La pièce se présente comme une série en peinture, ou une suite musicale. Chaque représentation est autonome, mais liée à un ensemble...
Philippe Caubère - C’est un tout, mais pas un feuilleton. La même pièce se déroule sur six jours. Il y a vingt ans, cela s’appelait La Danse du diable et durait trois heures. C’est pour cela que je l’ai appelée « La vraie danse du diable », puisque toutes les improvisations de l’époque sont contenues dans le spectacle. Cette pièce en six soirées, où le temps est une donnée métaphorique de la vie, et donc de la mort, a son point de départ dans cet événement intime qu’est la mort de ma mère pendant le tournage de Molière [1977, NLR], qui m’a fait quitter le Théâtre du soleil et chercher l’écriture à tout prix. Il a fallu vingt ans. La mort a fait naître, chez un jeune homme « insouciant » qui avait foi dans l’avenir, la politique, une notion d’urgence. On peut voir cette série comme un tout, ou dans n’importe quel ordre. Pour moi, elle tient à la fois du roman et du chamanisme.
Cette pièce présente le théâtre comme un monde qui contient tout : la répétition, la scène de famille, la figure de la mère... Est-ce un hommage au théâtre ?
P. Caubère - Il y a en effet une tentative mégalomaniaque, que je revendique, de tout contenir dans le théâtre. Les dix-huit heures de représentation sont comme un bras d’honneur à la mort, une preuve de vie, que seul le théâtre peut apporter. Cela ne fonctionne que si je suis seul sur scène, que je sois moi-même, ma mère, Ariane [Mnouchkine, NLDR]... C’est l’illusion, la magie du théâtre, la force d’imagination de l’acteur et du spectateur. Mais je n’aime pas l’idée d’hommage. L’hommage, c’est des types avec des écharpes bleu-blanc-rouge qui font des discours devant des statues. C’est une déclaration, un acte d’amour qui se fait tous les soirs. Un acteur seul, sans texte, peut faire le plus grand théâtre du monde. C’est Ariane Mnouchkine qui me l’a appris.
Tu as dit, dans un entretien à Télérama2, que « tu avais l’ambition de refaire le monde sur scène ». Le théâtre est-il un acte militant ?
P. Caubère - Oui. J’ai commencé à jouer dans la rue, comme Jolie Môme, à Aix, avec des gens de la Ligue, qui nous avait demandé de les aider à monter un spectacle sur la Commune, en 1971. Les copains de la LCR nous ont raconté la Commune et nous leur avons amené notre façon de faire du théâtre, inspiré du Magic Circus. À l’époque, théâtre et politique étaient toujours très liés, mais il y avait deux combats. À partir de 1981, quand j’ai fait mes premiers spectacles, je me suis dit : « Mon combat, c’est le théâtre. » J’ai toujours accompagné la Ligue, avec des désaccords énormes, mais je me sens libre d’avoir des divergences ou non, parce que mon terrain, c’est le théâtre. Je me bats contre le monde entier, et j’en suis fier. Sur le terrain du théâtre, je continue à être révolutionnaire.
La période évoquée dans le spectacle est celle de l’agit-prop, du théâtre politique. Trouves-tu opportun, aujourd’hui, de monter des pièces en rapport avec l’actualité ?
P. Caubère - Bien sûr, c’est même indispensable. Et c’est très difficile à faire. Benedetto a monté un spectacle à Avignon en 2003. Il avait un spectacle programmé, qu’il a interrompu en faisant grève. En huit jours, il a monté, avec tous les artistes qu’il a pu trouver, une pièce sur le problème des intermittents. J’ai été bouleversé par ce travail, mais surtout pour sa valeur esthétique. C’est la force du théâtre qui s’écrit avec l’actualité, et il faut savoir le faire. Si j’étais jeune acteur, je ferais des pièces sur ce qui se passe actuellement. Cela oblige à aller vite, sans se poser des questions intellectualistes. Pour revenir à Avignon, je comprends les metteurs en scène catastrophés par la grève. En 2003, j’ai fait grève, mais je n’ai pas de jugement là-dessus. Je ne l’ai pas faite le 6 décembre, mais j’ai lu un texte sur la question. Si j’avais fait un spectacle tous les soirs, j’aurais fait grève. Ce que je ne supporte pas, ce sont les acteurs qui n’aiment pas les interventions militantes pendant les cérémonies de merde, où les mecs de la sécurité se mettent sur la gueule avec les intermittents. Et cette hypocrisie, qui fait peser sur des saltimbanques la responsabilité des industries... Mais m’asseoir sur une scène pour empêcher un spectacle, je ne le ferais pas. C’est la contradiction de tout mouvement révolutionnaire. C’est le rôle des minorités. Sans blocage, parfois, la grève ne se ferait pas. Et si on la votait à bulletin secret, elle n’aurait jamais lieu.
Sur les perspectives politiques, le rassemblement des antilibéraux, quelle vision as-tu ?
P. Caubère - On peut regretter qu’il n’y ait pas de candidature unique. C’est impossible qu’elle soit représentée par Marie-George Buffet. Je dirais presque que c’est une question de casting, elle ne peut représenter la diversité. Il faudrait une figure vraiment charismatique, qui ne peut pas être José Bové. Pour moi, José Bové, c’est la lutte contre les OGM, que je soutiens, mais on ne peut pas noyer le poisson... Le seul qui pourrait le faire, c’est Besancenot, qui est vraiment en lien avec la jeunesse, le mouvement altermondialiste... En même temps, le texte de Daniel Bensaïd [3] est clair. On ne peut pas capituler devant un fantasme d’union. Je trouve dommage que la LCR ne soit pas arrivée à fédérer les autres. On ne sera pas plus avancé pour peser.
Notes
1. Un épilogue sera représenté au Théatre du Rond-Point en septembre 2007, et un film Truand de F. Schoenderffer sort en février 2007.
2. Télérama n° 2955, 6 septembre 2006.
3. Libération, « Réponse à Michel Onfray sur la question du rassemblement antilibéral », jeudi 7 décembre 2006.
Version complète de cette réponse sur ESSF : Une réponse à Michel Onfray : Histoires de mains