S’il est deux couleurs qui sollicitent sans relâche l’imaginaire des Chinois, ce sont bien le vert et le bleu. À travers le pays, des affiches officielles en faveur de l’écologie figurent souvent une cité de cristal se dressant entre vallons luxuriants et cieux azuréens. Et le président Xi Jinping renchérit, confiant son espoir de voir chaque jour « des montagnes vertes » et « un ciel bleu » dans l’empire du Milieu, « de sorte que nos enfants puissent profiter d’un environnement agréable » (1). Mais, lorsque Mme Wei Dongying s’est mise à photographier le fleuve Qian Tang qui glisse sous ses fenêtres dans son village, Wuli (province du Zhejiang), dans le sud-est du pays, elle n’y a vu que des miroitements orangés sous un ciel laiteux.
Éparpillés sur le carrelage de sa salle à manger, cinq kilos de clichés compilés depuis 2003 dévoilent les canalisations d’une usine de teinture du groupe chimique chinois Ruicai dégorgeant des torrents de colorants dans le fleuve. Tel un corps contagieux, les eaux du Qian ont bientôt frappé ses riverains d’un mal pernicieux… et mué les villageois en chroniqueurs d’un décompte morbide : une soixantaine d’entre eux sont déjà décédés d’un cancer du poumon, du foie ou de l’estomac — « six de plus l’année dernière », précise-t-elle. La mère et le frère de son mari, un homme digne qui opine de la tête en l’écoutant, ont également succombé.
Wuli. Un dédale de ruelles de deux mille habitants que l’on sillonne sans quitter la banquette arrière d’un taxi, pour ne pas intriguer les mouchards qui rôdent. Et l’on n’en sort qu’au bout d’une impasse, pour saluer Mme Wei Dongying. Place alors à une mélopée mêlant cris, harangues et gémissements de colère. Durant des années, cette femme de 51 ans a accumulé les preuves de la pollution chimique, annoté des cartes, saisi les tribunaux et dénoncé l’inaction des autorités — qui, dit-elle, empochent volontiers des « enveloppes rouges » bourrées d’argent de la main des industriels en échange de leur mutisme. Quinze ans de lutte : « Les usines n’ont pas bougé, et nous sommes toujours coincés là, déplore-t-elle. Notre combat a-t-il été vraiment utile ? »
À l’image de cette figure de la lutte écologiste, une nébuleuse de militants verts a éclos depuis une vingtaine d’années. En formulant une critique acérée du désastre environnemental occasionné par trois décennies de capitalisme, ils interrogent aujourd’hui le bien-fondé du principal levier de la légitimité du Parti communiste chinois (PCC) depuis Deng Xiaoping : la politique de croissance économique.
Face à l’ampleur de la pollution, le parti a fait preuve de pragmatisme en accordant aux organisations non gouvernementales environnementales (ONGE) une latitude d’action étendue. Mais, leurs combats risquant de fragiliser le régime, elles font également l’objet d’une répression constante. Les militants verts se trouvent dès lors en situation d’insécurité permanente, tiraillés entre la critique du pouvoir et la nécessité d’inscrire leur action dans le long terme.
Mme Shen Chunyi fait partie des nombreux Chinois en colère. Comme les neuf millions d’habitants de Chengdu, la lugubre capitale de la province du Sichuan, cette étudiante de 19 ans, frêle silhouette et regard mélancolique, se sent prise au piège de la pollution atmosphérique. La faute à l’incessant trafic routier et à la présence d’une usine pétrochimique dans la ville voisine de Pengzhou : « Nous avons passé l’automne et l’hiver sans jamais apercevoir le ciel, soupire-t-elle. Aussi, lorsque le soleil a fini par percer il y a quelques jours, les gens ont sorti leurs appareils photo ! »La situation est devenue tellement intolérable qu’en décembre 2016 plusieurs centaines de personnes ont protesté sur le Tianfu Square, la place principale de la mégapole, des masques antipollution sur le visage. « La manifestation a été dispersée, ses meneurs arrêtés et les médias officiels réduits au silence », relate un habitant sous le sceau de l’anonymat. Et l’on ne sait pas ce que sont devenus les meneurs.
Pékin fait surveiller les gouvernements provinciaux
Plusieurs mois se sont écoulés, et pourtant une atmosphère pesante flotte encore sur le Tianfu Square, couvé par une intimidante statue de Mao Zedong. Des policiers lestés d’équipements antiémeutes sillonnent la place d’un pas viril. Plus loin, une escouade de véhicules, les gyrophares empourprés, semble prête à s’ébrouer. Deux voitures suivent tout à coup notre taxi. Et, dans certains lieux publics, un homme, probablement de la sécurité intérieure, nous a photographiés… Il vaut mieux quitter Chengdu.
Pacifiques ou violentes, 712 manifestations locales contre la pollution ont été recensées par les autorités en 2013 (2) ; certains parlent de 30 000 à 50 000. Cette nouvelle conscience écologique a nourri un terreau fertile pour l’éclosion des associations environnementales. La première, Les Amis de la nature, est née à Pékin en 1993. M. Yiqun Wu avait 31 ans lorsqu’il a commencé à y œuvrer, aux côtés de quelques dizaines de bénévoles. « Personne ne se souciait alors de l’environnement, se rappelle-t-il. Nos actions se résumaient à planter des arbres et faire de l’ornithologie. » Des activités inoffensives, jusqu’au moment où ces pionniers verts, s’inspirant de leurs homologues américains, se sont rassemblés et ont créé des ONG — un sigle contradictoire avec le caractère omnipotent d’un régime où les structures intermédiaires autorisées (ligues de jeunesse, associations professionnelles, syndicats) ont toujours procédé de son autorité.
Le désenclavement économique du pays a pourtant favorisé l’afflux de dons étrangers vers les ONGE. Des catastrophes, telles que les crues mortelles de 1998, aggravées par la déforestation et l’érosion des sols du fleuve Yangzi, ont mobilisé de nouveaux acteurs sociaux pour porter secours aux riverains. Tout comme le blocage emblématique, en 2004, de la construction d’un barrage sur le fleuve Nu, dans la province méridionale du Yunnan, qui aurait inondé un site naturel classé par l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Dans un système où tout part du sommet, les ONGE ont paradoxalement émergé de la base et depuis l’étranger. Ainsi, le pays, qui comptait neuf ONGE en 1994, selon l’ambassade de France à Pékin, en dénombre désormais officiellement près de 8 000 sur les 500 000 ONG déclarées (3). Leur nombre a doublé entre 2008 et 2013, à telle enseigne que, « de tous les mouvements associatifs, ceux concernant l’environnement ont connu la plus forte croissance ces dernières années », assure M. Yiqun Wu, qui, en 2012, a fondé sa propre ONGE, Vert éternel.
Pékin a fait le choix de leur accorder une liberté d’action singulière. « Elles peuvent, au niveau local, engager pléthore d’actions et critiquer le gouvernement. Vous seriez surpris de la tolérance du pouvoir à leur égard », observe Josh Chin, correspondant du Wall Street Journal à Pékin. M. Yiqun Wu, qui a créé Vert éternel avec 100 000 yuans (13 000 euros) de fonds personnels, en convient : naguère méfiantes, les autorités pékinoises sollicitent dorénavant son concours pour mener des campagnes de nettoyage — n’hésitant pas à le financer au passage. Les ONGE sont même invitées par l’État à évaluer l’impact écologique de projets de construction d’autoroute ou d’usine. Certaines, tel l’Institut des affaires publiques et environnementales, dirigé par le célèbre militant Ma Jun, éditent une liste noire des sociétés les moins respectueuses des réglementations écologiques, n’épargnant pas les très puissantes entreprises d’État.
Depuis 2015, elles sont même les seules à pouvoir demander réparation en justice contre des dégradations de l’environnement, encouragées par « des réglementations environnementales de plus en plus sévères », se réjouit l’avocat environnemental Wang Canfa. Cette année-là, une juridiction jugeait ainsi recevable une plainte des Amis de la nature contre l’entreprise pétrolière américaine ConocoPhillips, accusée d’être responsable d’une marée noire survenue en 2011 dans le golfe de Bohai, à l’est de Pékin. Me Wang Canfa espère que ce cadre légal permettra de relancer certaines actions judiciaires, embourbées dans les méandres de la justice chinoise, qu’il mène depuis 1998 pour le compte de son ONG, le Centre pour l’assistance légale aux victimes de pollution (CLAPV). Parmi elles, une affaire dans laquelle les habitants de Yushutun, un village de la province septentrionale de l’Heilongjiang, demandent réparation à la société d’État Qihua Group pour avoir rejeté des résidus de métaux alcalins et d’acide chlorhydrique autour d’une usine chimique (4).
Fortement décentralisé, l’État se débat avec un problème : le consensus sur l’urgence écologique qui règne au sommet du pouvoir n’est guère partagé à ses échelons inférieurs. Corruption aidant, les intérêts des apparatchiks locaux s’y confondent souvent avec ceux des industriels. Quelle politique environnementale peut-elle être mise en œuvre si les directives de Pékin restent lettre morte sur le terrain ? Or, en surveillant l’action des gouvernements provinciaux, les ONGE deviennent garantes de l’effectivité des décisions nationales. « Il y a une logique d’alliance tacite entre les associations et le pouvoir central afin de prendre en tenaille les gouvernements locaux, analyse Chloé Froissart, directrice du Centre franco-chinois de l’université Tsinghua à Pékin. Les ONG agissent ainsi comme un contre-pouvoir ad hoc au sein du système. »
Il arrive même que de hauts cadres du PCC transmettent des informations aux organisations afin d’interrompre des projets contestables. C’est par exemple ce qu’a fait M. Mou Guangfeng. Alerté par l’opacité qui entourait la décision de valider le projet de barrage sur le fleuve Nu en 2003, ce directeur adjoint du bureau d’études d’impact environnemental de l’Administration d’État de protection de l’environnement (SEPA) a recommandé à la fondatrice de l’ONGE Les Volontaires de la Terre verte, Mme Wang Yongchen, de conduire une contre-expertise. L’opposition qui en a résulté a poussé le premier ministre d’alors, M. Wen Jiabao, à ordonner l’arrêt de la construction du barrage l’année suivante (5).
Musique mélo et discours plein de bons sentiments
Le régime a conscience des attentes des classes moyennes portant sur la modernisation de l’État. Le rejet de la pollution, mais également de la corruption, des fraudes alimentaires ou encore des disparités de richesse, démontre qu’au désir de croissance s’ajoute désormais une aspiration à davantage de justice sociale. La capacité du parti-État à y répondre déterminera sa popularité, les équilibres de pouvoir en son sein — et la très probable reconduction de M. Xi Jinping dans ses fonctions lors du XIXe Congrès national, en octobre prochain. À défaut de droits civiques, les conditions d’une complicité réinventée avec le peuple passent en particulier par l’action des ONGE. Se voyant déléguer un rôle supplétif de protection de l’environnement, celles-ci participent en retour à l’amélioration du fonctionnement du PCC. Mais Pékin a tempéré sa relative bienveillance en instaurant des contre-feux. On le voit sans équivoque à Hangzhou, dans la province côtière du Zhejiang. Avec ses temples aux courbes effilées et son antique pagode des Six Harmonies, la « Venise de l’Orient » s’adosse nonchalamment aux berges du lac de l’Ouest. Un théâtre propice au rassemblement, à quelques encablures, de plusieurs centaines d’écoliers en uniforme dans le hall de l’école primaire Xuejun. Musique mélo et discours plein de bons sentiments : ce samedi, l’ONGE Zhejiang vert coorganise une matinée d’éducation aux valeurs de générosité, de dépassement de soi, d’attention à ses proches… À chacun de ces commandements correspond un « rêve » d’une couleur de l’arc-en-ciel — parmi lesquels un « rêve vert » d’une Chine pourvue de « montagnes verdoyantes et d’eaux bleues ».
M. Hao Xin, 36 ans, est vice-président de Zhejiang vert, qu’il a fondé en 2000. Il vante ses dix-sept salariés à plein temps, ses trois cents bénévoles recrutés notamment dans les milieux étudiants, ses projets d’écocommunautés et « les centaines d’autres activités menées ces dernières années ». Cet homme jovial l’admet : « Il a été, au début, difficile d’obtenir le soutien des autorités, l’enregistrement officiel de notre ONG a pris treize ans. » Tout est devenu beaucoup plus simple en 2012, lorsque M. Hao Xin, communiste depuis 1999, a doté l’association d’une cellule du parti. « Le PCC encourage toute nouvelle structure à établir sa propre cellule. Nous avons été la première ONG de la province à établir la nôtre », jure-t-il. En retour, l’organisation locale du PCC a mis gratuitement deux appartements à la disposition du personnel de Zhejiang vert. Ces avantages en nature s’ajoutent aux financements provenant, à parts égales, d’organismes privés chinois tels que la fondation du groupe de commerce en ligne Alibaba, des autorités et de donations individuelles. Et puis le parti sait honorer ses membres les plus assidus : « Notre association a reçu des milliers de prix en récompense de nos actions », renchérit M. Hao Xin.
En déployant un clientélisme d’État à son service, le PCC a ficelé les mains de M. Hao Xin. Quelles lignes rouges ne doit-il pas transgresser ? Notre interlocuteur se crispe, balbutie, puis esquive : « Il est très difficile de le dire, je ne suis pas bien placé pour répondre à cette question. » Dans la pratique, M. Hao Xin ne mêle pas son association aux manifestations contre la construction d’usines toxiques de production de paraxylène, un hydrocarbure utilisé dans la fabrication du polyester, qui ont éclaté dans la province ces dernières années. Il n’a pas davantage soutenu les habitants du village de Wuli, aux prises avec la contamination du Qian Tang, pourtant situé dans la proche banlieue de Hangzhou. Il est tenu à un strict devoir de loyauté envers le régime, lequel lui enjoint de ne jamais interroger sa légitimité.
Pékin a même institué ses propres associations paragouvernementales. Ainsi, la Fédération environnementale de Chine (ACEF) publie des listes rouges de la biodiversité dans les fleuves (6), conduit des campagnes auprès des foyers pékinois pour les inciter à réduire leur consommation d’électricité (7) et mène des actions judiciaires. Mais cette proximité entraîne une autocensure : les entreprises d’État ne peuvent être critiquées et « il est exclu d’intervenir dans les centaines de “villages du cancer” [où les taux de cancer enregistrés sont très supérieurs à la moyenne nationale] que compte le pays », déplore un employé d’ACEF qui veut rester anonyme. Celui-ci se rappelle également qu’il était impossible à son organisation de travailler dans la ville sichuanaise de Shifang, en proie à d’importantes manifestations contre la construction d’une usine métallurgique par le groupe Sichuan Hongda Group en 2012. « Il s’agit de l’une de ces zones en quarantaine que nous ne pouvons pas approcher », précise l’employé.
C’est dire si la position des ONGE indépendantes s’avère encore plus délicate. En témoigne celle fondée en 1996 par une militante vedette, Mme Liao Xiaoyi, Le Village global de Pékin, très active dans la région de l’agglomération de Qufu, dans la province côtière du Shandong. Ses membres y mènent notamment des programmes de recyclage de déchets et de culture de haricots biologiques. Or notre visite risque d’intervenir au même moment que le déplacement officiel, dans la ville de Qufu, d’un puissant apparatchik du PCC. Pas question de s’afficher avec la presse étrangère. L’approche du XIXe Congrès du parti a ouvert une période de durcissement du régime — et de fortes incertitudes pour les militants verts, y compris pour des personnalités pourtant bien vues du régime, telle Mme Liao Xiaoyi. « Tout le monde est d’une extrême prudence, s’excuse-t-elle. Mais nous nous sommes rencontrés et sommes amis, c’est très bien comme ça ! Revenez l’année prochaine ! »
Des cybercampagnes contre les industriels pollueurs
Les mécanismes d’inféodation des ONGE au régime se sont multipliés. Pour s’enregistrer, les associations doivent être parrainées par un organisme officiel. Puis « les sources de financement sont auditées à l’occasion d’un contrôle administratif annuel », relate M. Yiqun Wu. Il faut entretenir des échanges réguliers avec la bureaucratie et, à l’occasion, se soumettre à une « invitation pour le thé » (une vérification des antécédents). Le gouvernement a également entrepris de circonscrire les financements étrangers : depuis le 1er janvier 2017, les sept mille ONG non chinoises doivent s’homologuer auprès du ministère de la sécurité publique. Outre ces tracas bureaucratiques, elles doivent en permanence esquiver certaines zones sensibles, telles que le Tibet et le Xinjiang, et, surtout, ne cibler que les autorités locales sans jamais viser le pouvoir central. Le chercheur et éditorialiste Wu Qiang pense néanmoins que Pékin ne parviendra pas à ses fins. « La société civile se réinventera sous d’autres formes, pronostique-t-il, comme elle le fait actuellement avec les nouveaux outils d’Internet. » Les réseaux sociaux constituent en effet un espace d’expression plus informel pour les 731 millions d’internautes chinois (8). « On compte en Chine sept à huit milliards de comptes Weibo. Comment les autorités pourraient-elles tout contrôler ? »,interroge M. Deng Fei. Ce cyberactiviste écologiste de 39 ans mène depuis 2011 des campagnes contre les industriels pollueurs depuis ses comptes Weibo et WeChat, les deux plus grands réseaux sociaux de Chine. Il enjoint aux six millions d’internautes qui le suivent de faire pression sur le régime en publiant, à leur tour, des photographies des atteintes à l’environnement. « Weibo est le meilleur moyen de toucher un public plus jeune, mais aussi de le faire agir », explique-t-il. On peut y lire des informations, censurées dans les médias officiels, sur les dernières manifestations locales, verser de l’argent pour la protection des oiseaux migratoires et la reforestation du désert de Gobi sur des plates-formes de financement participatif, critiquer les autorités en maniant humour et dérision… De la sorte, les réseaux sont devenus le lieu approprié pour se frotter aux frontières, toujours mouvantes, de la censure : « Les lignes rouges sont souvent vagues, il faut donc les tester, et c’est justement l’intérêt des nouveaux médias de stimuler une créativité d’expression », analyse Mme Lin Li, de Greenpeace.
Difficile exercice d’équilibriste pour les avocats
Mais, dans un contexte où tout progrès de la liberté d’expression est précaire, de lourdes sanctions tombent fréquemment : en 2007, le militant Wu Lihong a été condamné à quatre années d’emprisonnement pour avoir trop vivement dénoncé la pollution du lac Tai, dans le Zhejiang. Et, en 2016, la militante écologiste Liu Shu a été arrêtée pour avoir révélé des données environnementales considérées comme secrets d’État dans la province méridionale du Hunan (9). « La liste des militants verts jetés en prison depuis vingt ans est longue », déplore Wu Qiang.
Impossible, également, de rencontrer Mme Chai Jing. La célèbre réalisatrice du documentaire Sous le dôme, consacré à la pollution atmosphérique et visionné 155 millions de fois dans la journée qui a suivi sa mise en ligne, en 2015, se sait surveillée et a décliné tout entretien. La situation est tout aussi complexe pour les avocats. Accusés de « subversion du pouvoir de l’État », des centaines d’entre eux ont fait l’objet de mesures répressives depuis 2015. Pour les plaideurs, s’engager dans un litige avec l’État, sans pour autant aller au conflit, est un difficile exercice d’équilibriste… « Nous agissons pour régler des problèmes, et non pas pour encourager les victimes de la pollution à agir contre les intérêts du gouvernement »,justifie, avec d’infinies précautions, Me Wang Canfa.
Pour l’immense majorité des militants, ballottés entre des cycles imprévisibles de relâchement puis de durcissement de la répression, le quotidien est fait d’insécurité. « Si une lutte demeure écologique et individuelle, cela ne pose pas de problème. Mais s’il s’agit d’une force politique organisée, cela devient dangereux », analyse Zhang Yanlong, professeur de sociologie à l’université de Pékin. Les militants peuvent donc bien rêver de vert et de bleu — mais à la condition que la Chine reste rouge.
Guillaume Pitron
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.
Footnotes
(1) « China’s Xi says he checks pollution first thing every day », Daily Mail, Londres, 10 novembre 2014.
(2) Eleonor Albert et Beina Xu, « China’s environmental crisis », Council on Foreign Relations, New York, 18 janvier 2016.
(3) Kathinka Fürst, « Regulating through leverage : Civil regulation in China », université d’Amsterdam, 2016.
(4) Cf. « A case of land and water pollution in Qiqiha’er city, Heilongjiang province » sur le site de CLAPV, 13 juin 2012.
(5) Cf. Andrew C. Mertha, China’s Water Warriors. Citizen Action and Policy Change,Cornell University Press, Ithaca, 2008.
(6) Cf. « Cards of the aquatic biological species in the ten major rivers of China » et « Catalogue of life China 2015 annual checklist, China biodiversity red list », 13 juillet 2015, www.acef.com.cn/en
(7) « UNDP and GEF kick off a green initiative to empower local communities and NGOs in protecting the environment and combating climate change », 27 mars 2010.
(8) « Statistical report on Internet development in China. The 39th survey report » (PDF), janvier 2017, China Internet Network Information Center.
(9) « China jails environmental activist for “revealing state secrets” », 11 octobre 2016, www.rfa.org