
Source : http://www.mapsopensource.com/nicaragua-political-map.html
Nicaragua. La dynamique des événements (17 juin)
1.- Pour ce qui est de la dynamique des événements du 15 au 17 juin 2018, nous pouvons tirer la conclusion suivante : le gouvernement Ortega-Murillo n’a pas la volonté politique de trouver une solution pacifique à la crise du pays. Ni de quitter le pouvoir. C’est pourquoi il a lancé une offensive terroriste avec la police, des tueurs à gages et des milices paramilitaires dans les villes de Masaya, León, Estelí et les quartiers est de la ville de Managua.
2.- L’Organisation des Etats américains (OEA) et la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) condamnent le massacre perpétré par des paramilitaires affiliés au gouvernement.
3.- Le gouvernement Ortega-Murillo montre que, parallèlement au Dialogue national, ils continuent d’agir avec une mentalité de guerre contre le peuple parce qu’il est en train de perdre de plus en plus de segments de sa propre base sociale dans les différents départements et dans l’Etat dans son ensemble.
4.- Des groupes paramilitaires lourdement armés tuent, kidnappent et torturent, au grand jour, sous la protection de l’exécutif et la protection/association des officiers de police. Dans son dernier rapport, l’Association nicaraguayenne pour les droits de l’homme (ANPDH) indique 215 morts, plus de 2000 blessés et des centaines de disparus ; ce jusqu’à 11h45 (heure locale) ce dimanche 17 juin 2018.
5.- Deux fronts de lutte existent en parallèle : 1° la rue [dans les quartiers, les villes, etc.] et les grands axes avec des barrages routiers, avec des revers infligés au gouvernement Ortega-Murillo dans certains endroits ; la population assassinée et attaquée sur des barrages routiers et dans les rues, jour et nuit ; et 2° la table du Dialogue national à laquelle la délégation gouvernementale a imposé son rythme avec plus de ruse et de compétence que les représentants de l’Alliance Civique pour la Justice et la Démocratie (ACDJ).
6.- L’ACDJ regroupe des hommes d’affaires du COSEP (Conseil supérieur de l’entreprise privée au Nicaragua), des mouvements sociaux tels que le mouvement paysan qui lutte [depuis des années] contre la concession accordée [à un consortium chinois : Hong Kong Nicaragua Developement] du canal interocéanique [reliant l’océan Atlantique à l’océan Pacifique, en utilisant le lac Nicaragua qui se situe quelques dizaines de mètres au-dessus du niveau de la mer ; les effets sociaux et environnementaux désastreux sont bien documentés], les organisations féministes et de la société civile ainsi que les cinq mouvements qui composent la Coalition universitaire : le Mouvement universitaire le 19 avril, Mouvement étudiant du 19 avril, la Coordination pour la justice et la démocratie, l’Alliance universitaire du Nicaragua et les étudiants de l’Université nationale d’agronomie (UNA).
7.- La tactique prioritaire du gouvernement est l’écrasement physique à tours de bras du peuple par la force afin de susciter l’intimidation, la peur et la terreur. Un objectif qui n’a pas été atteint parce que la population est de plus en plus révoltée et reste sans utiliser d’armes, ce qui est une attitude sans précédent dans la lutte au Nicaragua.
8.- Les représentants du gouvernement tentent de construire un récit pour disqualifier, face à la « communauté internationale », les représentants de la société qui participent au Dialogue national et ceux du mouvement citoyen. Le gouvernement subit de fortes pressions internationales de la part de plusieurs pays d’Amérique latine, d’Europe, des Etats-Unis et d’organismes internationaux.
9.- Un autre objectif du gouvernement est que les représentants de l’ACDJ et/ou les évêques de la Conférence épiscopale nicaraguayenne (CEN) soient ceux qui se retirent de la table de négociation et que soit ainsi mis fin au Dialogue national. Voilà la raison expliquant le haut niveau de cynisme dans ses interventions, parce que, sur le fond, il tente de provoquer la colère et la rage afin qu’aussi bien l’ACDJ et les évêques perdent le contrôle.
10.- Malgré ses limites, le Dialogue national est un autre espace de lutte ; c’est un espace valable et légitime. C’est l’espace où la « politique de terreur » du gouvernement est exposée, enregistrée et documentée.
11.- Ortega ment sans vergogne. Il mène une guerre d’usure dans laquelle il dit une chose et en fait une autre. Le gouvernement Ortega-Murillo agit contre les manifestants avec la même férocité répressive que la dictature Somoza. Ortega, en tant que personnage du Seigneur des Anneaux [allusion au film et à l’ouvrage de J.R.R. Tolkien], n’a pas pu échapper à l’influence la plus perverse et négative du pouvoir et est devenu un dictateur comme Somoza.
12.- Le grand capital a pris ses distances face à Ortega-Murillo. Il avait octroyé au régime un statut d’acteur favorable à l’économie en échange d’un bon environnement pour ses affaires et ses profits extraordinaires. Il avait préféré fermer les yeux sur la démolition complète de l’opposition politique et le monopole absolu de toutes les institutions et des pouvoirs publics. Aujourd’hui, ses membres ont peur de payer le prix de leur folie, alors ils s’accrochent à une « sortie en douceur » de situation, ce qui signifie un orteguisme sans Ortega.
13.- La passivité des militaires dans cette crise suscite des lectures diverses : pour certains, cela signifie qu’ils sont complices d’Ortega-Murillo ; d’autres pensent qu’ils ont tourné le dos au régime ; et il y a ceux qui applaudissent le fait qu’ils restent dans leurs casernes parce que si le « remède » en sort, cela pourrait être pire que la maladie.
14.- L’intervention de l’armée est considérée comme la clé pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Cependant, jusqu’à présent, l’institution militaire, pour ce qui a trait à ces actions publiques, a nié toute participation au conflit et s’est engagée à ne pas prendre les armes contre les manifestants.
15.- Le 12 mai, l’armée a publié une déclaration ambiguë appelant à la non-violence, soutenant le dialogue et la Conférence épiscopale, mais ne condamnant pas les morts causées par les forces paramilitaires du gouvernement.
16.- La principale raison pour laquelle l’armée garde ses distances, c’est parce qu’elle s’occupe de ses intérêts économiques et en tant qu’entreprise. En plus des investissements au Nicaragua, l’institution militaire détient des actions à la Bourse de New York et d’autres investissements aux Etats-Unis. Dès lors, s’impliquer directement avec Ortega dans ce contexte pourrait susciter des sanctions économiques de la part les Etats-Unis contre l’institution et les membres de son commandement.
17.- Une autre raison de ne pas intervenir est de préserver le cadre institutionnel d’une transition politique, puisque l’armée, contrairement à la police, est actuellement l’une des rares institutions publiques qui n’a pas de « sang sur les mains ». L’armée, pour sa survie, doit prendre ses distances face aux « folies » irrémédiables du gouvernement Ortega-Murillo.
18.- A l’heure actuelle, il ne doit même pas y avoir quatre-vingts membres de l’armée qui ont commencé leur carrière comme officier après 1990 [date de la défaite électorale du FSLN, de Daniel Ortega face à Violetta Chamorro ; un Nicaragua soumis à des sanctions économiques et la guerre menée par la « contra » ; Humberto Ortega est resté à la tête de l’armée jusqu’en 1995]. Depuis quelque temps déjà, ce secteur est minoritaire dans l’armée.
19.- Les villes de Masaya, Catarina [département de Masaya], Niquinohomo [département de Masaya], Jinotepe, Dolores [département de Carazo] et Diriamba sont sous contrôle de l’insurrection civique. Dans la ville de León, seul le centre-ville n’est pas encore tombé. Les barrages sont maintenus dans le nord du pays et dans le corridor Boaco [département du même nom, à 90 km de Managua], Juigalpa [département de Chontales, à 140 kilomètres de Managua] qui atteint Nueva Guinea [de la Région autonome de la Côte Caraïbe]. Il n’y a ni d’entrée ni sortie du pays pour le transport international ; quelque 6000 camions sont immobilisés sur les routes du pays ; la situation à ce propos reste identique à la période passée.
20.- Le 16 juin, après avoir pris Nindirí [département de Masaya] et démonté les barrages routiers, la police et les paramilitaires sont entrés dans la ville, tuant et capturant, maison par maison, tous ceux qui étaient soupçonnés d’être des membres de l’opposition insurgée. Ils l’avaient déjà fait dans la ville de Masatepe [département de Masaya].
21.- A Matagalpa, des centaines de personnes ont défilé le 16 juin dans les rues principales de la ville pour demander la justice et la fin de la répression. Une personne tuée dans la ville de Bilwi, sur la côte caraïbe, une autre blessée à San Marcos [département de Carazo]. Des pénuries de carburant se relèvent à Esteli suite aux mobilisations des 16 et 17 juin. A Bilwi [région de la Caraïbe Nord], des individus non identifiés ont pillé des entreprises appartenant à des dirigeants bien connus du parti au pouvoir.
22.- La grève générale du 14 juin a été appelée non pas pour destituer le gouvernement, mais pour reprendre les négociations. J’entends par là : comme un simple mécanisme de pression. La grève a été un succès parce que les gens veulent une action décisive pour mettre fin aux massacres et au gouvernement Ortega-Murillo.
23.- Les tactiques dilatoires du gouvernement ont pour but de regrouper ses forces et de montrer au gouvernement des Etats-Unis que, malgré la crise, il est assez fort pour rester au pouvoir. Il veut aussi tenter de montrer sa volonté de sortir de la crise par le dialogue/négociation afin d’éviter les sanctions du Congrès américain.
24.- Dans ces conditions, le dialogue national a repris les 15 et 16 juin. Le gouvernement Ortega-Murillo a « cédé » sur le fait que puissent arriver dans le pays, sans spécifier la date, la mission de la CIDH (Commission interaméricaine des droits de l’homme), le Groupe international de chercheurs sur la violence, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, l’Union européenne et l’OEA.
25.- Il est clair que les accords établis dans le cadre du Dialogue national, Ortega ne les a jamais respectés. Les barrages routiers, de même, ne vont pas disparaître. Personne ne peut accepter l’élimination des barrages sans d’abord être assuré qu’Ortega-Murillo évacue le pouvoir.
26.- Le lien entre le dialogue et la rue doit être maintenu. Cette lutte se déroule dans des espaces différents et avec des langages différents, mais avec le même objectif : arrêter le massacre, arrêter la répression et le départ d’Ortega-Murillo.
27.- Avec la présence d’organismes internationaux sur le terrain, la culpabilité pour crimes contre l’humanité peut facilement être confirmée par les organismes internationaux. Les massacres contre la résistance et la révolution civique constituent l’élément fondamental pour exiger la démission immédiate d’Ortega-Murillo et le désarmement des paramilitaires.
28.- Dans les médias locaux, il a été publié qu’Ortega a dit à un délégué du Sénat américain qu’il serait prêt à des élections anticipées, mais pas à quitter le pouvoir.
29.- Ortega a proposé d’avancer les élections à 2019 afin d’obtenir plus de temps au pouvoir au cours duquel il prévoit de trouver de nouvelles astuces pour rester indéfiniment à la présidence.
30.- Dans le même temps, le gouvernement prolonge le délai pour prendre une décision sur l’éventuelle élection anticipée, dans le but d’améliorer les rapports de forces en sa faveur. Ce temps est également consacré par le gouvernement à la mise en œuvre d’une opération de nettoyage dans plusieurs villes, comme c’est le cas à Masatepe et à Managua.
31.- Par exemple, dans la ville de Managua, les milices ont incendié une maison de trois étages avec une famille à l’intérieur. Deux petits enfants et quatre adultes sont morts. Les paramilitaires et la police en sont responsables. Les deux survivants et les témoins accusent les hommes de main du gouvernement comme étant les responsables de l’incendie.
32.- L’objectif central du gouvernement est de contenir l’insurrection populaire, de prévenir le renversement du gouvernement, de surmonter la crise et de promettre aux milieux d’affaires de déclarer des élections anticipées.
33.- Si, dans les semaines à venir, le gouvernement parvient à modifier le rapport de forces sur le terrain, affaiblissant ou démoralisant la résistance des barrages, alors tout aura changé parce qu’il aura survécu à la phase la plus défavorable.
34.- Cependant, le samedi 16 juin, l’Articulation des mouvements sociaux et des organisations de la société civile a appelé au renforcement et à la multiplication des barrages qui sont la seule garantie pour les citoyens de neutraliser les escadrons de la mort protégés par le gouvernement.
35.- Si la revendication de démission immédiate d’Ortega-Murillo est abandonnée, de facto, il sera accepté que le gouvernement puisse survivre jusqu’à la tenue de ces élections anticipées, à une date indéterminée. Tout ordre du jour qui laisse de côté le thème central du départ du gouvernement Ortega-Murrilo revient à une trahison du peuple et des morts.
36.- Dans la rue, du dialogue national est perçu avec méfiance parce que, jusqu’à présent, ce qui s’en est suivi est une augmentation de la violence et que le gouvernement n’a pas respecté les conditions fixées pour l’ouverture de ce dialogue. En n’assumant pas ces conditions, le gouvernement nous dit que n’existe pas une intention de dialogue et qu’il essaie de prolonger tout le système de répression dans la perspective de démobiliser et d’épuiser la population insurgée.
37.- Dans ce dialogue, est réelle la séparation entre les négociateurs de l’ACDJ, d’une part, et, d’autre part, la dynamique sociopolitique des barrages. La réalité est que les représentants de l’ACDJ ne dirigent pas le mouvement social des barrages ; ces derniers ont leur propre dynamique. Cette contradiction entre les bases sociales du mouvement insurrectionnel et la conduite des négociations entre les mains des hommes d’affaires est réelle. Le gouvernement le sait, alors il essaie d’approfondir ce type de contradiction pour son propre bénéfice.
38.- Les mouvements sociaux et étudiants sont majoritaires, ce sont eux qui ont marché et combattu dans les rues, ce sont eux qui risquent leur vie dans les barrages. Ceux qui mènent les négociations sont les hommes d’affaires du COSEP et de la FUNIDES (Fondation économique pour le développement économique et social), qui est un centre réflexion des grands groupes économiques.
39.- Les mouvements sociaux et étudiants doivent reprendre le contrôle des négociations, les arracher des mains du COSEP/FUNIDES, afin d’atteindre l’objectif de destituer le couple présidentiel du gouvernement, premier pas réel et véritable dans la démocratisation du Nicaragua.
40.- Répéter l’expérience de la ville de León, promouvoir la grève ville par ville jusqu’à atteindre la grève générale indéfinie, ce qui donnerait les conditions pour le départ définitif d’Ortega-Murillo.
41.- La voie vers la démocratie proposée par l’Articulation des mouvements sociaux et des Organisations de la société civile comprend quatre étapes majeures : 1° le départ d’Ortega-Murillo du pouvoir ; 2° la formation d’un gouvernement de transition ; 3° l’élection d’une Assemblée constituante ; et 4° des élections générales, une fois qu’une nouvelle constitution politique est en place.
42.- A mon avis, il n’y a pas d’autre issue à la crise sociopolitique que la démission immédiate du pouvoir d’Ortega-Murillo, sinon la répression, les morts continueront.
Oscar-René Vargas, Managua, 17 juin 2018
* Traduction A l’Encontre publiée le 18 juin 2018 :
http://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/nicaragua-la-dynamique-des-evenements-17-juin.html

Source : mapsopensource.com
Grève générale au Nicaragua, ce 14 juin 2018
1.- Depuis le 18 avril jusqu’au 13 juin 2018, le Nicaragua a connu 58 journées de protestations citoyennes, au cours desquelles le peuple a demandé la destitution immédiate d’Ortega-Murillo. Ces manifestations ont été réprimées par l’Etat, faisant au moins 168 morts.
2.- La police, sous le commandement de Daniel Ortega, a mené une offensive contre l’insurrection citoyenne, une répression conduite en particulier par des mercenaires, des tueurs à gages et des forces de choc qui ont imposé la terreur au sein de la population nicaraguayenne. Cette stratégie s’explique par le fait que la rébellion civique dans différentes régions du pays excède par son ampleur le nombre d’agents enrôlés dans l’institution policière. Cela explique pourquoi la stratégie officielle consiste à attaquer une ville différente chaque jour. Les forces policières sont descendues dans les rues aux côtés des tueurs à gages afin d’intimider la population, de détruire les barricades que les citoyens et citoyennes ont construites pour leur sécurité, à l’entrée de leur quartier et/ou de leur ville.
3.- Ces actions policières démontrent que le gouvernement Ortega-Murillo n’a pas la capacité de gérer l’ensemble de la situation au niveau national. Selon le rapport annuel de la Police nationale en 2016, le plus récent publié, le pouvoir étatique disposait alors 15’139 agents pour couvrir 121’428 kilomètres carrés, soit une moyenne de 24 policiers pour dix mille habitants en 2016, chiffre qui n’a pas changé en avril 2018, selon le budget général de la République, en 2018.
4.- La répression gouvernementale dans plusieurs villes du pays renvoie à une « stratégie de terreur » face à l’incapacité de la police et des tueurs à gages de mettre fin aux défilés massifs et aux manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays. Malgré la force brutale utilisée par ces groupes paramilitaires, cette stratégie visant à instiller la frayeur n’a pas donné les résultats attendus par Ortega.
5.- Ortega-Murillo a créé, en deux mois, une organisation criminelle, parce qu’en faisant de ces secteurs lumpens des gangs, en les organisant, en les armant et en leur donnant la protection de l’impunité, il les transforme en future institution du crime organisé du pays, en futures « maras » du Nicaragua [gangs de jeunes dont les « activités » vont du cambriolage, au proxénétisme, en passant par le racket et le trafic de la drogue, très présents au Salvador, au Guatemala, au Honduras].
6.- Il doit être clair que les Ortega-Murillo ne sont pas de gauche, comme le pensent de nombreux secteurs progressistes à l’échelle internationale. L’ortéguisme est un régime décomposé, corrompu et rétrograde qui discrédite les secteurs de la gauche et progressistes du monde.
7.– L’armée au minimum a manifesté une complicité passive. Il y a plusieurs indices qui indiquent que l’armée est partiellement impliquée dans la mise à disposition de soldats et dans un appui militaire technique. Selon la Constitution politique du Nicaragua, l’armée est la seule institution autorisée à avoir le monopole de la violence et des armes, de sorte qu’en ne désarmant pas les groupes paramilitaires, les tueurs à gages et les truands elle se place, de facto, du côté de Daniel Ortega.
8.- Le mercredi 13 juin 2018, des paramilitaires ortéguistes ont attaqué durant la nuit des habitants qui surveillent des barricades dans diverses parties de la ville de Léon (la deuxième ville du pays).
Masatepe (ville du département de Masaya) a été attaquée par les paramilitaires et la police antiémeute, faisant au moins quatre morts.
A Managua, les habitants de différents quartiers ont signalé des fusillades durant la nuit du 13 au 14 juin. En outre, les agents de la police nationale ont arrêté tous les citoyens circulant la nuit.
Dans la ville de Diriamba (département de Carazo), une quarantaine de policiers qui se trouvaient dans leurs locaux ont enlevé leurs vêtements et se sont enfuis lorsqu’ils ont vu la population insurgée entourer leur caserne.
9.- Le jeudi 14 juin, l’ensemble du Nicaragua s’est réveillé au milieu d’une grève nationale aux effets paralysants, avec des barrages routiers, des rues désertes et des magasins fermés. Les barrages routiers ne laissent la possibilité d’aucun passage dans divers départements du pays. Les rues des quartiers de Managua, la capitale, à l’aube, étaient bloquées par les barricades, toujours en place. A El Carmen, où se trouve la résidence de Daniel Ortega et des institutions du régime, le périmètre de sécurité a été élargi depuis plusieurs jours.
Les sept barrages routiers situés dans le département de Boaco (capitale du même nom) sont maintenus et ne permettent pas la circulation des véhicules pendant la grève nationale de 24 heures de ce 14 juin.
A Ciudad Sandino (département de Managua), les commerçants se sont joints à la grève nationale. Le marché et les commerces situés sur la rue Centrale n’ont pas ouvert leurs portes. Cependant, dans cette zone, il y a des travailleurs de la municipalité [l’appel à la grève a aussi été adressé aux salariés de la fonction publique] qui nettoient les rues.
Les quartiers de León, dans lesquels se construisent des barrages depuis des semaines, se sont réveillés avec les rues totalement bloquées.
Dans le département Rivas (capitale du même nom), située à la frontière du Costa Rica, la grève nationale a commencé au milieu du bruit des casseroles et de détonations des mortiers artisanaux, cela dans différentes parties du département.
A l’échelle nationale, des entreprises comme des restaurants, des bars, les pharmacies et les coopératives laitières sont fermées. Les marchés, les stations-service, les banques, entre autres, n’ont pas ouvert pour se joindre à la grève nationale. C’est-à-dire que le Nicaragua dit clairement et avec force à Ortega-Murillo de s’en aller.
10.– Dans une déclaration officielle de l’ONU, datant du 14 juin, les experts en droits de l’homme ont appelé à mettre fin immédiatement à la violence et à la répression au Nicaragua, afin qu’un terme soit mis à une crise nationale de deux mois, marquée par les « troubles sociaux et politiques ».
11.– Un groupe bipartisan étasunien, composé de quatre sénateurs de la Commission des relations étrangères, a présenté un projet de loi visant à imposer des sanctions aux fonctionnaires du gouvernement nicaraguayen qui auraient été impliqués dans des activités répressives pendant les massacres d’avril, de mai et juin, ainsi que dans des violations des droits de l’homme et des actes de corruption.
12.– Les évêques de la Conférence épiscopale ont annoncé que le dialogue national reprendra le vendredi 15 juin au Séminaire national de Fatima (Managua). La décision a été prise après qu’Ortega a répondu à la lettre que les évêques lui ont présentée le jeudi 7 juin comme étant une proposition pour la démocratisation du Nicaragua. La lettre d’Ortega propose le scénario 2 que nous avons analysé dans l’article précédent, datant du 12 juin (point 37).
13.– La proposition (d’Ortega) a été présentée aux évêques de la Conférence épiscopale nicaraguayenne (CEN) et à l’Alliance civique qui participent à la table du dialogue national par l’ambassadrice américaine Laura Dogu et Caleb McCarry, un représentant de la Commission sénatoriale des relations étrangères qui est arrivée au Nicaragua le week-end dernier.
14.- Daniel Ortega aurait informé le gouvernement états-unien de sa volonté d’avancer la date les élections au Nicaragua au premier semestre 2019, afin de résoudre la crise affectant le pays. En d’autres termes, Ortega resterait au pouvoir jusqu’à cette date, contrairement au tollé populaire qui exige son départ immédiat de la présidence.
15.– Ortega propose des changements au sein du Conseil électoral suprême, de la Cour suprême et de certaines institutions étatiques.
16.- La proposition d’Ortega-Murillo est similaire à ce que l’OEA (Organisation des Etat américains) avait promu dans les coulisses. Autrement dit, il s’agit d’élections anticipées, dites transparentes et supervisées ; certaines institutions devraient être nettoyées, mais Ortega reste au pouvoir, ce qui lui permettrait d’utiliser l’argent détourné et de jouir de l’impunité.
17.- Tout indique que le grand capital est d’accord avec la proposition d’Ortega. En d’autres termes, les acteurs suivants sont d’accord : les Etats-Unis, l’OEA, Ortega, le grand capital, l’armée et peut-être une majorité des évêques.
18.- Le grand capital s’est joint à la grève nationale avec l’objectif de récupérer une légitimité sociale, appelant à une grève [de 24 heures, le 14 juin], dans une perspective plus symbolique que réelle, dans le but de pouvoir influencer le cours de la situation sociale et politique. Et, de la sorte, répondre au besoin de se laver les mains afin de faire oublier que le grand capital [entre autres, le COSEP – Conseil supérieur de l’entreprise privée, avec comme président José Adan Aguerri] a été, depuis onze ans, le principal allié du régime.
19- Ortega « cède » en utilisant le calendrier électoral qui a été négocié avec les Etats-Unis, avec l’aide de Luis Almagro [secrétaire de l’OEA, diplomate uruguayen], qui précise ainsi le rôle de l’OEA entre la date actuelle et celle des élections anticipées.
20.- Cet accord sera vendu à la population comme le triomphe du dialogue national : le couple Ortega-Murillo [président et vide-présidente] partira ; il ne sera pas candidat aux prochaines élections. Les évêques, le COSEP et Carlos Pellas (le premier milliardaire du Nicaragua et un pilier de la Chambre commerciale Etats-Unis-Nicaragua) et Luis Almagro sortent sur des chevaux blancs.
21.- Il sera dit aux étudiant·e·s et à la population insurgée qu’ils ont triomphé, qu’Ortega s’en va, que la paix revient. Et on leur demandera de démanteler les barricades.
22.- Trois questions principales découlent de ce scénario de départ d’Ortega-Murillo. La première : les 1,5 million de personnes qui se sont mobilisées activement dans tout le pays pour exiger un départ immédiat vont-elles accepter le maintien d’Ortega jusqu’en 2019 ?
23.- La deuxième : celle de la justice pour les morts. Les voyous, les tueurs à gages, les assassins – responsables de la mort d’au moins 168 personnes et de plus de 1500 blessés ainsi que de centaines de disparus – resteront-ils impunis ?
24.- La troisième : la police a perdu toute crédibilité, et les commandants de ce corps répressif resteront-ils aussi impunis ?
25.– Le grand problème pour la réalisation concrète de ce scénario est qu’il y a un divorce complet entre les revendications élémentaires de la population qui occupent la rue et les arrangements au sommet que les acteurs mentionnés veulent promouvoir. Il appartiendra à la rue, aux barrages et aux mobilisations des habitants des quartiers et des paysans d’empêcher ce pacte passé au sommet, que ses promoteurs veulent imposer comme solution à la crise présente.
Oscar-René Vargas, Managua, 14 juin 2018
* Traduction A l’Encontre publiée le 15 juin 2018 :
http://alencontre.org/video/greve-generale-au-nicaragua-ce-14-juin-2018.html
Nicaragua. La fin d’Ortega-Murillo
1. Des policiers en uniforme, des tireurs d’élite, des forces parapolicières liées au gouvernement Ortega-Murillo tirent à tour de bras sur la population non armée. Ces forces appliquent des méthodes de terrorisme d’État contre des citoyens et citoyennes non armés et pacifiques. Dans ces conditions, un dialogue avec le gouvernement n’est pas possible, affirment les évêques de la Conférence épiscopale nicaraguayenne (CEN) [par la voix du cardinal Leopoldo Brenes, le mardi 12 juin].
2. Dans cette lutte sociopolitique, personne n’est neutre. Il y a différents niveaux de conscience, différents niveaux d’engagement, différentes capacités de dévouement, mais 90% de la population veut un changement définitif, parce que l’orteguisme en crise a révélé un visage criminel inacceptable.
3. En date du 11 juin 2018, on pouvait compter au moins 150 morts, plus de 1500 blessés, des centaines de disparus et des prisonniers politiques. Sans exagérer, on peut dire que la répression de la dictature orteguiste contre la revendication pacifique de justice et de démocratie relève d’un massacre.
4. Très peu de citoyens veulent continuer à vivre sous un régime qui tue les étudiant·e·s non armés et qui n’assure aucune condition de stabilité pour l’avenir du pays. Aujourd’hui, le nœud de la question réside dans les conditions et la méthode qui vont régir le changement, c’est-à-dire la chute d’Ortega-Murillo.
5. Les fondements éthiques, moraux et institutionnels du Nicaragua étaient déjà minés antérieurement au 17 avril 2018. Le gouvernement Ortega-Murillo et le grand capital avaient vendu une image falsifiée, une fiction de sécurité individuelle et juridique, de croissance économique et de paix. Cela tout en ignorant les innombrables besoins de la population, le chômage, la pauvreté, l’inégalité et la justice sociale.
6. Depuis le début de la crise, Ortega-Murillo et leur famille sont reclus dans la résidence d’El Carmen (siège et bureaux du pouvoir dictatorial), parce qu’ils ne peuvent pas se déplacer tranquillement dans la capitale, et encore moins dans le reste du pays. Cela démontre l’isolement social dont ils pâtissent.
7. Moins de deux mois après la crise sociopolitique, l’agence de notation S&P Global Ratings a modifié la perspective de la notation de crédit en la faisant passer de stable à négative. Cela augmente le coût des lignes de crédit commerciales pour les importations du Nicaragua et rend le pays clairement moins attrayant pour les investissements étrangers.
8. Le 12 juin, la grève de 24 heures appelée par la société civile et les différents secteurs productifs de la ville de Léon a été suivie à près de 100%. Les rues étaient désertes, les transports qui incluent les taxis et les bus étaient très rares. La majorité de la population de León ajoute se joint au blocage général et donne un exemple de lutte qui peut être imité dans d’autres villes du pays.
9. La grève dans la ville de León, la deuxième plus grande ville du Nicaragua [l’agglomération compte quelque 390’000 habitants], a donc été un succès total. Le marché central et celui de l’ancienne gare ferroviaire étaient fermés et placés sous la surveillance des commerçants. Les environs ont été bloqués, les barricades du centre-ville n’ont pas pu être enlevées ni par la mairie ni par la police. Les principaux supermarchés de la ville étaient fermés : El Gallo más Gallo, La Curacao, El Verdugo, El Tropigas, Sinsa, Pali, Proquinsa, etc. Les rues étaient désertes et les rares passants se déplaçaient en moto ou à pied, faisant attention. Ce type de mobilisation peut être répété au niveau national, l’exemple de León en indique la possibilité.
10. Ortega a établi une alliance avec le grand capital depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2007. Jusqu’en avril 2018, ce secteur avait maintenu son soutien au gouvernement Ortega-Murillo. Suite au soulèvement civique d’avril-mai-juin, il a pris une certaine distance par rapport au gouvernement. Cependant, il cherche à sortir de l’impasse : avec des élections anticipées, pour que tout change et que rien ne change ?
11. Le responsable de cette situation n’est pas seulement le gouvernement Ortega-Murillo, mais toute l’oligarchie et l’élite politique de ce pays, que ce soit par complicité ou par incapacité. L’accord entre le gouvernement Ortega-Murillo, les grands hommes d’affaires et les syndicats [Front national des travailleurs] a permis à Ortega-Murillo de gouverner sans contrepoids, de pervertir les institutions étatiques et d’éliminer l’opposition, avec la bénédiction et la complicité des grands hommes d’affaires qui, en retour, ont dicté les orientations économiques et bénéficié des aides de l’État.
12. Le pays n’a pas de véritables partis d’opposition. Ils ont été achetés, neutralisés ou déclarés illégaux. Le rôle de l’opposition réelle est joué par les étudiants, les habitants organisant les divers types de barrages, les paysans, la société civile et la population en général.
13. La crise socio-politique actuelle a submergé toutes les institutions, aucune ne peut agir de manière indépendante. Le pouvoir législatif, la police, la Cour suprême, le Ministère public, le Bureau du Contrôleur de la République [qui doit contrôler les mesures administratives et budgétaires de l’Etat], le Conseil électoral suprême et les principales mairies sont subordonnés et contrôlés par Ortega-Murillo.
14. L’Etat dictatorial dans son ensemble est devenu un Etat terroriste. Nous voyons des maires diriger des paramilitaires et des membres de gangs pour réprimer la population sans défense. Nous avons vu la ministre de la Santé [Sonia Castro] ordonner aux médecins des hôpitaux publics de ne pas soigner les citoyens blessés.
15. La police et les forces parapolicières agissent sous les ordres des autorités centrales et/ou municipales. Toutes mettent en œuvre une politique de terreur contre la population pour faire s’affaisser les manifestations sociales en cours. Cependant, la répression disproportionnée des forces de police et des forces antiémeutes du gouvernement a poussé la population à se rallier à l’insurrection civique.
16. Une décennie d’autoritarisme sans limites, une accumulation d’indignation devant les abus, l’arbitraire, la corruption, les inégalités, le chômage, les crimes impunis ont mis le feu à cette protestation. En d’autres termes, l’arrogance d’un pouvoir de plus en plus absolu et étouffant a stimulé la généralisation de la révolte.
17. Ortega-Murillo ont décidé d’organiser et d’armer les criminels, de leur donner l’impunité totale et l’autorisation de tuer, voler, piller et brûler les établissements publics et privés. Ces forces agissent dans les quartiers des villes, dans les attaques contre les barricades en toute impunité et accompagnées ou protégées par la police. Ces forces délinquantes sont responsables de crimes contre la population civile non armée et de saccage de commerces.
18. Pour cette raison, la population place la police au même niveau que les bandes de délinquants, les forces criminelles, les forces parapolicières et les groupes armés se situant en dehors de toute loi.
19. L’objectif d’Ortega-Murillo est de pousser la protestation civique et non armée sur la voie de l’affrontement armé. En même temps, la stratégie du gouvernement Ortega-Murillo a été et continue d’être de gagner du temps, d’user les rangs de la rébellion et d’utiliser la répression aveugle contre la population pour répandre la peur et la terreur.
Parmi les séquelles désastreuses que la dictature d’Ortega-Murillo laissera au Nicaragua, on peut citer la violence des gangs de mercenaires et la perte inestimable des jeunes et des étudiants massacrés, faisant partie du trésor humain nécessaire au développement du pays.
Si l’on ajoute à cela le fanatisme et le culte de la personnalité instillés dans la Jeunesse sandiniste, plus le gaspillage et le pillage, ainsi que la corruption et la servilité qui sont des pratiques courantes dans toutes les sphères du gouvernement, les conséquences de ce régime sur la société nicaraguayenne sont incalculables.
Les dégâts ne se résument pas aux actions régime Ortega-Murillo. Ils impliquent aussi la décomposition sociale et la pourriture morale encouragée par « l’officialité ». Une ambiance délétère à laquelle les citoyens se sont habitués et ont été forcés de tolérer parce que se sentant impuissants. Un « climat » qu’il faudra combattre et éradiquer lorsque le couple et ses larbins seront finalement écartés.
20. Un autre objectif du gouvernement Ortega-Murillo est de tenir le plus longtemps, en pensant que les gens vont se fatiguer et que la désespérance gagne du terrain. En même temps, par le biais de l’Organisation des Etats américains (OEA), il veut donner de l’oxygène à des groupes d’opposition qu’il contrôle. Le Secrétariat général de l’OEA a été interpellé pour sa proximité avec Ortega-Murillo.
21. La stratégie d’Ortega-Murillo est de réprimer indistinctement pour essayer de changer le rapport des forces, en éloignant la Conférence épiscopale du Nicaragua du rôle de médiateur du dialogue national. L’objectif consiste à placer l’OEA dans le rôle de médiateur et d’incorporer dans le dialogue ces groupes d’opposition qui font de figuration et les secteurs évangéliques liés au gouvernement, afin de changer le cours des négociations.
22. Michel Forst, Rapporteur spécial des Nations Unies (ONU) sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, fait référence à la situation au Nicaragua, qui porte gravement atteinte aux droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association ainsi qu’à l’activité politique, au même titre que le droit à la vie et à l’intégrité personnelle.
23. La crise sociopolitique que traverse le Nicaragua a un triple impact sur les autres pays d’Amérique centrale : sur l’activité commerciale, puisque bon nombre des marchandises qui empruntent la voie terrestre doivent passer par le Nicaragua ; des effets négatifs sur l’économie de chaque pays ; et des répercussions sociopolitiques qui peuvent découler du système de vases communicants reliant les pays de la région.
24. Les 10 et 11 juin, la répression gouvernementale s’est intensifiée dans plusieurs des principales villes du pays (Jinotega, Matagalpa, Jinotepe, Diriamba, Las Maderas, Masaya, Sébaco, Estelí, Ocotal, Somoto, Mulukukú, etc.) ainsi que dans les quartiers est de la capitale, Managua, où les habitants ont à nouveau accusé la police et les paramilitaires d’être responsables de l’agression de citoyens manifestant contre le régime.
25. Des saisies de terres par des membres des forces paramilitaires sont signalées sur toute la côte Pacifique. C’est la manière du gouvernement Ortega-Murillo de payer les paramilitaires en échange de l’attaque des barrages et de leur utilisation comme force parapolicière contre les manifestants. C’est pour ça qu’ils sont si agressifs. Le régime instrumentalise la pauvreté de couches sociales marginalisées pour en faire des tueurs à gages. Les quatre derniers assassinats à Chinandega (côte Pacifique) ont été causés par ces forces installées au fur et à mesure qu’elles s’emparaient de la terre. Dans la région de Managua, ces sicaires agissent dans la périphérie de Belén [à quelque 100 km de la capitale] et cherchent aussi des terrains aux environs de Sábana Grande (près de l’aéroport international).
26. Dans chaque ville ou communauté (León, Chinandega, Managua, Carazo, Matagalpa, Estelí, etc.), nous savons qui envahit illégalement la terre : les groupes marginaux et criminels. La terre est envahie sous la protection de la police et des responsables politiques du parti au pouvoir. Ces groupes établissent des bases territoriales à partir desquelles ils peuvent agir ouvertement pour commettre des crimes et terroriser la population. Ici, la stratégie d’Ortega-Murillo vise à déclencher le chaos pour que la population demande l’intervention de l’armée.
27. L’orteguisme a regroupé les forces « lumpenisées » qui ont été capables, dans certains endroits plus, dans d’autres moins, d’agir comme des paramilitaires, en attaquant les gens de leur propre village, de leur propre quartier, de leur ville ou de même dans des villes voisines. Les responsables du régime parlent « d’opérations de nettoyage » dans lesquelles les maires, les responsables politiques et leurs principaux cadres de chaque région sont activement impliqués.
28. L’armée ne peut pas rester pendant cette révolution civique dans une bulle, en marge du destin du pays. L’armée doit faire un choix ouvert entre une république démocratique ou une dictature. La prudence actuelle de l’armée indique qu’elle a des intérêts plus larges que ceux offerts par le cadre juridique vicié de l’orteguisme. L’armée, pour sa survie, doit se distancier des erreurs irrémédiables du gouvernement Ortega-Murillo.
29. L’armée, en tant qu’institution, est devenue une puissance économique importante, principalement dans l’immobilier. En même temps, elle a des investissements importants à la Bourse de New York. Raisons pour lesquelles elle ne peut pas soutenir ouvertement Ortega-Murillo. Toute participation ouverte aurait des conséquences néfastes pour l’institution militaire, tant au niveau national qu’international.
30. Selon un sondage d’opinion, plus de 70% de la population nicaraguayenne, âgée de plus de 16 ans, est d’accord avec l’exigence du mouvement étudiant et d’autres secteurs sociaux que Daniel Ortega démissionne et quitte le pouvoir avec sa femme Rosario Murillo, vice-présidente de la République, considérant qu’ils sont les principaux responsables du massacre de plus de 150 personnes, du 18 avril à aujourd’hui.
31. Des informations circulant sur les réseaux sociaux des travailleurs de l’aéroport international de Managua indiquent que deux jets privés du Venezuela ont atterri, venant de l’aéroport international de Maiquetía/Caracas. L’un des deux avions est militaire et aurait transporté des armes et des munitions.
32. Ortega-Murillo sont acculés. Ils ont perdu des secteurs importants de leur base sociale. Selon le sondage précité, seuls 14 à 18 % de la population interrogée les soutiennent. Beaucoup de fonctionnaires ont secrètement cessé de les appuyer. Ils ne l’expriment pas publiquement, mais à un niveau personnel et privé ils le reconnaissent. Certains d’entre eux ont quitté le pays, en secret.
33. Chaque jour où l’insurrection pacifique se poursuit, Ortega-Murillo perd de la capacité à continuer de gouverner. Ortega-Murillo n’a plus que la répression pour rester au pouvoir. Cela les éloigne d’un processus de négociation en vue d’une « sortie en douceur ». Le peuple ne leur permettra pas de rester dans le pays quelle que soit l’issue qui prendra forme. Nous sommes à un véritable carrefour où soit Ortega-Murillo accepte de quitter le pouvoir, soit la crise se prolongera.
34. Le 9 juin, un envoyé du président de la Commission des relations extérieures du Sénat américain [Bob Corker] est arrivé au Nicaragua. Il a eu des rencontres avec les évêques, Ortega-Murillo, les banquiers et les secteurs du grand capital. Le message est le suivant : soutien à la Conférence épiscopale en tant que médiateur du dialogue nationale ; des élections anticipées avec des observateurs nationaux et internationaux ; l’arrêt de la répression ; et la destitution du pouvoir d’Ortega-Murillo.
35. La pression états-unienne est forte, avec la menace que le Sénat puisse approuver une loi, en cas de la poursuite de la répression indiscriminée, qui affecterait directement la famille Ortega-Murillo, les ministres et les alliés du gouvernement.
36. Il y a trois scénariosde sortie possibles. Premier scénario : qu’Ortega parvienne à surmonter la crise avec du sang et du feu et reste indéfiniment au pouvoir. Scénario improbable.
37. Deuxième scénario : qu’un accord soit conclu en vue d’un atterrissage en douceur avec des élections anticipées pour 2019. 1° Qu’Ortega réussisse à négocier qu’il reste au pouvoir pour organiser les élections anticipées. 2° Qu’Ortega doive démissionner et qu’un gouvernement de transition prenne le contrôle. C’est le scénario qui est considéré comme le plus probable, avec l’effet de levier des Etats-Unis, du grand capital, des secteurs de l’orteguisme, de l’armée et de certains membres de la Conférence épiscopale. [1]
38. Troisième scénario : suite à l’intensification de l’insurrection sociale, du nombre de barrages et de la grève dans les principales villes, Ortega abandonne le pouvoir et l’appel est fait à une instance exécutive de transition qui convoque une Assemblée constituante nationale dans le but de refonder l’Etat. Sont démis de leurs fonctions les magistrats de la Cour suprême de justice, du Conseil électoral suprême, les maires impliqués dans la répression, les contrôleurs de la République, le procureur général, les principaux commandants de la police, etc.
Oscar-René Vargas, Managua, 12 juin 2018
* Traduction A l’Encontre publiée le 13 juin 2018 :
http://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/nicaragua-la-fin-dortega-murillo.html
L’insurrection pacifique au Nicaragua a commencé en avril 2018
10 juin 2018
1. Depuis 54 jours (du 18 avril au 10 juin 2018), le Nicaragua connaît une insurrection pacifique : jeunes, préadolescents, femmes, étudiant·e·s et habitants des quartiers et des villages sont assassinés, battus et arrêtés par le gouvernement d’Ortega-Murillo. Depuis son retour au pouvoir en janvier 2007, le gouvernement Ortega est connu pour réprimer toute forme de protestation au Nicaragua.
2. La jeunesse universitaire a été à l’origine de la protestation sociale, et cette jeunesse a été suivie par la population, par beaucoup de personnes et de plus en plus. Pendant des années, il y a eu des morts et de la terreur dans les zones rurales mais Managua semblait dormir. Et quand Managua s’est réveillée, elle a soulevé tout le pays à l’unisson. Comment cela a-t-il été possible ? Non pas à cause d’une conspiration de l’extérieur, mais à cause de la lave sociale incandescente accumulée à l’intérieur. Les volcans n’avertissent pas quand ils entrent en éruption.
3. En raison de ses dimensions et de ses conséquences, l’explosion d’avril a surpris l’ensemble du pays et y compris les très jeunes qui l’ont initiée. Le principal stupéfait a été le régime d’Ortega-Murillo.
4. 54 jours plus tard, le mécontentement continue et augmente. Des manifestations dans tout le pays exigent la justice pour les morts et un changement de gouvernement : « Que Ortega-Murillo s’en aillent ! » est le principal slogan parmi les manifestant·e·s. Il y a une ligne de démarcation claire entre le Nicaragua d’avant avril 2018 et le Nicaragua actuel.
5. Entre le vendredi 8 juin et le samedi 9 juin, de nouveaux affrontements entre la police antiémeute et des groupes paramilitaires contrôlés par le gouvernement et des manifestants antigouvernementaux non armés, dans les villes de Jinotega, Managua et Masaya, ont fait au moins trois morts et des dizaines de blessés.
6. Depuis le samedi 9 juin, Managua est bloquée par des barrages routiers et des barricades. Les principales artères routières de la capitale restent barrées. Des barricades de pavés, gardées par des groupes de civils, empêchent l’accès des véhicules par les avenues et les rues les plus importantes de la ville.
7. Chaque jour, les barrages routiers dans différentes parties du territoire, à l’échelle nationale, se renforcent pour faire pression sur le gouvernement Ortega-Murillo. Les étudiant·e·s et les habitant·e·s auto-organisés maintiennent au moins 87 barrages dans les différents départements du Nicaragua. Ces actions déterminées visent à obtenir le départ d’Ortega-Murillo du pouvoir et à exiger que justice soit rendue pour le meurtre d’au moins 140 personnes, victimes de la répression gouvernementale. Les manifestant·e·s ont laissé passer les ambulances et les personnes ayant besoin de soins médicaux.
8. La violence, sans précédent dans l’histoire récente du Nicaragua, exercée par la police et les forces parapolicières du gouvernement a entraîné la mort violente d’au moins 140 personnes au cours de la légitime protestation sociale. Tous les décès sont survenus suite à la répression et de la violence de l’Etat. La grande majorité des victimes ont reçu une balle dans la tête, le cou, le thorax ou l’abdomen, ce qui suggère que des tireurs d’élite ont été utilisés.
9. Il est criminel d’utiliser des tireurs d’élite pour abattre des jeunes sans défense, mais encore plus criminel d’avoir organisé et armé des centaines de criminels (forces de choc) qui, de jour comme de nuit, traquent, dans les rues des villes et des villages, les gens qui se battent démocratiquement pour exiger la destitution d’Ortega-Murillo.
10. Quelque 6000 camions de fret, avec toutes leurs marchandises, sont immobilisés par les barrages. Le trafic routier au Nicaragua est semi-paralysé. Les organisations centraméricaines de transporteurs ont appelé les hommes d’affaires de la région à ne pas continuer à envoyer des marchandises à travers le Nicaragua tant que n’aura pas été résolue la crise sociopolitique à laquelle le pays est confronté depuis 54 jours.
11. En raison des routes fermées et des barrages routiers, un grand nombre de villes signalent des pénuries de carburant. Face aux barrages, on peut voir un grand nombre de camions et de véhicules qui transportent des marchandises afin d’approvisionner les marchés locaux et internationaux [Amérique centrale, entre autres].
12. La presse salvadorienne a rapporté que l’Association des exportateurs du Salvador estime que les entreprises de ce pays ont perdu quelque 400 millions de dollars US à cause des blocages au Nicaragua. Un montant similaire est rapporté par les entrepreneurs des autres pays d’Amérique centrale. Les associations commerciales internationales de transport en Amérique centrale appellent de même à éviter d’envoyer des marchandises à travers le territoire nicaraguayen.
13. Le gouvernement costaricain a déclaré que le secteur industriel costaricain est préoccupé étant donné le retard des exportations vers les pays d’Amérique centrale.
14. En 2017, les exportations des pays de la région de l’Amérique centrale vers le Nicaragua ont atteint 1481 millions de dollars.
15. La répression féroce des manifestations par le gouvernement nicaraguayen n’épuise pas la population qui continue de protester, mais ne s’épuise pas de même la volonté de Daniel Ortega de rester au pouvoir. La stratégie d’Ortega-Murillo s’articule sur la répression et sur une possible exténuation des manifestants afin de miner le soulèvement.
16. La répression féroce a même conduit les milieux d’affaires, jusqu’à récemment proches du gouvernement Ortega-Murillo, à prendre leurs distances par rapport à la violence répressive et par rapport au pacte qu’ils avaient maintenu avec le gouvernement depuis 2009.
17. Selon The Economist,la brutalité avec laquelle Ortega-Murillo a réagi contre les manifestations est ce qui rendrait « moralement failli » le système d’alliance entre le gouvernement et le grand capital, système maintenu pendant des années et qui a permis à Ortega de contrôler totalement les institutions de l’Etat en échange d’exonérations et de privilèges pour les banquiers, les grands hommes d’affaires et les exportateurs.
18. L’exigence de la rue et de tous les secteurs sociaux, y compris la Conférence épiscopale et le secteur privé, est le départ d’Ortega-Murillo. L’orteguisme a représenté une privatisation perverse du Front sandiniste, d telle façon que beaucoup de sandinistes s’opposent au gouvernement Ortega-Murillo. Le sandinisme, et non l’orteguisme, est indispensable à une solution qui rétablisse la paix et la stabilité.
19. Le gouvernement Ortega-Murillo qui a provoqué cette crise et a organisé le massacre n’a pas sa place dans la solution exigée par la population insurgée, solution qui nécessite des élections anticipées se déroulant dans des conditions qui les rendent effectivement démocratiques et transparentes.
20. Le Département d’Etat américain a annoncé le 7 juin qu’il restreindra les visas à plusieurs hauts fonctionnaires nicaraguayens pour avoir participé à la violation des droits des Nicaraguayens. Parmi les personnes sanctionnées figurent des membres de la police, des autorités municipales, des ministres conjointement à leurs familles.
21. L’administrateur de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) a condamné les « atrocités » commises par le gouvernement et s’est dit préoccupé par les accusations mensongères portées contre des militants de la société civile, des étudiants, des journalistes indépendants et l’emprisonnement de quatre défenseurs des droits de l’homme.
22. Les députés du Parlement européen ont abordé la crise au Nicaragua en session plénière et ont publié une déclaration appelant à mettre fin à la violence gouvernementale et condamnant la répression des manifestants.
23. La plupart des pays de la région exigent que le gouvernement Ortega-Murillo se conforme aux 15 recommandations de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), arrête la répression, respecte le droit de manifester et que rapidement se constitue un Groupe d’experts indépendants pour enquêter sur les faits : autrement dit, la mort de quelque 150 personnes.
24. Lors de la plénière de l’Assemblée générale de l’Organisation des Etats américains (OEA), Mike Pompeo, secrétaire d’Etat des Etats-Unis, a dénoncé le fait que « les groupes armés et la police nicaraguayenne ont tué de nombreuses personnes simplement pour des manifestations pacifiques ».
25. Douze élus états-uniens (membres du Congrès et sénateurs) ont envoyé une lettre au président Donald Trump, demandant que les sanctions soient étendues au gouvernement nicaraguayen par le biais de la loi Magnitsky [loi adoptée en 2012, incluant sanctions financières et interdictions de visa, suite au décès de l’avocat S. Magnitsky qui dénonçait la corruption dans la Russie de Poutine].
26. Luis Almagro, secrétaire général de l’OEA, a dû faire face à la critique verbale et sur les réseaux sociaux de la société civile nicaraguayenne, qui a souligné qu’il tient un double discours : un dur face à Maduro et un complaisant face à Ortega. Il est accusé de soutenir le gouvernement Ortega-Murillo et de fermer les yeux sur la crise actuelle.
27. Les dépôts dans le système financier national continuent de baisser pour la sixième semaine consécutive. Selon les chiffres de la Banque centrale du Nicaragua, près de 500 millions de dollars ont été retirés des banques du pays.
28. En seulement un mois et demi, l’économie n’est déjà plus en croissance et est plongée dans une phase de déclin. Autrement dit, la crise sociopolitique a paralysé l’économie du pays, toutes les entreprises et commerces sont touchés par l’insécurité à laquelle font face les citoyens et les citoyennes.
29. L’agence de notation Standard and Poor (S&P) estime que les perspectives de l’économie nicaraguayenne sont négatives. Ces perspectives reflètent le risque que les turbulences politiques aggravent la situation des finances publiques et celle de l’économie du pays. S&P prévoit un tassement de la consommation et de l’investissement intérieurs, ainsi que du tourisme, au même titre que la baisse des flux d’investissements étrangers et donc une hausse du chômage.
30. La situation actuelle a eu de graves conséquences pour le secteur du tourisme au niveau national, les restaurants et les hôtels ayant subi une baisse de 40 à 50% de leurs chiffres d’affaires, les perspectives négatives pour le mois de juin sont encore plus importantes.
31. La Chambre nationale du tourisme du Nicaragua (Canatur) estime que 90% des hôtels et restaurants des villes coloniales de León et de Grenade ont cessé leurs activités en raison de la crise.
32. La Fédération centraméricaine de production laitière (Fedelac) a condamné la répression des manifestants et a appelé à une solution pacifique par le biais d’accords conclus par un dialogue.
33. Lors d’une rencontre le 7 juin entre les évêques catholiques de la Conférence épiscopale nicaraguayenne et Ortega-Murillo, les évêques ont proposé la démission constitutionnelle d’Ortega-Murillo. Le gouvernement a demandé 48 heures pour répondre. La répression s’est poursuivie et n’a pas répondu à la demande des évêques. C’est-à-dire, Ortega-Murillo restent silencieux tandis que le sang continue à couler dans différentes villes.
34. Selon le sondage CID Gallup, 8 Nicaraguayens sur 10 ne sont pas d’accord avec les actions de la police. Soixante-huit pour cent des citoyens disent qu’ils sont d’accord avec les actions des étudiants et autres manifestants qui réclament la justice et la démocratisation. Il indique également que 7 Nicaraguayens sur 10 soutiennent le départ d’Ortega-Murillo du gouvernement.
35. Des centaines de Nicaraguayens vivant aux Etats-Unis ont organisé et participé à des marches et des sit-in pour exercer une pression internationale en faveur de la démocratisation et de la justice au Nicaragua. Des rassemblements ont été organisés à Boston, New Jersey, New York, Miami, Washington DC, San Francisco, Los Angeles, etc.
36. Le dimanche 10 juin 2018, des manifestations de soutien ont eu lieu dans toutes les principales villes d’Europe occidentale pour exiger la fin de la répression et le départ d’Ortega-Murillo du gouvernement.
37. La clé de la solution à la crise politico-sociale réside dans les mains du peuple insurgé dont l’arme principale est le blocage et la paralysie du pays. La population n’acceptera aucun « accord » qui implique le maintien au gouvernement du clan Ortega-Murillo. La preuve en est que malgré les attaques et les morts, la protestation continue d’être forte et en croissance. Une autre chose très importante est que la population indignée n’a pas été tentée de répondre par des balles à la répression gouvernementale. (, t)
Oscar-René Vargas, Managua/Nicaragua, 10 juin 2018
[La physionomie du clan du régime Ortega-Murillo peut être appréhendée dans l’article suivant, datant du 28 octobre 2016 et reproduit en avril 2017 : « Los anillos del poder y los operadores de Ortega y Murillo »
https://confidencial.com.ni/los-anillos-del-poder-los-operadores-ortega-murillo/
(Réd. A l’Encontre)]
* Traduction A l’Encontre publiée le 12 juin 2018 :
http://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/linsurrection-pacifique-au-nicaragua-a-commence-en-avril-2018.html
Nicaragua : la situation en date du 5 juin 2018
Nous publions ci-dessous deux articles – écrits le 5 et le 6 juin – que nous a fait parvenir Oscar René Vargas. Le 6 juin, dans un message, il nous indiquait que « 70% des routes du pays étaient barrées, contrôlées par la population opposée au gouvernement Ortega-Murillo ». Les citoyens et citoyennes mobilisés depuis le 18 avril 2018 s’auto-dénomment « les bleus et les blancs », les « auto-convoqué·e·s », « la résistance » ou simplement les « paysans » dans les zones rurales.
Selon la presse du Nicaragua, le 7 juin 2018, au moins quatre personnes ont été tuées par des tirs : trois à Chinandega et une à Masaya. Selon l’Association nicaraguayenne pour les droits de l’homme et son secrétaire, Alvaro Leiva, « la majorité des personnes assassinées l’ont été par des tirs au thorax ou à la tête, ce qui laisse voir qu’ils sont le fait de policiers, de militaires et de personnes entraînées ».
Rédaction A l’Encontre
* * * *
1. Le projet de déclaration convenu entre Ortega + Etats-Unis + Luis Almagro [Uruguayen, Secrétaire des Etats Américains-OEA] + Carlos Pellas [un entrepreneur nicaraguayen à la tête du conglomérat financier AVANZ], lors de la réunion de l’Organisation des Etats américains (OEA) à Washington, ne condamne pas le massacre placé sous la direction de Daniel Ortega et n’exige pas la fin de la répression. Il propose subtilement que l’OEA soit impliquée dans le dialogue national au Nicaragua.
2. L’accord « secret » Ortega + Etats-Unis + Almagro + Pellas offre du temps Ortega au milieu de la crise, puisqu’il propose que les élections pour un nouveau gouvernement se tiennent dans un temps « raisonnable » (2019 ?). Cela nous porte à penser que les Etats-Unis disposent déjà d’un canevas pour les élections de 2019.
3. Dans la déclaration publiée, ne pas vouloir faire face la réalité aura de graves conséquences pour tout le monde, même pour les quatre acteurs de cette alliance ; il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ! La seule chose qui peut changer le but de ce pacte, c’est la rue et les barrages routiers. Si l’Union européenne ne réagit pas, le soutien international devient très difficile.
4. Au Nicaragua, il ne peut y avoir de paix sans justice et pour qu’il y ait justice, il faut que l’on sache clairement qui sont les victimes et qui sont les auteurs de crimes : le gouvernement et sa clique. Ceux et celles qui vont écrire et exécuter la déclaration finale de cette « crise » seront les populations : de Masaya, Managua, Matagalpa, Estelí, León, etc. et toutes les barricades que nous voyons.
5. Ce qui rend la rébellion d’avril et mai 2018 exceptionnelle, c’est que les jeunes, les personnes âgées et les citoyens et citoyennes, en général, se rebellent contre une grande variété de réalités, qu’ils n’ont que peu d’idées sur la façon de le faire et un profond dégoût pour toute forme d’autoritarisme. Nous pouvons ajouter à cela : la spontanéité, l’empressement et le désir que le Nicaragua redevienne une république.
6. Que la corruption existe dans le gouvernement Ortega-Murillo n’a rien de nouveau. Le fait que cette corruption se manifeste dans le secteur privé est également bien connu. Il en va de même pour ce qui a trait à leur combinaison, plus d’une fois. La corruption est maintenant une forme primaire d’activité politique et un système de transactions entre des firmes réelles ou fantomatiques, des banques et d’autres institutions financières utilisant des mécanismes très sophistiqués.
7. La situation au Nicaragua ne peut pas revenir au genre de « normalité » régnant avant le 18 avril 2018. Les gens sont en plein désarroi ; il n’y a pas de gouvernement ; et les dégâts collatéraux pour l’économie doivent y être ajoutés.
8. Si le pacte susmentionné fonctionne et qu’Ortega-Murillo restent au pouvoir, nous sommes certain que le gouvernement Ortega-Murillo restera faible, mais nous n’aurons pas de justice. L’économie sera en net déclin. De plus, les entrepreneurs auront plus de pouvoir. Ils pourront peut-être privatiser l’INSS (Institut nicaraguayen de sécurité sociale) pour commencer et toutes sortes d’ajustements structurels et d’endettement pour suspendre l’application de la loi Nica et de Magnistky [voir sur ces deux lois l’article publié en date du 15 mars sur ce site]. La répression sélective commencera dans les villes, tout comme elle est pratiquée dans les régions rurales depuis un certain temps.
9. C’est ce qui arriverait si le pacte fonctionnait. La seule façon de le contrer, c’est la rue. Blocage total, venant d’en-bas. L’exemple est donné par la décision des commerçants du Mercado Oriental de Managua.
10. Dans le cas des entreprises des zones franches, deux d’entre elles n’ont pas du tout travaillé hier [le 4 juin 2018]. L’une compte 3000 salarié·e·s et l’autre 5000. [Les zones franches, avec les salaires et les conditions de travail bien connues, se sont développées au Nicaragua, entre autres dans le textile et la confection, avec l’exportation comme fonction. Elles se situent autour de Mangua, et à Carazo, Esteli, Masaya et Chinandega- Réd.]. Nombreux sont ceux qui craignent déjà que si les choses ne se stabilisent pas, les donneurs d’ordre devront déplacer leurs commandes vers d’autres pays. Une mauvaise impression est ainsi laissée aux yeux des acheteurs finaux. Selon mon expérience à ce sujet, les donneurs d’ordre fixent une date limite, et si elle n’est pas respectée ils partent.
11. Les sociétés privées de sécurité liées à l’appareil politique sont utilisées comme des forces « d’autodéfense » contre la population. Cela met en relief deux éléments conjoints : la fatigue et la désorganisation de l’appareil répressif et l’escalade de la répression à l’échelle de tout le pays. Le pacte prévoit une nouvelle escalade de la répression. L’alliance étroite entre les sociétés privées de sécurité et la police est connue depuis longtemps et leurs propriétaires ont bénéficié des faveurs du gouvernement Ortega-Murillo.
12. Les actions agressives de la police, des paramilitaires et de secteurs lumpénisés armés semblent indiquer que le gouvernement estime que le renvoi des troupes dans les casernes était une erreur et que la bonne stratégie consiste à attaquer et à détruire. Si tel est le cas, il serait très difficile de revenir au dialogue et à la négociation sous la médiation de la Conférence épiscopale [l’archevêque émérite de Managua, Obando Bravo, qui a connu un parcours politique plus que sinueux de Somoza à Ortega, est décédé le 3 juin ; Ortega a déclaré un deuil national de 3 jours ! – Réd.] En liquidant la négociation sous la médiation de l’Église catholique, le gouvernement veut la remplacer par l’OEA. Toutefois, la réouverture d’une négociation avec les évêques ne peut être exclue.
13. Ortega-Murillo préfère s’entendre sous la table avec les Etats-Unis, Almagro et Pellas. Et en même temps, adopter une ligne dure de répression. Essayer d’être objectif est très difficile dans les circonstances actuelles.
14. La clique Ortega-Murillo a ordonné les destructions [incendies] de Masaya, en faisant détruire les petits commerces du parc central et l’entourant. Ils pensent probablement que ces actes de vandalisme vont intimider la population. Il n’y a pas eu des pillages à Monimbó et le marché est défendu par plus d’un millier de personnes.
15. A Managua, le gouvernement applique la théorie de l’épouvante : ce matin, 5 juin, le supermarché AM-PM de las Colinas a été attaqué. Il a été détruit. Les forces répressives ont également attaqué à Santo Domingo et dans le quartier El Portal de Las Colinas (à Managua). Le matin approche est proche et la consigne n’est autre que : élever des barricades partout.
16. Le clan Ortega-Murillo pense qu’il se renforce en semant la peur et le chaos. Les grandes entreprises ont tort de croire que les protestations sociales et les barricades, les barrages peuvent être contrôlés par la répression gouvernementale. Je crois que c’est blocage total qui peut sauver les gens et l’économie.
17. Il n’y a pas de dissolution des forces répressives. Elles ne font qu’augmenter leur capacité répressive par l’ajout d’autres forces. Ceci, plus les travaux de défense d’El Carmen (siège de la résidence, bureaux d’Ortega-Murillo), des ministères et des maires indiquent que le clan au pouvoir se prépare à une longue lutte. Il ne va pas s’en aller facilement. Il va aller jusqu’au bout. Je déclare cela tout en ayant un grand espoir de me tromper. Pauvre serait le peuple du Nicaragua ! Je pense que le pire est encore à venir. Plutôt qu’un « atterrissage en douceur », je pense que nous sommes face à un « atterrissage forcé ».
Oscar René Vargas, Managua, 5 juin 2018)
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« Désolé pour le dérangement, on est en train de changer le pays »
1. Que peut-il se passer dans le pays ? Dans l’affrontement quotidien, certains se sentent accablés par les manifestants et d’autres, au contraire, se joignent à eux. Le gouvernement essaie-t-il de jeter des ponts et de dialoguer ou continue-t-il à tout mettre en péril pour obtenir l’érosion de la protestation par la répression ?
A partir du 6 juin 2018, l’équilibre du pouvoir est le suivant : le mouvement populaire s’accroît, avec des grèves et des barrages dans tout le pays. La logique du gouvernement, jusqu’au 5 juin, a été la répression, le recours aux gangs et la création du chaos. Le gouvernement Ortega-Murillo s’affaiblit de jour en jour et, pour cette raison, la police des différents départements (districts) du pays est à court de munitions et a choisi de créer une forte inquiétude dans la population.
La tactique des « orteguistes » consiste à brûler et/ou détruire les écoles, les centres de santé, les bâtiments publics, les hôpitaux, les commerces, les centres de travail, etc. pour créer l’anxiété et le chaos. Des hommes armés dans des fourgonnettes, des taxis et des motos sont passés et ont tiré des roquettes sur les quartiers, les écoles ou les centres commerciaux. Ce sont eux qui font croire à la population que ce sont les étudiants et les manifestant qui brûlent les bâtiments publics. C’est très probablement la même tactique qu’ils utilisent dans différentes villes : Granada, Masaya, Matagalpa et León. Cependant, la population indignée sait déjà qu’il s’agit de gangs liés au gouvernement, de troupes parapolicières ou de la police (police antiémeute).
2. Le couple Ortega-Murillo, après avoir mis à nu les caractéristiques autoritaires et répressives du régime, reste faible ; mais reste-t-il toujours assez solide grâce au soutien des forces factieuses, violentes qui lui assurent sa permanence au pouvoir ? L’opposition bigarrée, formée des partis, des forces sociales et des étudiant·e·s, a-t-elle réussi à former une plateforme suffisante pour se présenter comme une alternative ?
Les partis politiques apparus n’ont joué aucun rôle dans ce mouvement social ; ils ont été plutôt un « repose-pieds » pour Ortega. La force et la faiblesse du mouvement social est qu’il n’a pas un leadership à l’échelle nationale ; les leaders sont locaux, sectoriels ou de quartier. Au plan international, les forces déterminantes considèrent qu’il ne s’agit pas là de « quelque chose » de sérieux pour remplacer Ortega. C’est le point faible de ce mouvement. Mais, en même temps, c’est ce qui a empêché Ortega de pouvoir décapiter le mouvement.
Ortega a donc été contraint de généraliser la répression en cherchant à faire taire les différentes poches de résistance. Les blocages et les barrages, à l’échelle du pays, continuent d’avancer ; de nouvelles villes se joignent à cette lutte civique, démocratique.
Aujourd’hui (le 6 juin) ont émergé les premiers éléments d’une coordination d’un réseau national des barrages. C’est une étape stratégique pour la révolution pacifique en cours. En outre, des relations ont été établies entre les dirigeants locaux des différents marchés dans la capitale Managua et avec différents secteurs autonomes en difficulté dans différents départements. En d’autres termes, une coordination nationale de la lutte civique commence à se former.
3. Que se passe-t-il à l’échelle internationale ? Avec son rôle de mur pour les migrant·e·s, le gouvernement a-t-il gagné l’amnistie de Washington ? Comment se présente la situation internationale, dont dépend l’aide financière allouée au gouvernement ?
Jusqu’au 18 avril, date du début du mouvement social, le gouvernement Ortega-Murillo avait réussi à établir une alliance avec le gouvernement américain sur trois points principaux : servir de mur pour bloquer l’émigration, soutenir la lutte contre le trafic de drogue et se situer dans le cadre contraignant des politiques néolibérales.
Sur le plan interne, leur alliance avec les grandes entreprises était basée sur les éléments suivants : les favoriser avec des exonérations fiscales et d’autres avantages ; en même temps, garantir l’absence de mouvements sociaux qui remettent en cause un taux de profit extraordinaire.
Cependant, à partir du 19 avril, le jour du massacre des étudiants et de la population en général, le gouvernement Ortega-Murillo a commencé à perdre l’approbation des Etats-Unis [la suppression, annoncée le 7 juin, de visas pour les fonctionnaires du pouvoir impliqués dans la répression le laisse entendre – Réd.], de l’Union européenne et de la bourgeoisie locale et centraméricaine.
Le gouvernement Ortega-Murillo est de plus en plus isolé en raison de sa politique répressive (du 18 avril au 5 juin, 130 morts, plus de 1000 blessés et des centaines de prisonniers politiques dans tout le pays), ce qui a forcé différents pays, des organisations internationales et le Vatican à s’exprimer contre le gouvernement, exigeant la fin de la répression.
L’économie est en profond déclin. Tout ce qui reste à faire est d’accélérer la pression pour changer radicalement les bases et les objectifs de la politique économique, une fois que le cadre institutionnel tant attendu de notre pays aura été réorganisé et consolidé. A ce jour, les pertes économiques sont estimées à environ 13,5 % du PIB en 2017 [aux alentours de 13,2 milliards de dollars]. La situation économique devient de plus en plus difficile au fil des jours.
Oscar René Vargas, Managua, le 6 juin 2018
* Traduction A l’Encontre publiée le 8 juin 2018 :
http://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/nicaragua-la-situation-en-date-du-5-juin-2018.html