choses démontrant à quel point un véritable changement progressiste et démocratique implique quelque chose de bien plus grand qu’un changement de parti ou la couleur de la personne au pouvoir. C’est certainement quelque chose que King (qui aurait 88 ans aujourd’hui) aurait très bien compris s’il avait pu être témoin de la fausseté sans fin de la première présidence non entièrement blanche du pays.
« La révolution noire », écrit King (dans un essai publié à titre posthume en 1964, A Testament of hope, s’attelant à un espoir authentiquement progressiste, bien différent de celui fourni par la marque Obama en 2008), « est bien plus qu’un combat pour les droits des Noirs. Il s’agit de forcer l’Amérique à faire face à des maux interconnectés – le racisme, la pauvreté, le militarisme et le matérialisme. C’est exposer les maux qui plongent leurs profondes racines dans l’ensemble de la structure de notre société. C’est révéler les défauts systémiques et non superficiels et appeler à la reconstruction radicale de la société elle-même comme enjeu fondamental ».
Une urgence toujours plus forte : un mouvement massif et populaire
Ces mots sonnent toujours aussi vrais aujourd’hui, avec une urgence encore plus forte alors qu’il devient indéniable que le système de la course aux profits conduit l’humanité vers un précipice environnemental. Ce sont des mots que nous n’avons jamais entendus durant les commémorations officielles de King.
King, il est important de le rappeler, a été approché par des progressistes antiguerre pour être candidat à la présidentielle américaine en 1967. Il a poliment décliné, arguant qu’il n’avait que peu de chances de gagner et qu’il préférait servir comme une force de conscience morale pour tous les partis politiques du pays.
Plus profondément, il est clair par ses discours et écrits tardifs qu’il ne voyait pas d’intérêt à grimper vers l’élite du pouvoir : sa passion était dirigée vers une « révolution » des « dépossédé·e·s » et un mouvement massif populaire pour la redistribution des richesses et du pouvoir – une « reconstruction radicale de la société elle-même » – par en bas. King était intéressé par ce que l’historien critique Howard Zinn considère comme la politique la plus importante, celle qui s’occupe de « qui descend dans les rues », bien différente de ce que Zinn voit, en comparaison, comme de la politique superficielle, celle qui se concentre sur « qui monte à la Maison-Blanche ».
Le souvenir radical officiellement passé sous silence de King et l’intelligente dichotomie de Zinn méritent d’être gardés à l’esprit durant les mois et les années à venir, alors que nous voyons la « gauche » du pays appeler de ses vœux un nouvel Obama (Oprah peut-être) en 2020. C’est certainement la dernière chose dont nous avons besoin.
Paul Street