La CGT est majoritaire dans l’usine de Renault Billancourt, et le PCF l’organisation politique la plus importante. N’ont cessé de se manifester depuis 1945, dans et devant l’usine, divers groupes politiques, principalement de références trotskiste ou anarchiste. La « forteresse ouvrière » est sans doute l’usine de France la plus « politique ».
Depuis la fin de la guerre d’Algérie, la « routine syndicale » a repris son cours. Mais avec l’irruption du mouvement étudiant et les barricades, la répression policière est massivement perçue chez Renault comme inacceptable. L’appel des confédérations à la grève pour le lundi 13 mai est ressenti positivement. C’est le déferlement à la République. Fraternité retrouvée !
Les événements se précipitent. Le 14 mai, grève avec occupation à Sud Aviation. Le mercredi 15 mai, la grève démarre à Renault Cléon. Partout le sentiment que cette fois il faut y aller est dominant. Entre les usines Renault, les contacts s’établissent. Il n’y a pas internet, mais le téléphone fonctionne à plein régime. Et le jeudi 16 mai, c’est parti à Billancourt.
De la place Nationale, les professionnels du département 11 de l’atelier d’outillage central, déferlent en direction de l’Ile Seguin. La fusion est réalisée, délégués en tête, entre OS et ouvriers professionnels. Tout le monde est dans le coup. Enthousiasmant ! Vendredi 17 mai, la grève se généralise. L’usine est bloquée. La direction de l’usine et les cadres ont déserté les locaux.
L’occupation commence, différente de celle de 1936. Les grévistes font des apparitions ponctuelles, l’occupation étant le fait des militants et proches sympathisants des syndicats (les transports en grève ne facilitant pas les déplacements). Les travailleurs immigrés sont massivement présents. Pas d’assemblée générale quotidienne mais regroupement des occupants par atelier ou département.
Les militants d’extrême gauche présents dans l’usine interviennent dans leur secteur. Mais aucun d’entre eux ne modifiera le cours du mouvement.
Si les revendications pour la retraite à 60 ans, les 40 heures et l’augmentation des salaires avec l’échelle mobile soudaient les travailleurs, et si des discussions abordaient la question du rôle et du pouvoir des travailleurs dans une entreprise nationalisée comme Renault, la perspective politique n’apparaissait pas clairement.
De temps à autre un rassemblement général se faisait au carrefour Zola, où chaque syndicat s’exprimait. Alors que des revendications spécifiques (logement, formation professionnelle, promotion, alphabétisation) sont élaborées dans des commissions réunies pendant la grève, les immigrés pourtant majoritaires dans le mouvement se sont vus refuser le micro. À l’initiative de militants algériens et portugais expérimentés, un tract reprenant ces revendications fut rédigé à l’attention de leurs compatriotes.
Le sentiment diffus d’être « noyés » dans le mouvement général, né pendant ces journées d’occupation, eut des conséquences durables dans les décennies suivantes. Alors que jusqu’alors les luttes spécifiques des travailleurs immigrés avaient été marquées dans l’usine par la question nationale, Mai 1968 a été un moment clé de leur insertion dans le mouvement social autour de leurs revendications spécifiques de travailleurs et d’OS.
Clara et Henri Benoits, délégués du personnel CGT à Renault Billancourt en mai 1968