Sur les questions liées à l’immigration, les partis sociaux-démocrates sont confrontés à une injonction contradictoire, entre d’une part leur position idéologique naturelle et de l’autre le sentiment qui prédomine dans leur électorat traditionnel.
Alors que la gauche internationaliste défend a priori l’ouverture des frontières et la solidarité entre les travailleurs, l’afflux de migrants provoque généralement une réaction de rejet plus forte dans la population plus âgée et au sein de la classe ouvrière.
Deux façons de lire la décision de Madrid
Or pour le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol, aujourd’hui au pouvoir), ces deux catégories sont aujourd’hui des électorats clés. Rien d’étonnant, donc, si 29 % des électeurs socialistes jugent “excessif” le nombre d’immigrés en Espagne, contre à peine 14 % des partisans de la gauche radicale de Podemos, qui sont globalement plus jeunes, plus citadins et jouissent d’un pouvoir d’achat plus élevé.
De la même manière, 33 % des partisans de Pablo Iglesias (dits les “violets”) soutiennent l’accueil de demandeurs d’asile sans aucune restriction, soit une proportion deux fois plus importante que chez les socialistes (15 %).
Au regard de cette contradiction, il y a deux façons de lire la décision du gouvernement Sánchez d’accueillir les migrants recueillis par l’Aquarius.Moralement, le gouvernement espagnol a agi conformément à ses principes en faisant fi du coût électoral. Stratégiquement, ce coût électoral aura aussi une contrepartie positive, puisque la décision va sans doute faire revenir dans le giron socialiste des électeurs qui s’étaient tournés vers Podemos.
“Qu’est-ce que la gauche ?”
Si elles semblent a priori s’exclure, ces deux lectures sont au fond parfaitement compatibles. La social-démocratie a d’abord été pensée comme un outil, un assemblage façonné pour permettre à la gauche de remporter des élections.
Et c’est l’une des questions clés de notre époque : cet assemblage peut-il encore fonctionner ? Un parti peut-il rassembler sous sa bannière les enseignants et les ouvriers, les boursiers et les retraités, autour d’un programme qui associe ouverture (ouverture des frontières, ouverture d’esprit, ouverture des marchés) et redistribution ? Ou faut-il forcément, désormais, choisir entre l’une et l’autre ?
Le gouvernement de Pedro Sánchez, comme tous les autres exécutifs sociaux-démocrates en Europe, est au fond confronté à une vaste question : qu’est-ce que la gauche aujourd’hui ? Dans cette réflexion, l’accueil des rescapés de l’Aquariusn’est que le premier d’une longue série de défis à venir.
Jorge Galindo
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