Souvent évoquée mais jamais adoptée, l’idée d’une écotaxe sur le carbone continue malgré tout son bonhomme de chemin. Le rapport Stern en fait un levier privilégié de lutte contre le réchauffement. Diverses personnalités ont relayé l’idée. La plupart des associations environnementalistes la soutiennent, parfois avec enthousiasme, toujours comme si elle allait de soi. Pourtant, il y a lieu de se poser des questions.
La taxe est présentée comme une alternative au système des quotas d’émission de gaz à effet de serre par pays. Ses partisans font valoir que la gestion des quotas est lourde, tandis que la taxe travaille toute seule. Mais pour que la taxe dissuade d’émettre du carbone ou d’acheter des produits dont la fabrication émet beaucoup de carbone, il faut qu’elle coûte plus cher que les mesures de réduction des émissions, ou renchérisse les produits à haute teneur en carbone à un point tel que le consommateur s’en détourne. Cela implique un prix élevé du carbone sur le marché mondial. Or, la libéralisation de ce marché, pour laquelle les partisans de la taxe plaident, va exactement dans le sens opposé puisque la délocalisation flexible des réductions d’émissions vers les pays en développement abaisse le prix du CO2.
Face à cela, on peut penser à supprimer les mécanismes flexibles. C’est la position que nous défendons. Mais cela demande un combat de grande ampleur, non seulement contre les partisans de la taxe, mais aussi contre ceux des quotas… On peut aussi proposer que le mécanisme spontané du marché, qui baisse le prix à court terme, soit contré systématiquement par un mécanisme de régulation à long terme, les gouvernements du monde entier se mettant d’accord sur un prix du carbone cohérent avec les impératifs de réduction des émissions, et sur sa traduction sous forme de taxe. Mais, en pratique, cet accord ne sera pas plus facile à dégager qu’un accord sur des quotas d’émission, au contraire. Les pays de l’UE ont pu se mettre d’accord sur des quotas, pas sur une taxe, parce que les systèmes fiscaux sont très différents, ce qui rend d’ailleurs le contrôle extrêmement compliqué.
Voyons cette question du contrôle, justement. Qui dit contrôle, dit sanctions en cas de non-respect. Kyoto, basé sur des quotas, prévoit que le pays qui ne respecte pas ses engagements en 2008-2012 devra les réaliser par la suite, mais moyennant une pénalité de 30% ; de plus, ce pays n’aura plus accès au marché des droits d’émission. Nous sommes critique sur Kyoto, mais il faut reconnaître que ces dispositifs ont l’avantage d’exercer une certaine pression. Or, si la taxe remplace les quotas, l’avantage disparaît, l’incitation par les prix remplace la contrainte par la norme et les sanctions disparaissent. Si ça ne marche pas, on se bornera à constater que le prix du carbone doit être relevé.
Passons aux aspects sociaux : la taxe frapperait entreprises et particuliers. A égalité ? Que nenni : au nom de la compétitivité, la taxe serait compensée par une baisse des « charges patronales » de sécurité sociale. Pour les patrons, c’est une opération blanche, d’autant que la taxe serait répercutée dans les prix des marchandises. Pour les consommateurs, c’est une autre paire de manche. Admettons qu’un tiers des émissions en Belgique soit imputable aux particuliers. A 20 dollars la tonne de CO2, une taxe représenterait en moyenne 80 dollars par personne et par an, sans compter la hausse des prix des biens de consommation (la hausse des salaires n’est pas prévue par les partisans de la taxe…). De plus, vu qu’il y aurait un seul prix mondial du carbone, le choc de la taxe et des prix serait proportionnellement plus dur pour les habitants des pays du Sud.
Le moins qu’on puisse dire est que l’efficacité environnementale d’une écotaxe mondiale sur le CO2 n’est pas prouvée. Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette proposition ne peut que rendre le combat écologique impopulaire aux yeux de la majorité de la population. Que ceux qui croient possible de sauver la planète dans ces conditions, lèvent la main.