Le 13 décembre, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi constitutionnelle définissant un corps électoral restreint en Nouvelle-Calédonie. Cette mesure, qui refuse le droit de vote à des citoyens français lors de certaines élections, peut paraître, pour les militants de gauche, paradoxale.
Tout d’abord, rappelons que la Nouvelle-Calédonie est encore une colonie, inscrite à ce titre, par l’ONU, sur la liste des pays non autonomes. La population d’origine, les Kanaks, a été mise en minorité quelques dizaines d’années seulement après la prise de possession du territoire par la France, en 1853. Chassés de leurs terres, ils ont été parqués dans des réserves montagneuses où la terre est improductive, ce qui a provoqué des famines. Toutes les révoltes ont été réprimées dans le sang et le code de l’indigénat a maintenu jusqu’en 1946 les corvées obligatoires pour les indigènes. Pendant la Première Guerre mondiale, les hommes ont servi de chair à canon sur les champs de bataille européens. En 1918, la population kanak ne comptait plus que de 27 000 personnes, contre 42 000 en 1887. Jusqu’à récemment, la colonisation consistait en l’interdiction d’utiliser les langues kanaks, de suivre des études dans les écoles de la « République » et, aujourd’hui encore, d’accéder au travail salarié qui ne leur est ouvert que pour des emplois majoritairement subalternes.
Après la répression de la révolte des années 1980, les accords Matignon-Oudinot ont été signés, en 1988, sous l’égide de Michel Rocard, entre les indépendantistes et les défenseurs du statut colonial. Pour ces accords, les indépendantistes ont fait beaucoup de concessions, dont ils ne mesuraient pas forcément les implications. Dix-huit ans plus tard, l’indépendance n’est toujours pas acquise, alors que les accords devaient y conduire sous dix ans. Les indépendantistes ont, cependant, obtenu que la colonisation de peuplement ne soit plus un obstacle au processus d’accession à l’indépendance. En contrepartie de la reconnaissance pour les « victimes de l’histoire » - descendants de colons, bagnards, marchands... - du droit de vivre en Kanaky, les Kanaks ont obtenu que seuls les électeurs du territoire présents en 1988 et y restant, et ceux qui ont accédé depuis à la majorité, aient la possibilité de se prononcer sur l’avenir du territoire. C’est la notion de corps électoral figé.
Cette disposition a été reprise, en 1998, dans les accords de Nouméa en échange du report de vingt ans du référendum sur l’accession à l’indépendance et du transfert de certaines compétences de l’État colonial vers le territoire. Vouloir remettre en cause cet aspect des accords, comme le font aujourd’hui Sarkozy et le FN, est une énorme provocation. La faiblesse actuelle du mouvement indépendantiste est due essentiellement à la dérive d’ex-leaders qui ont préféré se contenter des attributs du pouvoir que l’État colonial leur a consenti dans le cadre des accords, plutôt que de poursuivre la lutte pour l’indépendance du pays. Croire que cette faiblesse est un renoncement des Kanaks à la lutte pour leur dignité et leur droit à la souveraineté est une terrible méprise, qui peut être lourde de conséquences.
Lors de son dernier congrès, l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE) a réaffirmé la position indépendantiste. La Kanaky est actuellement un territoire colonisé, les décisions qui régissent son mode d’administration dépendent de Paris, la majorité des profits tirés des richesses locales ne sert pas au territoire et va dans les caisses de compagnies françaises ou internationales. Ce n’est que quand les Kanaks auront retrouvé leur souveraineté politique et économique qu’ils se prononceront pour l’accueil des immigrés avec des droits pour eux, y compris plus larges que ceux accordés aux immigrés en France. En attendant, ils n’ont pas à subir les conséquences d’une immigration massive de métropolitains qui ne viennent sur place que pour s’enrichir, en participant au pillage du territoire sans se préoccuper de son avenir.