Le TÜMTİS a donné « un bon exemple » aux syndicats turcs en ce qui concerne l’importance de la solidarité internationale des travailleurs.
Au fur et à mesure que des entreprises internationales comme UPS et DHL commençaient à dominer le marché national dans les années 2000, le Syndicat des transporteurs routiers de Turquie (TÜMTİS), largement composé d’employés de sociétés de livraison à petite échelle, vit le nombre de ses membres commencer à s’amoindrir. Le syndicat décida alors de prendre une initiative audacieuse : cibler UPS. Le Secrétaire général de la syndicalisation, Muharrem Yıldırım, décrit cependant le geste comme une question de survie : « Syndicaliser UPS a été tellement difficile que si cela n’avait pas été nécessaire, cela aurait été impossible. »
Le succès rencontré par le TÜMTİS dans la signature d’une convention collective avec UPS en 2011 (une victoire remportée après neuf mois éprouvants sur les piquets de grève) a fait de ce syndicat un modèle pour d’autres syndicats qui affrontent un climat de syndicalisation de plus en plus hostile.
« En Turquie, la loi prévoit de très nombreux droits syndicaux en théorie ; cependant, dans la pratique, il existe des milliers de barrières pour empêcher les travailleurs de revendiquer ces droits, » déclare Kenan Özturk, président du TÜMTİS.
TÜMTİS a rencontré quelques-uns de ces obstacles au cours de ses premières tentatives de pénétration dans des entreprises internationales ; des oppositions documentées dans une étude de cas préparée par l’universitaire Alpkan Birelma et publiée par l’ONG allemande Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) en avril 2017. Par exemple : lorsque le TÜMTİS tenta de syndicaliser les travailleurs chez deux sous-traitants d’Unilever en 2008, un tribunal statua que ces sociétés ne relevaient pas de la compétence du syndicat, car il ne s’agissait pas d’entreprises de transport routier. Le droit du travail turc autorise un syndicat à organiser les travailleurs d’une industrie spécifique uniquement, selon la définition du ministère du Travail qui peut souvent se révéler arbitraire. Une autre tentative de syndicalisation de travailleurs, cette fois-ci dans une entreprise de charge portuaire sous-traitée sur un quai appartenant à une entreprise internationale, a échoué lorsque l’employeur avait transféré les employés en sous-traitance vers sa propre entreprise, faisant d’eux des dockers et les rendant donc inadmissibles comme membres du TÜMTİS.
Même si elles sont infructueuses, ces campagnes d’organisation syndicale ont permis de jeter les bases de victoires à venir pour TÜMTİS. Une nouvelle direction du TÜMTİS, indépendante de ses affiliations précédentes au parti socialiste, a favorisé un plus grand activisme dans le travail d’organisation du syndicat. Pendant le différend sur le port, par exemple, le TÜMTİS a organisé un piquet de grève pendant six mois. Le syndicat a également activement sollicité l’appui de la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), ce qui a été rendu possible par le caractère transnational des entreprises où TÜMTİS tentait d’organiser les travailleurs. Par exemple, l’ITF a soutenu les travailleurs du différend portuaire en visitant le piquet de grève et en écrivant à la société mère à Singapour. En conséquence, les dirigeants du TÜMTİS se sont réunis avec cinq fonctionnaires de l’ITF en 2009 lors d’une réunion historique sur les méthodes d’organisation à appliquer dans les grandes entreprises multinationales.
Lorsque le TÜMTİS a décidé de s’attaquer à la syndicalisation d’UPS, il a fait appel à cette relation nouvellement renforcée pour lancer une mobilisation internationale, notamment en organisant des manifestations simultanées contre UPS dans 23 pays. Les membres de l’ITF ont également fourni un important fonds de solidarité pour aider les travailleurs licenciés sur le piquet de grève et envoyé des délégations pour rendre visite aux membres grévistes du syndicat.
« Notre action en Turquie était importante, mais la solidarité internationale de l’ITF et de la CSI (Confédération syndicale internationale) a joué un rôle prédominant dans notre victoire, » déclare Özturk. « Il a constitué un excellent exemple pour les syndicats turcs quant à l’importance d’un mouvement international de travailleurs faisant preuve de solidarité les uns envers les autres. Suite à cela, de nombreux autres syndicats ont depuis commencé à développer de meilleures relations avec les fédérations internationales. »
La victoire chez UPS a également créé une dynamique pour la prochaine grande campagne de syndicalisation du TÜMTİS chez DHL. Le TÜMTİS a puisé dans les leçons de ce succès et de la cohésion interne pour s’attaquer à une autre multinationale, à nouveau en étroite collaboration avec l’ITF qui, de son côté, a exercé des pressions internationales contre le gouvernement allemand, l’actionnaire majoritaire de la société. Cette longue campagne d’un an et demi a mis en avant un autre défi pour les syndicats indépendants de Turquie : la croissance rapide de confédérations syndicales progouvernementales à laquelle on assiste récemment. Dans le cadre d’une tentative de briser la mobilisation du TÜMTİS, la direction de DHL a fait pression sur ses travailleurs afin qu’ils rejoignent l’un de ces syndicats.
Au bout du compte, la détermination du TÜMTİS l’a emporté et le ministère du Travail a accordé au syndicat la reconnaissance officielle pour signer une convention collective avec DHL. Les campagnes fructueuses ultérieures dans les entreprises turques Aras Kargo et DHL Express sont en attente de reconnaissance. C’est par ailleurs aussi le cas de la demande d’un nouveau procès qui a été introduite par le TÜMTİS après la récente condamnation de 14 de ses dirigeants dans une affaire remontant à 2007 et qui est considérée comme une menace pour tous les syndicats indépendants dans leur capacité à organiser la syndicalisation en Turquie.
« L’ITF aide le TÜMTİS à s’opposer à ces condamnations aussi bien à travers le système judiciaire que par l’intermédiaire de la mobilisation d’un soutien syndical international, » affirme Noël Coard, Directeur des transports intérieurs de l’ITF. « Nos collègues en Turquie sont souvent confrontés à la violence et à l’emprisonnement. Ces attaques qui visent non seulement les droits du travail, mais aussi nos collègues syndicalistes doivent activement être opposées et l’ont été par ailleurs. »
An Inspiring Case of Union Organizing in a Formidable Context : The Case of TÜMTİS in Turkey by Alpkan Birelma
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article44858
Jennifer Hattam
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