“Nous n’avons que trop patienté. Ce n’est que par la lutte que les femmes arrachent des droits.”Interrogée par Le Courrier, la militante féministe Michela Bovolenta donne tout de suite le ton. En Suisse, les femmes s’impatientent devant les inégalités. “Nous ne sommes ni respectées ni rémunérées selon les normes fixées par la loi”, ajoute celle qui a été l’une des initiatrices des assises féministes à Lausanne, début juin.
En résultent plusieurs actions à venir. Le 14 juin, tout d’abord, marquait le début d’une “année de la femme”. Création de lieux d’échanges, opérations de communication, actions “visibles et créatives” – telles que de grandes marches ou l’épinglage d’un manifeste dans les lieux où les droits des femmes ne sont pas respectés – jalonneront les douze mois à venir. Et pour clôturer l’année, une grande grève nationale sera organisée le 14 juin 2019.
À travail égal, salaire égal
“La Suisse revivra-t-elle le 14 juin 2019 une marée fuchsia comme celle que le pays avait connue en 1991 à la même date ?” s’interroge La Tribune de Genève. En 1991, “dix ans après l’inscription de l’égalité entre hommes et femmes dans la Constitution, près d’un demi-million de femmes se faisaient entendre pour que ce principe se concrétise. Leur grève resta symbolique”, relate Le Temps.
Dans le pays entier, les femmes avaient organisé une mobilisation incroyable. Vêtues d’habits fuchsia, elles organisaient des débrayages et des cortèges dans les rues, aux noms féminisés pour l’occasion. Une grève de zèle dans les foyers avait également été mise en œuvre. Leurs revendications ? “À travail égal, salaire égal”, une augmentation de leurs rentes assurance-vieillesse et survivants (AVS), une meilleure insertion dans le marché du travail et une amélioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. En 1991, les Suissesses avaient en partie été entendues, puisqu’une loi fédérale sur l’égalité (Leg) avait été créée quatre ans plus tard et qu’un congé maternité avait été adopté ensuite.
Un contexte défavorable aux avancées
“Le problème, c’est que les discriminations et les inégalités demeurent”, regrette La Tribune de Genève. En Suisse, les femmes gagnent près de 600 francs de moins que les hommes, complète Le Temps dans son édito du 13 juin.
Dans l’ensemble, les femmes perdent presque 10 milliards de francs par année. Soit une somme de 303 000 francs par femme au cours de sa vie. Des montants qui donnent le vertige.”
Et les derniers débats politiques ne semblent pas forcément aller dans le sens de l’égalité femmes-hommes. L’an dernier, lors de la révision de la loi sur l’égalité, le Conseil des États en a déçu plus d’un. Ce dernier a annoncé la mise en place de contrôles pour vérifier les écarts de salaires internes, tous les quatre ans. Mais seules les entreprises de plus de 100 salariés seront ainsi surveillées. “Un système qui ne concernera que 1 % des entreprises suisses”, regrette Audrey Schmid de l’Union syndicale suisse dans La Tribune de Genève. “De plus, il n’y aura pas de sanctions contre les entreprises fautives ni d’obligation de mise en conformité avec la loi.”
Une mesure similaire a été votée début juin pour instaurer des quotas féminins dans les conseils d’administration et de direction des entreprises cotées en Bourse. Mais aucune sanction n’est prévue pour les contrevenants.
D’autres actualités viennent ajouter à la colère des Suissesses : “Le Conseil fédéral a tenté de mettre fin au programme d’encouragement des structures d’accueil extra-familial (programme rattrapé de justesse par le Conseil national) tandis que le Conseil des États a raboté le projet de contrôle des salaires déjà extrêmement faible”, énumère Le Courrier.
Fin d’année dernière encore, le Conseil fédéral avait refusé une initiative populaire concernant le congé paternité. Elle proposait un congé de vingt jours pour les pères, qui pouvait être pris pendant l’année suivant la naissance de leur enfant.
Un an pour préparer la grève
“Une grève, cela ne se décrète pas sur un coin de table, cela se construit”, prévient dans La Tribune de Genève Valérie Buchs, du Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT), qui espère que les revendications s’élargiront à plus de domaines que celui du monde du travail.
De fait, un collectif va être créé pour préparer la grande journée du 14 juin 2019. D’ici là, des comités locaux, des partis et des centrales syndicales réfléchiront aux conditions de la grève et notamment aux conséquences possibles pour les femmes. Des permanences juridiques sont même prévues pour prendre en compte toutes les questions et craintes possibles.
Peu habituée aux grèves, la Suisse semble s’organiser dans les moindres détails. Une mobilisation féministe est aussi programmée à Berne le 22 septembre, en répétition générale peut-être, en vue de cette journée de juin 2019 que beaucoup espèrent historique.
Audrey Fisné
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